Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • La mouche et les Sarmates

    « Une araignée est fière d'avoir pris une mouche ; cet homme, un lièvre ; un autre, une sardine au filet ; un autre, des marcassins ; un autre, des ours ; un autre, des Sarmates*. Ne sont-ils pas tous des brigands si l'on examine leurs principes ? »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même X, 10)

    *Peuple germain contre lequel Marc-Aurèle fit la guerre à plusieurs reprises.

     

    Pensée désabusée d'un Marc-Aurèle écoeuré de la guerre (l'a-t-il parfois goûtée ?).

    Et surtout sensible à la vanité, à l'absurdité qu'il y a pour les hommes à placer si mal leur fierté. Chasser, faire la guerre, mettons que ce soit en certains cas inévitable. Mais y a pas de quoi s'en vanter.

     

    Quoique : inévitable ? On pourrait peut être finir par envisager un plan B ?

    Notons à ce propos que dans cette série d'exemples, il convient (à la suite de Spinoza) d'exempter de notre réprobation l'araignée qui n'a pas de plan B, elle. Réprobation éthique s'entend, parce que bon côté esthétique, bouffer des mouches : beurk.

     

    Bref nous conclurons une fois de plus avec Zarathoustra ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches*. Ni un chasse-sardines, un chasse-ours, un chasse-marcassins, voire un chasse-Sarmates.**

     

    *oui je sais je radote avec cette phrase, mais elle est tellement forte, dense, belle : un traité d'éthique à elle toute seule.

    **lire cette phrase à haute voix te sera un excellent exercice d'élocution, lecteur-trice. (Au moins tu n'auras pas perdu ton temps en passant du côté de chez Ariane).

     

  • En éclairant ce qui la supporte

    « Le soleil semble se diffuser et, en effet, il se diffuse, mais sans effusion. Car cette diffusion est une extension. (…) la lumière du soleil qui pénètre dans une pièce sombre par une fente : elle s'étend en ligne droite, pour se poser sur le premier support venu qui la coupe de l'espace qui suit ; elle s'y tient sans glisser sans tomber. Voilà ce que doit être l'intelligence : diffusion – et non effusion – et extension. Il ne faut pas qu'elle heurte violemment et impétueusement les obstacles qu'elle rencontre ni qu'elle se laisse abattre par eux mais qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VIII, 57)

     

    Marco livre ici une belle ode à la lucidité, bien avant la célèbre question-réponse de Kant. L'association lumière-pensée est un invariant humain, si évidente est la sensation que comprendre c'est « y voir clair ». (D'où la réflexion des hommes des Lumières – ou de Montaigne entre autres avant eux – pour enrichir la "vision" du monde à partir de celle des aveugles de naissance).

     

    La formulation de Marc-Aurèle fait bien voir dans l'intelligence pas seulement l'aptitude au raisonnement abstrait, à l'analyse des concepts, mais l'ensemble des facultés qui permettent de prendre en compte le monde, d'embrasser par la pensée la réalité, d'allumer la lampe qui en dévoilera tous les aspects.

     

    Qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte : belle formule. Tiens, d'ailleurs, outre les Lumières, ce passage m'évoque un texte biblique. Dans le psaume 19 (cf ce blog 26/30-09-2018) on trouve pareille métaphore solaire pour le divin, en tant qu'éclairant ce qui le supporte.

    « Il jaillit de l'extrémité du ciel, son orbe en couvre toute l'étendue : nul n'est caché de sa chaleur. » (v.7)

     

    Quant au terme effusion, il faut y entendre dissolution, le fait qu'au fur et à mesure qu'une chose se répand, elle s'amenuise, se dissout, se dilue. Le mot extension que Marco lui oppose dit la qualité compréhensive de l'intelligence, qui lui fait épouser son objet comme, au fur et à mesure de la croissance, la peau ne cesse d'épouser la chair.

     

  • Endosse ces qualificatifs

    « La cause universelle est un torrent : elle emporte tout. Comme ils sont négligeables ces homoncules qui font de la politique et croient agir en philosophes. Petits morveux ! (…) N'ambitionne pas la République de Platon mais contente-toi de progresser un peu sans minimiser le résultat. (…) L'œuvre de la philosophie est simple et modeste. Ne m'entraîne pas à la vanité. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IX, 29)

     

    Ces homoncules qui font de la politique, petits morveux : il s'épargne pas le Marco sur ce coup-là. Comme dirait Cyrano je me les sers moi-même avec assez de verve … Et la suite aussi d'ailleurs j'imagine*

    (ça se comprend, faut préserver la fonction, on est maître du monde ou on l'est pas).

     

    « Quand on te qualifie de bon, modeste, sincère, prudent, bienveillant, magnanime, fais attention à ne devoir pas mériter d'autres qualificatifs ; et si tu perds ces qualités, retournes-y vite.

    Souviens-toi que par prudent tu voulais signifier l'attention méticuleuse et attentive portée à chaque chose ; par bienveillant, l'acceptation spontanée du lot assigné à chacun par la nature universelle ; par magnanime, la prééminence de la part sensée sur le mouvement doux ou violent de la chair, sur la gloriole, sur la mort et toutes choses semblables. (…)

    Endosse ces qualificatifs. (…) le souvenir des dieux t'aidera à (te les) rappeler : les dieux ne veulent pas qu'on les flatte, mais que les êtres raisonnables les imitent, que le figuier remplisse sa fonction de figuier, le chien sa fonction de chien, l'abeille sa fonction d'abeille et l'homme sa fonction d'homme. »

    (Pensées pour moi-même X, 8).

     

    Là que dire sinon que tout commentaire est inutile. Marc-Aurèle donne dans ces mots le meilleur de lui-même. La quintessence de son être-philosophe.

    En a-t-il fait bon usage ? Ce n'est pas notre question. La nôtre est l'usage que nous pouvons en faire, nous.

    Question autrement plus épineuse.

     

    *La suite, pour ceux qui ont oublié leur Cyrano : … mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.