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  • Un temps pour tout (14/16) Voir le soleil

    « Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, regarde : celui-ci autant que celui-là, Dieu les a faits. » (Qo 7,14)

     

    « Si l'homme vit de nombreuses années, qu'il se réjouisse en elles toutes, mais qu'il se souvienne que les jours sombres sont nombreux, que tout ce qui vient est vanité. » (11,8)

     

    La conjonction des deux sagesses, stoïcienne et épicurienne, ramène à l'idée qu'il y a un temps pour tout, rencontrée au début du chapitre 3 (cf 10/16)

    On a vu que grâce a elle Qohélet relativisait la bipolarité de son tempérament mélancolique.

    Ici, presque à la fin, Qohélet y revient. Rien de nouveau dans son texte comme sous le soleil ?

    Je vois deux choses qui font que cette reprise n'est pas répétition.

     

    Après plusieurs spirales d'entrelacement des fils sombres et lumineux, une chose apparaît : la bipolarité n'est pas juste le ressenti d'un poète, d'un philosophe un peu mélancolique. Elle est la caractéristique objective de toute vie.

    Si Qohélet et quelques autres qui lui ressemblent (tel Montaigne) s'en font l'écho mieux que d'autres, c'est tout simplement qu'ils y résonnent intimement, comme la corde vibre sur la bonne fréquence.

     

    La deuxième chose, c'est ça :

    « La sagesse est bonne comme un héritage, elle profite à ceux qui voient le soleil. » (Qo 7,11)

    « Douce est la lumière, c'est un plaisir pour les yeux de voir le soleil. » (11,7)

     

    Tout est vanité sous le soleil. Précisément : sous le soleil.

    Le brouillard des vanités peut cacher le soleil, mais il ne peut l'empêcher de briller, il ne peut l'empêcher d'être le soleil. La question est donc de se rendre capable du plaisir de voir le monde à la clarté du soleil sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont, c'est à dire vanités.

    C'est à cet ensoleillement du regard que commence (et finit) tout effort de sagesse.

    Mais on est d'accord, c'est plus facile les jours clairs où rien ne le cache, le soleil.

    Ou alors faut chercher un autre soleil.

     

  • Un temps pour tout (13/16) Et je fais l'éloge de la joie

    « Je vois qu'il n'y a rien de mieux pour l'humain que de jouir de ses œuvres car telle est sa part. » (Qo 3,22)

     

    Le comparatif mieux énonce la relativité, écarte l'absolu. La phrase répond, dirait-on, à « Dieu vit tout ce qu'il avait fait. Voilà, c'était très bon. » (Gen1,31).

    Réponse précautionneuse que ce comparatif, face au superlatif proclamé par le divin dans l'enthousiasme de son acte créateur. Telle est sa part  est affirmation d'humilité (humus = adama), renonciation à l'hubris.

    Chacun son domaine : à Dieu l'absolu de la vie, à l'humain une part de vie, limitée. Sa vie.

     

    Ce carpe diem va devenir l'autre refrain du texte, en contrepoint régulier de la ritournelle sur la vanité. Le fils lumineux entrelacé au fil noir (cf 6/16).

    Pour mieux en saisir la portée, mettons-le en regard de la double invalidation de l'existence à laquelle il répond. D'abord la mort est le dernier mot de l'existence.

    En outre, contrairement aux croyances religieuses, vaines comme le reste, nulle justice transcendante pour réparer dans l'au-delà une existence qui aura rencontré l'injustice et la souffrance ici-bas.

    « Regardez les pleurs des opprimés : ils n'ont pas de consolateur (…) Et moi je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore en vie. Et plus heureux que les deux celui qui n'a pas encore été, puisqu'il n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil. » (4,1-3)

    « Il y a une chose certaine : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. Car les vivants savent qu'ils mourront ; mais les morts ne savent rien du tout (…)

    Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces ; car il n'y a ni œuvre ni bilan ni sagesse dans le séjour des morts où tu t'en iras. » (9, 4-5 et 10)

     

    Bref le Qohélet a compris Que philosopher c'est apprendre à mourir. C'est son côté stoïcien.

