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  • Nature et précision (2) Ni ni

    « cet étant éternel et infini que nous appelons dieu, autrement dit la nature »

    (Préface Part.4 de l'Éthique)

    Le rapprochement dieu/nature a parfois suscité le réflexe lexico-pavlovien de coller l'étiquette panthéisme sur la pensée de Spinoza. Simpliste, non ? Absurde, surtout. Spinoza était un type conséquent dans sa lucidité : il ne se serait pas escrimé à dissoudre l'image monothéiste pour diffracter ensuite le divin dans un kaléidoscope.

    D'accord le panthéisme a ses atouts. C'est mimi et poétique, a priori plus inoffensif que le monothéisme (qui induit logiquement une pensée totalisante et exclusive, même si heureusement tous les monothéistes ne sacrifient pas à cette logique). Mais cela n'empêche qu'il participe du même tropisme de transcendance. Le panthéisme est transcendance camouflée, comme infusée à l'intérieur du réel.

    Pour Spinoza c'est kif kif, auquel répond son ni ni. Ni dieu-maître, ni non plus nixe nicette au cheveux verts et naine (c'est d'Apollinaire : joli, non ?)

     

    Sa nature à lui, estampillée DSN, est pure et simple, par-faite dit-il. Porteuse par elle-même et elle seule de la potentialité de se réaliser. L'occasion de vous seriner ma citation-fétiche Par réalité et perfection j'entends la même chose. (Part.2 déf.6 reprise dans appendice Part. 4).

    DSN est donc sans « arrière-monde », comme dirait Nietzsche, qu'on situe ledit arrière-monde au-delà ou en dedans. Mais précisons encore.

    La nature estampillée DSN n'est pas à identifier aux choses de la nature, fleurs, petits oiseaux, gros poissons, araignées, mammifères humains ou pas, graminées, volcans, fleuves. Ni même étoiles trous noirs cellules atomes quarks voire boson de Higgs.

    Elle inclut tout cela, incluant tout le réel réalisé. Mais le terme désigne aussi bien les lois physiques de la matière, du mouvement, de l'énergie. C'est une fonction nature-espace-temps, en permanente potentialité de réaliser du réel.

     

    En conclusion je dirai que Spinoza ne voit pas d'incompatibilité entre les points de vue d'Albert Einstein et de Nicolas Hulot. Remarquons cependant qu'il voit plutôt les choses à la façon d'Einstein.

    Nobody's perfect.

     

  • Nature et précision (1) Nature

    Je m'avise que dans la note précédente le mot nature peut prêter à confusion pour la lectrice-teur. Voici donc des précisions. Par flemmardise autant qu'acquiescentia in meo labore (oui je continue à être d'accord avec mes précédentes réflexions – comme quoi tout est possible en ce bas monde), je vais reprendre les entrées « Nature » et « Ni ni » de mon Spinoza de A à Z (19 et 21 mars 2016)

    « Nous avons montré, dans l'appendice de la première partie, que la nature n'agit pas en vue d'une fin ; car cet étant éternel et infini que nous appelons dieu, autrement dit la nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. »

    La préface de la Partie 4 de l'Éthique est un grand moment du livre, un grand moment de la philosophie, un grand moment tout court.

    Dieu autrement dit la nature, Deus sive Natura : trois mots qui ont fait couler pas mal d'encre et de salive. Déjà séparément chacun des deux poids-lourds, dieu et nature, a pu en compter des océans à son actif, dans plein de livres philosophiques ou pas. Dans plein de lieux, communs ou pas. Des mots qui ont fait couler aussi d'autres liquides disons moins anodins, sueur, sang.

    Mais dans l'Éthique c'est la collision des deux qui a suscité commentaires & interprétations.

    Le petit mot-cheville « sive » (= ou bien, autrement dit) y joue la vedette. Rôle rare pour un mot de sa catégorie : conjonctions, prépositions et autres outils qu'on emploie sans y prêter grande attention. Et qui pourtant portent parfois, comme ici, l'essentiel du propos.

    Autrement dit marque l'identité des deux notions, puisqu'elles peuvent être nommées par l'un ou l'autre mot indifféremment. Quoique.

