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  • Foules sentimentales (14/16) Des moutons au dada

    Et voici que revient du diable vauvert un des plus fameux dadas freudiens : le mythe du « père de la horde », membre de son tiercé fétiche, les deux autres étant complexe d'Oedipe et pulsion de mort.

    Depuis son irruption dans Totem et Tabou (1912), Freud en a entendu des vertes et des pas mûres. Il rappelle ici qu'il n'a fait que broder un peu sur une idée de Darwin.

    Ajoutant « ceci n'est certes qu'une hypothèse comme tant d'autres par lesquelles les historiens de la préhistoire cherchent à éclairer l'obscurité des origines – un critique anglais non dépourvu de gentillesse l'appelait avec esprit une 'just so story' - mais je pense que c'est à l'honneur d'une telle hypothèse que d'être à même de créer cohérence et compréhension dans des domaines toujours nouveaux. »

    (Psychologie des foules et analyse du moi chap.10 La foule et la horde originaire)

     

    Voilà : ça, c'est fait (faut pas trop le chercher, Papa Sigmund).

     

    Sinon, le rapport avec la foule ?

    Le père de la horde est un tyran totalitaire, se réservant toutes les femelles du clan. En faisant ainsi « obstacle à la satisfaction des tendances sexuelles de ses fils, il les contraignait à faire abstinence et en conséquence à s'attacher affectivement à lui et les uns aux autres par des liens qui pouvaient naître des tendances à but sexuel inhibé. Il les contraignait pour ainsi dire à rentrer dans la psychologie des foules. »

    (cf supra Concept miracle 7/16).

     

    Le meneur de la foule est à considérer comme la transposition idéaliste de ce père monstrueux. Dans la horde originaire, « tous les fils se savaient persécutés de manière égale par le père originaire et le redoutaient de manière égale. »

    Dans les foules organisées comme l'armée et l'église, « il s'agit, nous l'avons vu, de l'illusion que le meneur aime tous les individus pris isolément de manière égale et juste. »

    Même transposition, même retournement, à propos de la capacité hypnotique du meneur. « L'hypnose a en soi quelque chose de franchement inquiétant », que Freud rapproche du Mana des chefs totémiques : de bienfaisant il peut se faire malfaisant, si les procédures du tabou sont enfreintes.

    L'individu enfoulé, projetant dans le meneur son idéal du moi, nourrit lui-même son mana supposé, et le « positive » en réalisant à travers lui son fantasme narcissique de toute puissance.

     

    Ainsi donc être un élément moutonnier de la foule est pour l'individu le moyen paradoxal de se croire possesseur de la puissance absolue du chef. Il l'assimile inconsciemment à un mythique père originaire, dans la mesure où il y voit l'incarnation-même du pouvoir, le pouvoir fait homme.

    Bref soumission réelle contre fantasme de pouvoir : un sacré marché de dupes.

  • Foules sentimentales (13/16) La pulsion quoiquesque

    Freud envisage la « pulsion grégaire » (On est toujours dans Psychologie des foules et analyse du moi chap.9) à partir du livre de Trotter Instincts of the herd in peace and war (Londres 1916).

    Trotter désigne la pulsion grégaire comme primaire et pas davantage dissociable.

    Il n'en faut pas plus pour attiser la pulsion quoiquesque de Sigmund, toujours porté à l'analyse sur l'axe synchronique (le donné actuel) autant que diachronique (chercher comment l'actuel s'est formé au cours du temps).

     

    Objection 1 Mister Trotter : vous tenez trop peu compte du rôle du meneur.

    Objection 2 : meuh non « l'angoisse du petit enfant délaissé ne s'apaise pas à la vue de n'importe qui d'autre 'du troupeau' », ce qui serait le cas si la pulsion grégaire était primaire.

