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  • Qui est la leur

    Le chapitre 2 de ce dernier livre, Des Suffrages, s'interroge sur les critères et conditions d'une bonne délibération. Celle qui fera parler la volonté générale et réduira la voix des intérêts particuliers qui pourraient l'empêcher.

    Délibérations et élections sont sujettes à deux dysfonctionnements.

     

    Plus le concert règne dans les assemblées, c'est à dire plus les avis approchent de l'unanimité, plus aussi la volonté générale est dominante ; mais les longs débats, les dissensions, le tumulte, annoncent l'ascendant des intérêts particuliers et le déclin de l'État.

    Ça, c'est ce qu'on a vu la dernière fois.

    À l'autre extrémité du cercle l'unanimité revient. C'est quand les Citoyens tombés dans la servitude n'ont plus ni liberté ni volonté. Alors la crainte et la flatterie changent les acclamations en suffrages ; on ne délibère plus, on adore ou on maudit.

    JJ pense ici bien sûr à la décadence de l'empire romain. Mais que dirait-il en voyant qu'en France (et partout ailleurs) plus de deux siècles après la Révolution, on a pris l'habitude de délibérer à coups de likes, j'aime j'aime pas, j'adore je maudis ?

    Le pauvre en resterait comme la volonté générale : sans voix.

     

    Dans les deux cas, il s'agit d'une méprise sur le cadre et le principe de la délibération démocratique.

    Quand on propose une loi dans l'assemblée du Peuple, ce qu'on demande (aux citoyens) n'est pas précisément s'ils approuvent la proposition ou s'ils la rejettent (sous-entendu : en fonction de leur intérêt propre), mais si elle est conforme ou non à la volonté générale qui est la leur.

    Qui est la leur. Tout est là. Il serait plus lucide de dire : qui devrait être la leur.

     

    La volonté générale n'est pas facile à discerner (de moins en moins dans la complexité de nos sociétés). Et surtout elle est vraiment difficile à mettre en œuvre, car elle implique pour chacun au moins autant de renoncements que de gains.

    Dans le système du contrat, elle est en fait ce point où la courbe de l'équation passion est censée rencontrer son asymptote la droite raison. Un point donc non situable autrement qu'à l'infini.

    Rousseau pourtant choisit d'en faire un point à atteindre, un horizon certes mais dans la réalité.

    L'habitude des marches en montagne sans doute, où c'est en portant le regard loin qu'on trouve la force d'avancer encore.

  • Alors la volonté générale devient muette

    Quand le nœud social commence à se relâcher et l'État à s'affaiblir ; quand les intérêts particuliers commencent à se faire sentir et les petites sociétés à influer sur la grande, l'intérêt commun s'altère et trouve des opposants, l'unanimité ne règne plus dans les voix, la volonté générale n'est plus la volonté de tous, il s'élève des contradictions et des débats, et le meilleur avis ne passe point sans disputes.

    (IV,1 Que la volonté générale est indestructible)

     

    Oui mais tout ceci n'est guère évitable. Rousseau l'a dit plus haut, chaque système porte en lui des facteurs propres de dégénérescence. Ceux qu'il décrit ici sont précisément ceux de la démocratie.

    Débat, contradiction, dispute : sans cela difficile de discerner les ajustements nécessaires au maintient du cap de l'intérêt commun. Ils font aussi partie du processus de sa définition initiale, processus de mise en place d'une plate-forme commune à tous les intérêts particuliers. Encore faut-il que ce processus soit bien pensé et surtout bien conduit.

    Le plus difficile est d'éviter que le moteur démocratique s'emballe. Qu'on ergote au lieu d'argumenter, qu'on satisfasse un prurit de contradiction avant d'essayer de comprendre les autres points de vue.

    Quelles causes à cet emballement ? Comme pour les crimes, elles se partagent (ou se combinent) entre le passionnel ou le crapuleux.

    Côté passionnel, le citoyen (à quelque niveau qu'il soit, en haut ou en bas) peut régresser vers l'infantilisme des égoïsmes capricieux, des jalousies de bac à sable. Il peut être tenté, encore plus régressif, par le despotisme narcissique et irresponsable de Sa Majesté Bébé (éloquente expression de Papa Freud).

