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  • Comme un lundi

    « Suis-je constitué pour rester couché bien au chaud sous les couvertures ? »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même V,1)

     

    Le chap V présente plusieurs pseudo-dialogues (il devait être en train de relire son Platon).

    Le premier dialogue se tient entre l'empereur chargé de responsabilités et l'homme qui voudrait bien pour une fois passer une journée à cocooner tranquille sous sa couette (avec un bon bouquin de philo par exemple).

    Y a des jours où être maître du monde, vous savez quoi on le laisserait bien à d'autres.

    Alors le surmoi de Marco l'exhorte à se ressaisir en déployant toute sa rhétorique : le métier d'empereur est ta nature (c'est ton ADN, vieux, t'y peux rien t'es programmé pour). Il faut l'aimer, autant que le ciseleur la ciselure, le danseur la danse, l'avare l'argent ou le vaniteux la gloriole.

    « Les actions sociales te semblent-elles avoir moins de valeur et mériter moins d'efforts ? » conclut Surmoi, triomphant et sûr de son coup.

    Au passage les actions sociales : belle formulation du travail de l'homme politique, hein ? Y a des jours on se dit il en passerait un par chez nous, de Marc-Aurèle, ce serait pas du luxe. À condition qu'il agisse toujours comme il s'efforce de penser, vertueusement.

     

    Et voilà qu'on se met à penser nous aussi, par exemple aux trucs pas jojo que s'est permis Marco, genre persécuter les chrétiens. Son argument : la croyance, en contestant la raison, nuit à l'exercice de la citoyenneté.

    C'est pas faux sans doute, mais alors rares sont ceux qui, étant exempts de toute croyance (religieuse ou pas), ne seront pas persécutables à un moment ou à un autre.

    Et puis : croire lutter contre la croyance erronée par la persécution, est-ce bien raisonnable ?

     

  • Raison d'état

    « Lâche est celui qui évite la raison politique* ; aveugle, celui qui occulte son intelligence ; indigent celui qui a besoin d'autrui et ne possède pas en lui-même de quoi vivre. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,29)

    *politikon logon.

     

    Cette lâcheté consiste à ne pas assumer sa condition d'animal politique, à se dérober aux responsabilités qu'elle implique.

    Un exercice de responsabilité dont l'outil est le logos structurant la pensée et la parole. Outil par conséquent du débat démocratique (démocratique c'est moi qui le dis, Marco pensait sans doute davantage à sa raison de «despote éclairé») et d'une juste organisation sociale.

     

    Si le citoyen occulte son intelligence, s'en remet à l'opinion sans chercher la réalité des faits, sans vérifier les dires, il laisse le champ libre, en lieu et place des fameux lion et renard de Machiavel, aux animaux politiques les plus louches.

    Hyènes de tout poil, anguilles sous roche, caïmans de marigot, perroquets twitteurs …

     

    L'indigent qui ne possède pas en lui-même de quoi vivre : s'agit-il d'indigence matérielle ou de manque d'assise intérieure propre ?

    À ce second titre sinon au premier, nous sommes tous plus ou moins indigents. Indigence utile en tant qu'elle ouvre à l'apport de l'autre. Mais elle peut aussi conduire à se rassurer dans le conformisme.

    Dans le contexte de la vie politique romaine, Marc-Aurèle sait que l'indigent, au plan matériel comme moral, est une cible facile pour les manipulations des démagogues clientélistes. (Nihil nove sub sole ? Je vois pas ce qui te fait dire ça, lecteur)

     

    Bref la raison, en tant qu'elle est politique, incite à cultiver le sens de la responsabilité citoyenne, à exercer l'intelligence et la lucidité, à faire en sorte que chacun accède à son autonomie matérielle, culturelle, morale.

    En somme à constituer une société d'irremplaçables (cf l'essai éponyme Cynthia Fleury Gallimard 2015).

     

    Voilà voilà. Mais restons optimistes : le voyage de mille pas commence par un premier pas, dit le proverbe chinois.

    Et il n'y a que le premier pas qui coûte. Quoique. On n'occulte pas la lucidité on a dit. Faut savoir que chaque pas coûtera un tant soit peu. 

     

  • Un seul et même secret

    « Sois semblable à un roc contre lequel les vagues se brisent sans répit : il reste debout et autour de lui viennent mourir les bouillonnements du flot. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,49)

     

    « Volonté et vague. Avec quelle avidité s'avance cette vague, comme s'il lui fallait atteindre quelque chose ! Avec quelle précipitation terrifiante elle s'insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés ! Il semble qu'elle veuille y arriver avant quelqu'un ; il semble qu'y soit caché quelque chose de valeur, de grande valeur. - Et la voici qui revient, un peu plus lentement, toute blanche encore d'excitation, - est-elle déçue? A-t-elle trouvé ce qu'elle cherchait ? Fait-elle semblant d'être déçue ? - Mais déjà s'approche une autre vague, plus avide et plus sauvage encore que la première, et son âme aussi semble emplie de secrets et du désir de déterrer des trésors.

    C'est ainsi que vivent les vagues, - et c'est ainsi que nous vivons, nous qui voulons ! - je n'en dis pas davantage. - Comment ? Vous vous méfiez de moi ? Vous vous irritez contre moi, beaux monstres ? Eh bien ! Irritez-vous contre moi désormais, dressez vos dangereux corps verts aussi haut que vous le pouvez, élevez un mur entre moi et le soleil – comme à présent ! En vérité, il ne reste déjà plus du monde que le vert crépuscule et que de verts éclairs. Déchaînez-vous à votre guise, arrogantes, rugissez de plaisir et de méchanceté – ou plongez de nouveau, déversez vos émeraudes au fond du plus abyssal abîme, et recouvrez-les en lançant de votre blanche dentelle infinie d'écume et d'embruns – je souscris à tout, car tout vous va si bien, et je suis si reconnaissant pour tout : comment pourrais-je vous trahir !

    Car – prêtez bien l'oreille ! - je vous connais, vous et votre secret, je connais votre espèce ! Vous et moi, nous sommes d'une seule et même espèce ! - Vous et moi, nous avons un seul et même secret ! »

    (Nietzsche Le Gai savoir n°310)

     

    Que vous inspire le rapprochement de ces deux textes, du point de vue des styles, des conceptions philosophiques, personnalités de leurs auteurs ? 

    Mais oui je rigole, je sais bien c'est les vacances. (Juste : quel styliste l'ami Friedrich, non ?). Mais bon on va dire plutôt :

    Imaginez un QCM à faire sur la plage style magazine féminin

    « Êtes-vous roc ou vague ? »

    Perso je me vois bien en grain de sable. (Goût de la synthèse quand tu me tiens).