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  • Un temps pour tout (11/16) Qui sait ?

    Le Qohélet a commencé le chapitre 3 en alternant champ/contrechamp, et avec la caméra à l'épaule, à hauteur d'homme.

    À partir du v.9 il élargit la perspective, se place en surplomb pour considérer les choses du point de vue divin. Le point de vue à même, espère-t-il, de le sortir du brouillard pour trouver réponse à la question cruciale qu'il a placée en plein milieu du livre (cf 6/16) :

    « Qui sait ce qui est le mieux pour l'humain pendant l'existence, pendant les nombreux jours de sa vaine existence qu'il passe comme une ombre ?  » (Qo 6,12)

     

    De ce point de vue en surplomb, que voit-il ?

    « Je vois l'occupation que Dieu a donnée au fils d'Adam pour qu'ils s'y occupent. » (Qo 3,10) Euh oui mais encore ?

    Heureusement Chouraqui explicite : « J'ai vu l'intérêt qu'Elohim a donné aux fils de l'humain pour s'en violenter ».

    « J'ai encore vu sous le soleil qu'au siège du jugement là était la méchanceté, et qu'au siège de la justice, là était la méchanceté ». (3,16)

     

    La lucidité du Qohélet (je vois, j'ai vu) le conduit donc à rencontrer la figure d'un dieu pas franchement empathique envers son adam, et pas davantage motivé à jouer au justicier transcendant.

    Déprimant décidément, non ?

    Alors, ne reste plus à Qohélet qu'à essayer la méthode Coué :

    « Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin. » (3,11)

    Si je vois les choses en noir, c'est que ma vision est limitée. La beauté, l'achèvement de la construction divine ne sautent pas aux yeux mais, j'en ai l'intuition dans mon cœur, cette beauté se révélera en son temps.

    L'alternance des moments positifs et négatifs (cf 10/16) ne peut que produire un équilibre satisfaisant, à terme l'œuvre divine tombera forcément juste.

     

    « Je sais que tout ce que fait Dieu, cela durera toujours ; il n'y a rien à ajouter, ni rien à retrancher, et Dieu fait en sorte qu'on ait de la crainte devant sa face. »(3,14)

    «Je me suis dit en moi-même : Dieu jugera le juste et le méchant, car il y a un temps pour chaque chose et pour chaque action. » (3,17)

    Je sais, je me suis dit tentent d'interpréter positivement le constat déprimant je vois j'ai vu. Pourquoi pas ? Tout est bon de ce qui aide à vivre.

    L'ennui, c'est que la méthode Coué, elle aussi, ne peut avoir qu'un temps.

     

  • Un temps pour tout (10/16) Tout est relatif

    Après son odyssée existentielle, le Qohélet est donc rendu, littéralement, au point mort. « Voilà, je déteste la vie. » (Qo 2,17)

    Une phrase qui fait écho à celles de Job « Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein ? Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine et la vie aux êtres amers ? »

    (Jb 3, v.11 et 20)

     

    Leurs situations sont au départ comparables, tous deux sont des hommes de biens et de bien : riches, puissants, pieux et sages.

    La différence c'est que l'auto-malédiction de Job est réaction aux malheurs qui le frappent, réponse à l'incompréhensible malédiction divine.

    Le Qohèlet, lui, est désespéré sans raison objective. Il a tout pour être heureux (comme on dit), mais, en proie à une prégnante anhédonie, il ne peut que ressasser tout est vanité.

    Cet écran de fumée* qui obscurcit sa vision du monde peut s'interpréter comme le symptôme de sa mélancolie.

     

    La mélancolie est souvent associée à la bipolarité. Une bipolarité en effet décelable dans la formule initiale, dont on peut suivre le ressassement au long du livre : tout est fumée sous le soleil. L'existence se présente comme un tableau en clair-obscur, structurée de contrastes entre ombre et lumière.

    Le chapitre 3 commence (v.1-8) en parcourant chaque détail du tableau, chaque déclinaison du binôme clair-obscur.

