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  • Me too

    La femme comptait aussi longtemps qu'elle simulait la pudeur et la réserve. De quelle déficience elle fait preuve en cessant de jouer le jeu ! Déjà elle ne vaut plus rien, puisqu'elle nous ressemble. C'est ainsi que disparaît un des derniers mensonges qui rendaient l'existence tolérable.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Non il rigole, les filles.

    Humour pince sans rire, provocation (telle est mon interprétation). Cioran est négatif dépressif misanthrope, plutôt misogyne oui, mais bourrin total je lui fais crédit que non (générosité féminine).

    Exhibition caricaturale de phallocentrisme où l'on décèle en effet des indices de second degré.

    La femme comme deuxième sexe, objet et non sujet, dans laquelle le mâle trouve un commode supplément d'existence (voir la magistrale analyse de la grande Beauvoir dans son livre insurpassable) : cette vision est ici retournée dans les termes simulait, jouer le jeu, mensonge.

    Par eux, la déficience est implicitement présentée comme le fait de l'homme. Sans Ia femme qui le rassure sur son identité en exagérant sa différence, sur sa puissance en exagérant sa soumission, que deviendrait-il, pauvre petite chose ?

     

    Si je préfère les femmes aux hommes, c'est parce qu'elles ont sur eux l'avantage d'être plus déséquilibrées, donc plus compliquées, plus perspicaces et plus cyniques, sans compter cette supériorité mystérieuse que confère un esclavage millénaire.

    Supériorité mystérieuse : mystère est un mot bien commode quand on raconte n'importe quoi. « Expliquez-moi. Ah ben non c'est un mystère ».

    Fait-il allusion à l'hasardeuse affirmation hégélienne comme quoi en fin de compte le maître est l'esclave de l'esclave ? (je caricature à peine) (comme je comprends Schopenhauer, moi aussi Hegel me donne des boutons).

    Tout ça pour dire : les mecs, s'il y a que ça pour vous faire plaisir, on vous laisse l'esclavage et la supériorité qui va avec.

     

    Déséquilibrées, compliquées : c'est çui qui dit qui l'est, M'sieur Cioran.

    Perspicaces et cyniques : je lis dans ces mots la formulation (négative façon cioranesque) d'une relation plus directe à la réalité, un pragmatisme sans illusion qui est en effet souvent caractéristique des femmes.

    Après tout, oui, peut être un rapport avec l'esclavage millénaire, l'aptitude longuement cultivée à survivre et préserver la vie.

     

  • A fair lady

    Septuagénaire, lady Montague avouait avoir cessé de se regarder dans un miroir depuis onze ans. Excentricité ? Peut être, mais pour ceux-là seuls qui ignorent le calvaire de la rencontre quotidienne avec sa propre gueule.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Houellebecq sors de ce corps !

    Enfin je dis ça : aussi bien Houellebecq se trouve beau. Et puis j'ai tort de le prendre comme parangon de mochitude, c'est vraiment pas sympa.

    D'ailleurs mochitude n'est pas exactement le mot, disons grognonitude. En fait son nom m'est venu parce que sa négativité fait parfaitement écho à celle de Cioran. Encore un membre éminent des MNA. (cf 20-4-19 Compagnonnages)

    Dans la déclaration de lady Montague il s'agit d'autre chose que laideur ou maussaderie. Il s'agit de trouver sa réponse, si possible honorable, à la modification d'image de soi qu'impose la vieillesse, cette si rude déflation narcissique.

    C'est valable aussi pour un homme, mais bien plus crucial pour une femme (encore et toujours sommée même dans nos sociétés « évoluées » d'exister d'abord et parfois exclusivement par et dans son apparence).

    Pour beaucoup, la déflation n'est pas seulement narcissique, entre soi et soi, mais aussi et surtout sociale.

    Il n'est pas facile de vivre ce moment où vous devenez transparente au regard de l'autre, la sagesse ou l'intelligence ne suffisent pas toujours à s'en arranger (peut être l'humour).

    Dans le cas des actrices vieillissantes (même des grandes, même des qui en ont dans le ciboulot), et plus largement des femmes exposées aux regards via les médias, cela s'accompagne plus souvent que pour les hommes d'une mise à l'écart professionnelle. Alors rares sont celles qui ont la force d'accepter le nouveau visage de leur beauté personnelle, que la vieillesse dote d'inquiétante étrangeté.

    Alors elles optent pour la même bouche de canard, les même pommettes de hamster : et là c'est ridicule et pathétique.

    Trop de narcissisme tue le narcissisme.

    Pour ma part je ne vois dans la déclaration de Lady Montague ni excentricité ni amertume. Il y a un côté positif à la perte d'image due à la vieillesse : la liberté d'être dispensé(e) de faire bonne figure.

    Et pour les miroirs, on peut juste se contenter qu'ils renvoient la lumière.

     

  • Aphorisme et liberté

    Quiconque nous cite de mémoire est un saboteur qu'il faudrait traduire en justice. Une citation estropiée équivaut à une trahison, une injure, un préjudice d'autant plus grave qu'on a voulu nous rendre service.

    Cioran (Aveux et anathèmes)

     

    Sans me vanter je suis très scrupuleuse sur le sujet, vérifiant plutôt deux fois qu'une que j'ai recopié exactement, donné la référence précise. Et si la citation me vient de mémoire, je ne suis pas tranquille tant que mes recherches pour la retrouver in situ n'ont pas abouti.

    N'empêche, la lecture de Cioran peut être vraiment réconfortante finalement : qui n'est pas cité n'est pas saboté (le mieux est encore de n'être pas lu).

     

    Démosthène copia de sa main huit fois Thucydide. C'est comme cela qu'on apprend une langue. Il faudrait avoir le courage de transcrire tous les livres qu'on aime.

    En plus, pour qui aime Proust, transcrire la Recherche l'occupera agréablement jusqu'à la fin de ses jours, le dispensant de toute angoisse et douleur (autre que la crampe du copiste bien sûr).

     

    La chance qu'a le romancier ou le dramaturge de s'exprimer en se déguisant, de se délivrer de ses conflits, et, plus encore, de tous ces personnages qui se bagarrent en lui ! Il en va différemment de l'essayiste, acculé à un genre ingrat où l'on ne projette ses propres incompatibilités qu'en se contredisant à chaque pas. On est plus libre dans l'aphorisme – triomphe d'un moi désagrégé …

    Paradoxale lucidité sans faille d'un moi désagrégé. En tous cas devant cette analyse si juste et si bien dite, on est obligé d'admettre qu'il arrive que la critique soit un art. 

     

    Le goût de la formule va de pair avec un faible pour les définitions, pour ce qui a le moins de rapport avec le réel.

    C'est bien pourquoi les aphorismes ont la faveur des gens qui ont du mal avec le réel, genre Wilde, Nietzsche, Kierkegaard …

    Que du beau monde, d'ailleurs.