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  • Realpolitik

    « Comme les avis divergent sur ce que la plupart considèrent comme des biens – mais pas sur leurs intérêts communs – il faut poser comme but le bien social et politique. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même XI, 21)

     

    Distinction ici du plan « idéal » des valeurs et du plan concret des intérêts. Que les avis sur les biens, c'est à dire les valeurs, divergent, est une certitude. Prégnance des idéologies. Mais pas de divergence sur les intérêts communs, vraiment ?

    Certes c'est aberrant.

    Par définition le sens de l'intérêt le plus prosaïque devrait nous faire discerner (et surtout choisir), parmi nos intérêts, ceux qui sont « communs », partagés, porteurs du bon fonctionnement du groupe, voire de sa survie. L'organisation selon cette communauté d'intérêt est ce qu'il appelle le bien social et politique. 

    Or ce n'est pas une utopie, une position morale voire moralisante. C'est une absolue nécessité. Et d'autant plus dans nos sociétés complexes (et au-delà entre sociétés dans un monde complexe). Sans coopération des individus, imprégnation mutuelle du moi et de l'autre, interactions à tous niveaux, personne ne peut non seulement subsister, mais être qui que ce soit.

     

    À propos : « Les Spartiates, pour leurs fêtes, plaçaient les bancs des étrangers à l'ombre mais eux s'asseyaient n'importe où. » (Pensées pour moi-même XI, 24)

    Où l'on voit que la solidarité du corps politique (au top niveau chez les Spartiates) n'implique pas nécessairement étroit nationalisme et exclusion.

    (Mais ce fait est-il vrai ? Légende urbaine de cité grecque ?)

    (En tous cas vu de l'Europe contemporaine – et du monde en général – il paraît trop beau pour l'être, vrai).

     

  • Not just anybody

    « Ne rougis pas d'être aidé : comme un soldat à l'assaut d'un rempart, tu as une mission à accomplir. Que ferais-tu si, étant boiteux et ne pouvant l'escalader seul, cela t'était possible avec l'aide d'un autre ? »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VII, 7).

     

    Le contexte de la guerre (contre les fameux Sarmates) inspire à Marco cette métaphore. La sagesse comme une forteresse à investir, l'éthique comme une bataille à livrer. Qui n'est boiteux en la circonstance, qui ne traîne la patte ?

    Le genre de campagne où l'on traverse plus souvent la Berezina que le Rubicon.

    Alors oui vaut mieux trouver des frères (et sœurs) d'armes sur qui s'appuyer pour gagner la bataille de l'humanité.

     

    « Personne ne se lasse d'être aidé. L'aide est un acte conforme à la nature. Ne te lasse jamais d'en recevoir ni d'en apporter. » (Pensées pour moi-même VII, 74)

    Un acte conforme à la nature. Vision positive d'une humanité caractérisée par sa generositas, dirait Spinoza, sa conscience de solidarité d'espèce.

     

    À part ça question à deux euros, qu'est-ce qui est plus difficile : en recevoir ou en apporter, de l'aide ?

    Le plus difficile sans doute est d'en demander. Il faut du temps pour accepter de le faire, pour certains toute une vie.

    Pour oser lancer son SOS, comme dans la chanson des Beatles Help ! I need somebody, help !

    Tiens justement, la suite dit not just anybody : pas n'importe qui.

    Je me demande si c'est pas là que ça coince.

     

  • L'art de gagner

    « Évite autant de flatter que de t'irriter ; ces travers sont l'un comme l'autre asociaux et nuisibles. Aie à l'esprit, dans tes colères, que l'irritation n'est pas virile, que la douceur et la courtoisie sont à la fois plus humaines et plus mâles, que la force, l'énergie et le courage n'échoient pas à qui s'indigne et se fâche. Plus on se rapproche de l'impassibilité, plus on est fort. La colère trahit la faiblesse de même que l'affliction : toutes deux sont des blessures, des capitulations. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même XI, 18)

     

    Le rapprochement colère et affliction m'évoque la suggestive bipartition d'Alice Zeniter : dans la vie pas grand choix on est Colère ou Tristesse, et si on n'en sort pas, à tous les coups l'on perd. (L'Art de perdre Flammarion 2017)

    Pour en sortir, la pensée XI,18 suit un paradigme éclairant : Souviens-toi de ces neuf points capitaux comme de dons des Muses. La sagesse est donc un art, qui comme tout art, ne libère le meilleur de sa créativité que moyennant un savoir solide et une pratique assidue d'exercices.

     

    1) Remets les choses (et les êtres) à leur juste place. En l'occurrence Marco se dit je suis né pour être à leur tête (oui quand même).

    2) Observe le rapport entre les principes des gens et leurs actions. (Sous entendu tu seras pas déçu du voyage) (difficile de le nier).

    3) Ou ils font bien, et c'est bien. Ou ils font mal, et dis-toi qu'ils ne savent pas ce qu'ils font. (Oui tant qu'à faire le mieux est de se dire ça).

    4) Tu es comme eux ton tempérament te porte à pécher, même si par lâcheté, vanité ou autre vice de ce genre, tu t'en abstiens. (Parfois pour des raisons plus nobles, quand même) (mais si).

    5) Tu ne disposes pas des tenants et aboutissants pour juger des actions des autres. (Déjà pour les tiennes c'est limite).

    6) Inutile de prendre tout ça trop à cœur. (Oui pas la peine de s'en faire à moyen terme nous serons tous morts comme disait Keynes).

    7) Rapporte à toi l'estimation de leurs actes en estimant que ce n'est pas honteux pour toi. (Pas sûr que ça console de leur nuisance mais bon au moins Super Surmoi te lâchera, c'est déjà ça). 

    8) Dans de tels cas, les colères et les chagrins sont bien plus pénibles que leurs causes. (Sauf que l'acte nocif et l'affect induit s'additionnent genre fromage et dessert) (et ça reste un peu sur l'estomac).

    9) La bienveillance est invincible si elle est sincère, sans grimace ni hypocrisie. N'hésite pas pour autant à reprendre l'autre, mais fais-le sans ironie, sans insolence, sans rancune mais avec charité. Pas comme un maître d'école ni pour te faire admirer, mais pour lui seul même s'il y a des témoins.

    On comprend le patronage d'Apollon et des Muses, on voit se dessiner dans ces neuf auto-conseils une éthique esthétique, d'une belle élégance morale. On y entend une petite musique propice à l'harmonie relationnelle.

    Oui : rien à dire. Juste tout à faire.