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  • Corollaire spinoziste

    « Tout ce qui arrive est aussi habituel et familier que la rose au printemps et les fruits en été : la maladie, la mort, la calomnie, la trahison et tout ce qui réjouit et afflige les insensés. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,44)

     

    Cette pensée marque bien une limite de la pensée stoïcienne. La limite idéaliste, ou dualiste.

    On ne peut qu'adhérer intellectuellement au propos de Marc-Aurèle. Tout le monde il est pas beau, tout le monde il est pas gentil (en plus y en a qui sont ni l'un ni l'autre), voilà c'est comme ça, faut faire avec, comme on dit.

    Sauf qu'on a beau dire et admettre que c'est ainsi, ça n'empêche pas d'en ressentir du bien ou du mal.

     

    Et donc l'insensé en fait ce serait plutôt Marco (sauf son respect), dans sa minimisation de la question pourtant centrale de l'affect.

    Mettons, par pure hypothèse, que nous soyions comme lui lucides et décidés à bien agir. Nous verrons vite, nous, que l'esprit réjoui ou affligé dans lequel nous agissons est loin d'être indifférent.

    À notre bien-être d'abord (mais ça Marco s'en fiche) (OK j'admets) mais aussi et surtout aux effets de notre action.

     

    Tout ceci nous amène comme par la main à cette formulation de l'impasse idéaliste :

    Pour la plupart, ceux qui ont écrit des affects et de la façon de vivre des hommes (…) on dirait (…) qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire. (…)

    Il n'a cependant pas manqué d'hommes très éminents (et nous avouons devoir beaucoup à leur travail et leur activité) pour écrire maintes choses remarquables sur la droite façon de vivre, et donner aux mortels des conseils pleins de prudence ; mais quant à la nature des affects et à leurs forces, et ce que peut l'esprit, en revanche, pour les maîtriser, nul, que je sache, ne l'a déterminé.

    Je sais, bien entendu, que le très célèbre Descartes a produit une fort belle théorie (je résume) ; mais, à mon avis du moins, il n'a rien montré d'autre que la pénétration de son grand esprit.*

    (Spinoza Éthique Préface part 3 Des affects)

     

    Axiome stoïcien « Quand on veut on peut ».

    Corollaire spinoziste « Encore faut-il savoir ce que vouloir veut dire ».

     

    *J'adore l'art de Spinoza d'être gentil dans la vacherie (ou vache dans la gentillesse).

     

  • Les pendules à l'heure

    « Bientôt tu seras mort et tu n'es pas encore simple, calme, invulnérable à tout dommage extérieur, bienveillant envers tous et plaçant la sagesse dans la seule pratique de la justice. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,37)

     

    Le fait de savoir que bientôt tu seras mort est-il pertinent pour motiver l'effort éthique ? À mon avis sûr que non.

    Déjà c'est ce qu'on peut se dire dès la naissance, bientôt couvrant un champ temporel d'une imprécision parfaite (et puis la différence entre 1 et 100 ans, sub quadam aeternitatis specie …)

    De plus le temps (c'est à dire la distance – supposée – à la fin) ne fait rien à l'affaire. Il en va comme pour commencer la gym ou le régime. Si tu dis demain ça veut dire jamais.

     

    Bref ta vieillesse aura peu de chance de correspondre au conseil de Marco si ta jeunesse et ta maturité, ton enfance aussi, ont été totalement incapables de ces qualités.

    Si à quarante ans t'as pas déjà un tant soit peu fait l'expérience de la simplicité, du calme, de la bienveillance, tout ça, achète-toi plutôt une montre qui brille, comme ça t'auras pas tout perdu.

     

    Je dis quarante … Quant à moi, j'estime que nos âmes sont dénouées à vingt ans ce qu'elles doivent être, et qu'elles promettent tout ce qu'elles pourront. (Montaigne Essais I,37 De l'âge)

     

    - Ouioui tout ça est bien beau, mais si peu m'importe, à moi, d'être quelqu'un de bien ?

    - La question n'est pas toi, mais les autres, à qui selon que tu sois ou non simple calme etc. tu feras la vie plus douce ou plus pénible.

     

  • Servi

    « Adopte à l'essai la vie de l'homme de bien qui apprécie son lot et se contente, quant à lui, d'agir justement et d'être bienveillant. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IV,25)

     

    J'aime bien cette formulation raisonnable et raisonnée. Marc-Aurèle semble dire : être quelqu'un de bien, ça se tente. Mais à l'essai, faut donner à son moteur éthique un temps de rodage, voir comment ça répond.

    Euh je crains que cette métaphore ne fasse un peu vintage. Aujourd'hui les bagnoles n'ont plus besoin de rodage paraît-il.

     

    Alors essayons une autre métaphore. Marco dévoile son caractère de joueur avisé. Il décide de suivre la mise, assez confiant pour cela dans ses cartes (appréciant son lot).

    Si on bluffe en face ? Tant pis, c'est un risque qu'il prend quant à lui. Un risque calculé, car il compte que sa détermination tranquille finisse par faire douter l'adversaire (qui serait l'injuste malveillant, si on suit le fil de ma métaphore) de la valeur de son propre jeu.

    Stratégie conseillée aussi par Spinoza. Qui d'ailleurs aimait jouer aux cartes le soir avec ses logeurs.

     

    Tiens, je m'avise que j'ai de particulières affinités avec des penseurs qui aimaient le jeu, le jeu de cartes en particulier : Freud, Spinoza, Montaigne. (Comme quoi la lecture de Marc-Aurèle est source de prises de conscience essentielles)

    (oui pour moi, d'accord) (vous savez ce que dit Rousseau : je sais bien que le lecteur n'a pas besoin de savoir tout cela mais j'ai besoin moi de le lui dire).

     

    Autre penseur-joueur, Pascal bien sûr, qui aima le jeu à la folie jusqu'au moment où il décida d'y renoncer genre le divertissement ça va un moment.

    (Mais non sans en avoir tiré ses travaux sur les probabilités) (pas n'importe qui encore celui-là).

    Son pari si c'est pas un truc de flambeur, de bluffeur radical, hein ? Faire tapis d'emblée, faut y aller quand même ...

    L'embêtant c'est que la partie est vite finie, du coup.