     

    Ce texte bien connu est simple et beau. Il passe en revue les différents domaines de la condition humaine (vie physique, psychique, relations, travail) pour en dédramatiser les aléas. Comment ?

    Littéralement, il les relativise, rendant visible simultanément chaque terme et son pôle complémentaire.

    Ainsi le passage de l'un à l'autre est replacé dans le cadre d'une alternance normale, prévisible. Et peut être même souhaitable.

     

    « Un temps pour enfanter et un temps pour mourir » (v.2)

    « Un temps pour chercher et un temps pour perdre » (v.6)

    « Un temps pour se taire et un temps pour parler » (v.7)

    « Un temps de guerre et un temps de paix ». (v.8)

     

    Cette oscillation finit par donner au texte un rythme rassurant de berceuse.

    Comme une berceuse, il apporte le calme, la paix.

     

    C'est déjà pas mal. Mais notre Qohélet voudrait bien en finir une bonne fois avec ses affres, émerger de son brouillard.

     

     

    *Même symptôme en fait chez Caïn (Gen 4, 4-6). 

     

  • Un temps pour tout (9/16) Tout ça pour ça

    Dans la vanité des choses, finalement le seul but vraiment utile qu'on puisse se donner dans l'existence est la recherche du bonheur, se dit le Qohélet

    « Je me suis dit en moi-même : allons que je t'éprouve par la joie, goûte au bonheur ! » (Qo 2,1)

     

    Alors il décide d'explorer les voies réputées conduire au bonheur.

    « J'ai entrepris de grandes œuvres : je me suis bâti des maisons, planté des vignes (ben oui quand même), je me suis fait des jardins et des vergers, j'y ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers, je me suis fait des bassins pour arroser de leur eau une forêt de jeunes arbres. » (Qo 2, 4-6)

    Le roi a donc été un être humain agissant sur le monde pour lui faire donner son fruit, conformément au projet de Dieu soi-même  :

    « Dieu prit l'adam et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. » (Gen 2, 15)

    « L'homme d'action ne lâchera pas le monde extérieur sur lequel il peut éprouver sa force. » dit Freud pour sa part  (Malaise dans la culture chap.2).

    C'est un passage de Malaise où il suggère une typologie humaine selon la façon de chercher le bonheur et d'éviter la douleur.

    Outre l'homme d'action il évoque « l'homme principalement érotique (qui) privilégiera les relations de sentiments à d'autres personnes ».

    Une chose que le Qohélet a faite aussi : «Je me suis procuré des chanteurs et chanteuses, et, délices des fils d'Adam, une dame, des dames. » (Qo 2, 8).

    (allusion au harem de Salomon).

    Résultat ? « Eh bien ! Tout cela est vanité et poursuite de vent, on n'en a aucun profit sous le soleil. » (Qo 2, 11).

     

    Alors, dit Freud, c'est que tu dois être du troisième type : « Le narcissique qui incline plutôt à se suffire à lui-même cherchera dans ses processus animiques internes les satisfactions essentielles ».

    Je t'ai attendu, peut être ? (semble répondre le texte)

    Mais oui j'ai essayé ça aussi, le « travail sur soi », le « développement personnel » :

    « Je me suis aussi tourné, pour les considérer, vers sagesse, folie et sottise.

    (…) Le sage a les yeux là où il faut, l'insensé marche dans les ténébres. Mais je sais, moi, qu'à tous les deux un même sort arrivera.

    Alors moi je me dis en moi-même : ce qui arrive à l'insensé m'arrivera aussi, pourquoi donc ai-je été si sage ? Je me dis à moi-même que cela aussi est vanité. » (Qo 2, 12-15)

     

    Bref, j'ai tout essayé. Conclusion : tout ça pour ça.

    Plaisirs du corps, richesse, accomplissement d'un travail, d'une œuvre, vie relationnelle, famille, savoir, sagesse, vertu, jusqu'aux rites religieux (Qo 5, 1) : tout est vanité.

    « Voilà, je déteste la vie, car je trouve mauvais tout ce qui se fait sous le soleil : tout est vanité et poursuite de vent. » (Qo 2, 17)