     

    Freud pense plutôt qu'elle se construit de façon réactionnelle à une constante humaine. « (Le sentiment grégaire) se forme dans la nursery aux nombreux enfants, à partir du rapport des enfants à leurs parents, et il se forme en réaction à la jalousie initiale avec laquelle l'aîné accueille le plus jeune. »

    L'élimination du rival, ou simplement une hostilité trop forte à son égard est impossible sans dommage personnel : en l'occurrence déplaire aux parents qui aiment aussi ce nouvel enfant.

    Alors « il est contraint à l'identification aux autres enfants et il se forme dans la troupe d'enfants un sentiment de foule ou de communauté. »

    Bon ça vaut ce que ça vaut. En tous cas ça évoque un passage célèbre des Confessions de st Augustin, où un enfant tire la gueule en voyant son frère de lait à la mamelle. Et bien sûr l'histoire de Caïn et Abel Genèse chap.4.

     

    L'intéressant c'est ce que Freud en tire pour les bases du fonctionnement social.

    « La première exigence de cette formation réactionnelle est celle de la justice, de traitement égal pour tous. (…) Cette exigence d'égalité est la racine de la conscience sociale et du sentiment du devoir. »

    Je me sens partie-prenante de la société à condition que je ne me sente pas lésé. Mais inversement ce que je veux pour moi je dois aussi, logiquement, le vouloir pour les autres.

    « Le sentiment social repose ainsi sur le retournement d'un sentiment d'abord hostile en un lien à caractère positif, de la nature d'une identification. »

    Quoique, poursuit Freud, il y en ait un dans l'histoire qui soit « plus égal ».

     

    « Risquons-nous donc à corriger l'affirmation de Trotter : l'homme est un animal de troupeau (Herdentier), en disant qu'il serait plutôt un animal de horde (Hordentier), être individuel d'une horde menée par un chef.

     

  • Foules sentimentales (12/16) Trop faible seul

    Au chapitre suivant, Freud revient sur le comportement régressif de l'individu enfoulé :

    « Les signes d'affaiblissement du rendement intellectuel et de désinhibition de l'affectivité, l'incapacité de se modérer et de temporiser, la tendance au dépassement de toutes les limites dans l'expression des sentiments et à leur décharge totale dans l'action. »

    (Psychologie des foules et analyse du moi chap.9 La pulsion grégaire).

     

    Une telle régression est inhérente davantage aux foules ordinaires (un mot encore après éphémères et primaires) (le flou lexical signe les tâtonnements de la réflexion) qu'aux foules artificielles, hautement organisées.

    « Ainsi avons-nous l'impression d'un état dans lequel la motion affective isolée et l'acte intellectuel personnel de l'individu sont trop faibles pour se faire valoir seuls et sont absolument forcés d'attendre que la confirmation leur vienne d'une répétition identique chez les autres. »

    (Toute ressemblance avec la recherche de clics approbateurs sur les réseaux sociaux n'est pas fortuite).

     

    Et du coup forcément « l'énigme de l'influence de la suggestion s'accroît pour nous (…) et nous nous faisons le reproche d'avoir mis unilatéralement l'accent sur la relation au meneur, en repoussant injustement celui de la suggestion réciproque. »

     

    Parenthèse. Les écrits de Freud, s'ils sont intéressants par leur contenu, le sont au moins autant par leur mode de formulation. Freud associe le lecteur à sa réflexion en lui présentant au fur et à mesure les divers états d'un work in progress.

    Bon quiconque connaît un peu le bonhomme saura corriger en « ce qu'il donne pour » un work in progress. Vieille ficelle rhétorique de captatio benevolentiae.

     

    Pour ma part je marche, malgré la petite manipulation.

    J'y lis surtout une paradoxale et touchante naïveté dans l'exposition de son désir d'auteur :

    « ne me lâche pas lecteur, sans toi je parle dans le vide. Même si Onfray ou d'autres trouvent que je parle pour ne rien dire, c'est pas grave. Car le pire, vois-tu, c'est de ne parler pour personne. »