    Côté crapuleux, la tendance anti-démocratique se met en effet au service d'intérêts particuliers, individuels ou d'appartenance à différents groupes. Plus les groupes sont sectaires (au sens propre), plus les intérêts sont forts, et plus le moteur s'emballe.

     

    Alors la volonté générale devient muette, tous guidés par des motifs secrets n'opinent pas plus comme Citoyens que si l'État eût jamais existé, et l'on fait passer faussement sous le nom de Lois des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier.

    Et ça, Rousseau ne s'y résigne pas.

    « Toute l'affaire du livre IV est de montrer comment on peut tenir éveillée la volonté générale dans le cœur des citoyens et la faire parler.» (dit B. Bernardi)

    Toute l'affaire du livre IV du Contrat social, mais surtout de la vie démocratique.

     

     

     

     

     

     

  • La volonté de tout un peuple

    Les Citoyens étant tous égaux par le contrat social, ce que tous doivent faire, tous peuvent le prescrire, au lieu que nul n'a le droit d'exiger qu'un autre fasse ce qu'il ne ferait pas lui-même. Or c'est proprement ce droit, indispensable pour faire vivre et mouvoir le corps politique, que le Souverain donne au Prince en instituant le Gouvernement.

    (III,16 Que l'institution du Gouvernement n'est point un contrat)

     

    Pour Rousseau ce droit n'est pas en rigueur de termes un contrat entre le Gouvernement et le peuple. Il n'y a qu'un contrat dans l'État, c'est celui de l'association. Un contrat unique, non reproductible, intangible : on ne saurait imaginer aucun contrat public, qui ne fût une violation du premier.

    Mais n'est-ce pas là qu'une question de terminologie ?

    Mettons, il n'y a qu'un contrat et le reste, les nécessaires concrétisations, appelons-les mandats, conventions, délégations, n'importe quoi : l'essentiel est que ça marche.

    En fait on dirait bien qu'il y a comme du sacré là-dessous pour JJ.

    Il faudrait des Dieux pour donner des lois aux hommes a-t-il dit plus haut (II,7 Du législateur). Quoi qu'on mette sous ce terme (y compris rien), ce chapitre en appelait, on s'en souvient, à une autorité d'un autre ordre

    (et si on s'en souvient pas, voir la note qui porte ce titre).

    Pour le fonder, cet autre ordre, Rousseau ne fait pas vraiment confiance aux dieux.

    Il confère plutôt une sorte d'auto-transcendance au corps social, en sacralisant le contrat, au sens propre.

    Le fait de son unicité, sa non-reproductibilité, place dans une arche symbolique ce contrat (issu on s'en souvient d'un moment non figurable sur la ligne du temps réel)

    (et si on s'en souvient pas, voir la note Son moi commun).

     

    De ces éclaircissements (est-ce le mot, mais bon) il résulte (…) que l'acte qui institue le Gouvernement n'est point un contrat mais une Loi, que les dépositaires de la puissance exécutive ne sont point les maîtres du peuple mais ses officiers, qu'il peut les établir et les destituer quand il lui plaît, qu'il n'est point question pour eux de contracter, mais d'obéir, et qu'en se chargeant des fonctions que l'État leur impose ils ne font que remplir leur devoir de Citoyens, sans avoir en aucune sorte le droit de disputer sur les conditions.

    (III,18 Moyen de prévenir les usurpations du Gouvernement)

     

    Est-ce à dire que Rousseau plaide ici pour un RIC révocatoire ?

    Pour lui la destitution ne peut s'envisager que dans le cas où le Gouvernement devient incompatible avec le bien public. Vraiment public.

    On ne saurait en pareil cas observer avec trop de soin toutes les formalités requises pour distinguer un acte régulier et légitime d'un tumulte séditieux, et la volonté de tout un peuple des clameurs d'une faction.

    Distinction utile pour éviter la perversion de la démocratie représentative en démocratie marketing, et de là en clientélisme populiste ou en fascisme.