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  • Raccord

    « Cette imitation des affects (…) rapportée au désir, s'appelle émulation, laquelle, partant, n'est rien d'autre que le désir d'une certaine chose qu'engendre en nous le fait que nous imaginons que d'autres, semblables à nous, ont le même désir. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.27)

     

    Du phénomène de spéculation précédemment décrit découle l'importance de l'imitation dans le comportement.

    L'émulation, telle qu'elle est ici définie, n'est autre que la rivalité mimétique théorisée en son temps par René Girard.

     

    Le fait que nous imaginons. Chacune des propositions depuis la prop.18* se situe dans le cas où c'est une imagination, une mise en images, qui est le moteur d'un affect.

     

    La servitude humaine, autrement dit la force des affects (titre de la part.4 d'Éthique) provient du pouvoir de ces images. À ce pouvoir Spinoza oppose en contre-pouvoir la puissance de l'intellect autrement dit la liberté humaine (titre part.5).

    On l'a vu plus haut (Esprit de corps), cette puissance consiste à raccorder le mécanisme des affects (sensations et sentiments), s'inscrivant dans le corps, à sa reconstruction logique en affects-idées. 

    Logique rendue possible parce que

    « La substance pensante et la substance étendue sont une seule et même substance, que l'on embrasse tantôt sous l'un, tantôt sous l'autre attribut (…) Que nous concevions la nature sous l'attribut de l'étendue ou sous l'attribut de la pensée ou sous n'importe quel autre, nous trouverons un seul et même ordre, autrement dit un seul et même enchaînement des causes. »

    (Scolie du corollaire de la prop.7 part.2)

     

    Seul ce raccordement logique permet à l'être humain de (se) penser adéquatement, c'est à dire « en toute connaissance de cause » (ou presque toute, ne rêvons pas).

    Et pour Spinoza la clé de la liberté humaine est exactement là, et pas ailleurs : dans la pensée adéquate.

     

    *L'homme, suite à l'image d'une chose passée ou future, est affecté du même affect de joie et de tristesse que suite à l'image d'une chose présente. (Cf Même si elle n'existe pas.)

     

  • Spéculation

    « De ce que nous imaginons une chose semblable à nous, que nous n'avons poursuivie d'aucun affect, affectée d'un certain affect, nous sommes par là même affectés d'un affect semblable. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.27)

     

    La géométrie spinoziste se fait ici clairement optique. Cette proposition pose un dispositif spéculaire (en miroir) dans lequel l'affect se produit moyennant la seule imagination (formation d'une image) d'une chose semblable à nous.

    Dans la mesure ou nous construisons de l'autre cette image semblable à nous (tel un reflet de nous-mêmes), cet autre a beau nous être indifférent, poursuivi d'aucun affect de notre part, nous assimilons notre affect à celui que nous lui supposons.

    Et l'autre fait de même avec nous.

    Ce phénomène de projection constitue l'inter-subjectivité humaine, dans laquelle la pensée ou le sentiment de l'autre ne sont accessibles que par ce que je peux en spéculer.

    (Et réciproquement pour lui bien sûr).

     

    Une savoureuse illustration en est donnée par l'histoire juive bien connue que Freud rapporte dans Le mot d'esprit dans son rapport avec l'inconscient.

    « Dans une gare de Galicie, deux Juifs se rencontrent dans un train.

    'Où vas-tu ?' demande l'un. 'À Cracovie', répond l'autre.

    'Regardez-moi ce menteur !' s'écrie le premier furieux. 'Si tu dis que tu vas à Cracovie, c'est bien que tu veux que je croie que tu vas à Lemberg. Seulement, moi je sais que tu vas vraiment à Cracovie. Alors pourquoi tu mens ?' »

     

    Lacan complétera cette réflexion sur la spéculation dans Le séminaire sur La lettre volée qui inaugure les Écrits.

    Il rappelle le passage où le détective Dupin explique son truc pour résoudre les cas les plus énigmatiques. « J'ai connu un enfant de huit ans, dont l'infaillibilité au jeu de pair ou impair faisait l'admiration universelle ».

    Quand Dupin lui demande comment il fait pour deviner son adversaire à tous les coups, l'enfant formule ce parfait usage des neurones miroirs, qui pourrait être un corollaire de la prop. 27 ci-dessus :

    « Quand je veux savoir jusqu'à quel point quelqu'un est circonspect ou stupide, jusqu'à quel point il est bon ou méchant, et quelles sont actuellement ses pensées, je compose mon visage d'après le sien, aussi exactement que possible, et j'attends alors pour savoir quelles pensées ou quels sentiments naîtront dans mon esprit ou dans mon cœur, comme pour s'appareiller et correspondre avec ma physionomie. »

    (Edgar Allan Poe. La lettre volée. Histoires extraordinaires)

     

    De ce qu'il ressent il déduit ce que l'autre ressent, de là il déduit comment il raisonne, et de là comment lui répondre pour gagner. CQFD. Huit ans et déjà parfait géomètre ...

     

  • Mytho

    « … l'orgueil (superbia) c'est une espèce de délire, parce que l'homme, les yeux ouverts, rêve qu'il peut toutes les choses qu'il atteint par la seule imagination et que de ce fait il contemple comme des réalités, et elles le transportent de joie aussi longtemps qu'il ne peut pas imaginer ce qui en exclut l'existence et limite sa puissance d'agir. L'orgueil est donc une joie née de ce qu'un homme fait de soi plus de cas qu'il n'est juste. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.26)

     

    Exemple aussi drôle qu'éloquent du rapport problématique entre imagination et réalité, qui est posé depuis la proposition 18 (cf Même s'il n'existe pas). L'imagination peut être re-présentation d'une chose réelle. Comme, tout autant, elle peut être figuration d'une chose fantasmatique.

     

    C'est pourquoi tout ce passage de la partie 3 cherche à poser la pertinence éthique du concept logique d'épreuve de réalité. La justesse, conformation à la logique, ouvre à la justesse de comportement, la justice.

    Je pense juste donc je suis sur la bonne voie.

     

    Inversement l'espèce de délire de l'orgueilleux, qui induit un comportement grotesque, clownesque, avant tout risible, peut aussi en faire un dévoyé, un pervers radicalement injuste, ne reconnaissant d'autre loi que la sienne.

    Et là on rit nettement moins.

    On n'ose imaginer les dégâts produits par un orgueilleux bouffon solennel* qui, occupant un poste éminent (genre président d'une puissance mondiale) (un exemple au hasard), ferait joujou avec son pouvoir d'imposer sa mythomanie sociopathe à tort, à travers, et au monde entier.

     

    Non mais là c'est moi qui délire, c'est impossible, tout le monde réagirait, non ?

     

    *cf Vol libre 31-08-19