    Plutôt qu'identité qui considère un rapport entre essences, il s'agit d'identification. Car si DSN (deussivenatura) agit par la même nécessité par laquelle il existe,  cela signifie 

    1) DSN n'a d'existence que dans un processus, une dynamique. « L'existence de dieu et son essence sont une seule même chose. » (Part.1 prop. 20)

    2) Il s'agit d'un déploiement sans fin, aux deux sens. Comme Bayard est sans peur et sans reproche, DSN est sans terme et sans plan/projet préexistant.

    3) Il n'y a donc personne aux commandes, créateur, démiurge ou quoi que ce soit, qui serait occupé à superviser, providentialiser depuis un PC extérieur au réel. Rien d'autre n'est que ce qui est en réalisation dans le processus d'existence.

     

    C'est ainsi que Spinoza dissout la distinction immanence/transcendance.

    En d'autres termes, « dieu » est soluble dans l'existant « nature ».

    Ce qui est tout simplement l'expérience pratique. Si on boit un café sucré, on ne boit pas sucre d'un côté et café de l'autre. Cela dit y a ceux qui sucrent et ceux qui sucrent pas. Y en a aussi qui édulcorent à l'aspartame, ce qui complique la question je vous l'accorde. (Pour moi ni sucre ni sucrette mais du lait SVP).

  • La raison du roseau

    « … ceux qui aiment mieux maudire les affects et actions des hommes, ou en rire, que les comprendre. Ceux-là, sans aucun doute, trouveront étonnant que j'entreprenne de traiter des vices et inepties des hommes à la façon géométrique, et que je veuille démontrer par raison certaine ce qu'ils ne cessent de proclamer contraire à la raison, vain, absurde, horrible. »

    (Spinoza. Éthique introduction partie 3)

     

    Ici est posée une opposition fondamentale, moyennant une déclinaison de termes. Dans une colonne : maudire, rire, proclamer, vices, inepties, vain, absurde, horrible. Dans une deuxième en regard : comprendre, démontrer, raison, façon géométrique. Opposition, pour la schématiser, entre prégnance du non-sens et recherche de rationalisation.

    Comment Spinoza résout-il cette opposition ? Il la dissout (ainsi fait-il, et c'est la même chose, avec immanence et transcendance) (cf en particulier 27-05-13 épisode 6 de ma série sur l'Éthique)

    « Mais voici ma raison. (…) les lois et règles de la nature selon lesquelles toute chose se fait (…) sont partout et toujours les mêmes, et par suite il ne doit y avoir également qu'une seule et même raison qui permette de comprendre la nature des choses, quelles qu'elles soient, à savoir par les lois et règles universelles de la nature.

    Et donc les affects (…) suivent les uns des autres par la même nécessité et vertu de la nature que les autres singuliers ; et partant, ils reconnaissent des causes précises (…) et ont des propriétés précises (…)

    Je traiterai donc de la nature des affects et de leurs forces, et de la puissance de l'esprit sur eux, suivant la même méthode que j'ai utilisée dans ce qui précède à propos de dieu* et de l'esprit, et je considérerai les actions et appétits humains comme s'il était question de lignes, de plans ou de corps (figures en 3D). » (ibidem)

    Il n'y a pas d'ailleurs à la nature, pas de fonctionnement alternatif à ses règles et lois. En particulier l'être humain ne peut, dit-il dans une célèbre formule, se concevoir comme un empire dans un empire. L'humain, corps et psychisme, est régi par les lois homogènes à l'ordre naturel. Ses pensées, sentiments, sensations (tout comme matière inanimée, animaux, univers dans son ensemble) sont branchés sur l'unique logiciel-programme de la nature, qu'il appelle ici une seule et même raison.

    En clair mettons que nous pensions un soupçon plus que le roseau (autrement en tous cas), mais une chose est sûre : il participe de la même raison que nous.

    Or l'un des accès les plus simples et directs dont nous disposions vers l'unique raison est la logique mathématique, qui en est l'épure. D'où l'Éthique démontrée selon l'ordre géométrique.

     

    *Spinoza écrit Affect Esprit Dieu etc. J'enlève les majuscules partout pareil.