Je passe sur les deux postulats qui suivent ces définitions de base, ils disent simplement que les corps sont pour la plupart des choses complexes, très composées, mais ça ne les empêche pas d'accéder à une certaine continuité.
Y compris de façon inconsciente, car les traces des passions (choses subies ou accomplies sans savoir comment de façon précise et complète, sans qu'on tienne toute la chaîne de causalité) ne persistent pas moins que celles des actions (où l'on est bien arrimé à la chaîne). (Cf Quand il se fait)
Tout ceci posé, la démonstration va se construire selon le déroulé de 59 propositions, sans compter explications, démonstrations, scolies ...
Je te vois blêmir, lectrice-teur : « on n'est pas sorti de l'auberge ». Mais pas d'angoisse : de tout cela, je laisserai autant que je pourrai, le reste je le simplifierai comme je pourrai. Et puis on prendra le temps qu'il faut c'est tout.
« Le corps ne peut déterminer l'esprit à penser, ni l'esprit déterminer le corps au mouvement, ni au repos, ni à quoi que ce soit d'autre (si ça existe)* ».
(Spinoza Éthique Part.3 prop.2)
Pas clair ?
« Les hommes se croient libres pour la seule raison qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par quoi elles sont déterminées, et, en outre, (ignorants) que les décrets de l'esprit ne sont rien d'autre que les appétits eux-mêmes, et pour cette raison varient en fonction de l'état du corps (…) Ceux donc qui croient qu'ils (…) font quoi que ce soit par un libre décret de l'esprit rêvent les yeux ouverts. »
(Scolie prop.2)
Si l'esprit ne peut agir sur le corps, c'est que ni l'un ni l'autre ne peuvent s'extraire de la chaîne de déterminations.
Aussi différents que soient leurs rouages propres, ils sont pareillement inclus dans le fonctionnement d'un unique mécanisme : telle est la conception dite unisubstantielle de Spinoza.
Il en pose tous les tenants et aboutissants dans les deux premières parties du livre. Par exemple :
« La substance pensante et la substance étendue (= le réel ou plutôt le 'réalisé') sont une seule et même substance, que l'on embrasse tantôt sous l'un, tantôt sous l'autre attribut (…) Que nous concevions la nature sous l'attribut de l'étendue ou sous l'attribut de la pensée ou sous n'importe quel autre, nous trouverons un seul et même ordre, autrement dit un seul et même enchaînement des causes. »
(Scolie du corollaire de la prop.7 part.2)
Enchaînement rendant impertinente la notion de libre-arbitre, mais ouvrant pourtant à une forme de liberté : c'est le paradoxe au cœur du spinozisme, que nous commencerons à voir (sinon comprendre) la prochaine fois.
*La théorie quantique nous apprend qu'en fait oui, ça existe.