    Cependant, comme Montaigne, il apprendra surtout à tracer son chemin personnel d'existence, en associant à la lucidité stoïcienne, parfois abstraite, une vision épicurienne terre à terre, proposant à l'adam de limiter son désir aux plaisirs naturels et nécessaires.

    Le mieux qu'on ait à faire de sa vie, c'est cultiver au jour le jour le plaisir de vivre. Ni plus ni moins.

    « Il est un fait, sur la terre, qui est vanité : il est des justes qui sont traités selon le fait des méchants et des méchants qui sont traités selon le fait des justes.

    J'ai déjà dit que cela est vanité et je fais l'éloge de la joie ; car il n'y a pour l'homme sous le soleil rien de bon sinon de manger, de boire, de se réjouir ; et cela l'accompagne dans son travail durant les jours d'existence que Dieu lui donne sous le soleil. » (8,14)

    La vie est vanité, on vit pour rien. La joie de vivre est l'autre face du pour rien, sa face lumineuse. La joie de la gratuité.

     

  • Un temps pour tout (12/16) Telle est sa part

    Foi en la providence, en une justice transcendante qui compensera un jour les souffrances …

    Sauf que tôt ou tard, un jour ou l'autre, on vient buter sur le mur de la réalité ultime. On a beau se raconter toutes les histoires qu'on veut, qu'on peut, on sait bien au fond que c'est elle qui a toujours le dernier mot.

    « Tout va vers un lieu unique, tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière. Qui sait si le souffle des fils d'Adam monte vers le haut tandis que le souffle des bêtes descend vers la terre ?»

    (Qo 3,20-21)

     

    Question rhétorique qui récuse, dans une logique matérialiste, la notion d'immortalité de l'âme (comme dans la plupart des textes bibliques du premier testament).

    Quand le déserte le souffle de vie, ne reste de l'Adam que la poignée de terre dont il est fait, il se dilue en poussière. Poussière, fumée, deux métaphores jumelles de la radicale évanescence de l'existence humaine.

    Bilan de la recherche du Qohélet : non-sens en deçà, non-sens au delà. Le pari pascalien ? Même pas en rêve.

     

    Alors, pragmatique, il revient à la question du bonheur terrestre, la seule qui garde quelque validité.

    « Qui sait ce qui est le mieux pour l'humain pendant l'existence, pendant les nombreux jours de sa vaine existence qu'il passe comme une ombre ?» (6,12)

    Qui sait ? Il y a peut être un dieu pour savoir. Mais on a vu qu'il garde la réponse pour lui : « sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin ». (3,11)

     

    Alors le Qohélet se donne sa propre réponse.

    « Je vois qu'il n'y a rien de mieux pour l'homme que de jouir de ses œuvres car telle est sa part. Qui en effet l'emmènera voir ce qui sera après lui ? » (3,22)

     

    Jusqu'alors il voyait surtout la fumée, en était obnubilé. Mais il y a comme une éclaircie dans le brouillard et le Qohélet ici voit au mieux qu'il peut.

    Impossible d'accéder à l'après : très bien, reste maintenant. Telle est la part humaine du temps. La part qu'il peut tenir en main : jouir de ses œuvres à lui dans son temps à lui. C'est sur ce carpe diem que se termine le chapitre 3.

     

    Le texte, à cet endroit, a livré l'essentiel de son propos, à mon sens. Ensuite, il parcourt une spirale de répétition. Comme si l'on montait et descendait un escalier, avec, sans surprise, vanité à tous les étages.

    L'espoir de justice, le succès, le pouvoir (chap.4,10), la religion elle-même car Dieu est dans le ciel et toi sur la terre (chap.5,1). La richesse, une vie longue (chap.6), la sagesse (chap.7,8,11) : vanités sur vanités, juste des nuances de noir dans la fumée.