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  • Staël l'impartiale (1/14) Pour saluer Germaine

    Les écrits de philosophie politique de Germaine de Staël (1766-1817) sont d'un intérêt égal à ceux de Tocqueville, voire de Rousseau (normal pour la fille de Necker éduquée en citoyenne genevoise).

    Pourtant on ne voit généralement en elle que la femme de lettres qui a écrit des romans d'amour. Moyennant sa double culture, elle a ouvert en France la voie au romantisme, ce nouveau mouvement qui naissait en Allemagne.

    Mais bon : littérature, romantisme, sentiments, des trucs de bonne femme, non ? Alors que penser, philosopher, qui plus est en politique, voilà une affaire qui mérite d'être préemptée par les hommes.

     

    Précisément Germaine revendique de penser la politique, d'en faire, à égalité avec les hommes. Mais pas comme la plupart de ceux qu'elle a vus à l'œuvre (ou à la destruction), enflammés d'ambition* et d'esprit de parti*.

    « Je ne sais pourquoi il serait plus difficile d'être impartial dans les questions de politique que dans les questions de morale : certes, les passions influent autant que les gouvernements sur le sort de la vie, et cependant, dans le silence de la retraite, on discute avec sa raison les sentiments qu'on a soi-même éprouvés ;

    il me paraît qu'il ne doit pas en coûter plus, pour parler philosophiquement des avantages ou des inconvénients des républiques et des monarchies, que pour analyser avec exactitude l'ambition, l'amour, et telle autre passion qui a décidé de notre existence. »

    (De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations.Introduction)

     

    Elle va ainsi affirmer l'enjeu radicalement éthique de la démocratie moderne. Malgré son implication dans les événements, elle a su trier le bon grain de l'ivraie dans la Révolution de France. Ce que peu ont su faire à chaud, dans le feu de l'action.

    Révolutionnaire aussi convaincue que lucide, elle considère que la mise en place d'une démocratie juste, efficace et pérenne est le cadeau de progrès que la Révolution peut et doit faire à l'humanité. Pour cela il faut arriver selon son expression à la terminer, à lui donner la forme la plus accomplie possible.

    Ce qui suppose de la débarrasser de deux dangers aussi mortels l'un que l'autre, dont elle fait tout au long de ses écrits ressortir la similitude en miroir.

    D'un côté le sectarisme des terroristes, répudiant une république de débat et de compromis au profit d'une dictature d'auto-proclamés représentants exclusifs du peuple.

    De l'autre la psycho-rigidité, l'esprit anti-progrès des royalistes accrochés à l'idée réactionnaire de restauration.

     

    De fait, si la Révolution dérape avec la terreur et la dictature des Comités, c'est surtout (pas seulement) parce que les royalistes deviennent de plus en plus réactionnaires. Ultras contre ultras, faucons contre faucons, on connaît toujours cela.

    Au milieu, pris en étau, des modérés, dont Germaine de Staël, cherchant une démocratie apaisée et vraiment participative.

     

    *Titre de deux de ses essais. La lecture de l'esprit de parti est précisément l'objet de ce parcours.

     

  • Un temps pour tout (16/16) C'est là tout l'humain

    Une question se pose, comme toujours dans la lecture biblique, à propos du statut de la figure divine.

    Dans le livre de Qohélet elle est lointaine, impénétrable, d'un piètre secours pour faire face à la vanité et la dureté de la condition humaine.

    Ce n'est pas la figure consolante du ps 125 par exemple :

    « Je lève mes yeux vers les montagnes. D'où viendra mon aide ?

    YHWH est ton gardien, YHWH est ton ombre à ta main droite. » (v.1 et 5)

     

    Ici ce serait presque le contraire, je dirais (cf 7/16). En outre, ni immortalité de l'âme, ni justice transcendante : impossible d'espérer compensation dans un au-delà qui chante.

    Cette absence, à tout le moins l'infinie distance de ce dieu lointain, on peut s'en désespérer, s'en révolter.

    Le livre du Qohélet commence ainsi dans le tragique métaphysique. Mais très vite il lui apparaît que la question métaphysique est passible de vanité, comme toute autre (cf 12/16).

    Que faire alors ?

    On peut tenter de combler le vide métaphysique par un absolu de rechange, et pour cela investir sur un mode eschatologique la politique, un quelconque projet, une idéologie ...

    Solution moderne qui n'effleure pas plus le Qohélet que les autres philosophes antiques de sa famille d'esprit, stoïciens, épicuriens.

    Reste alors à faire le deuil de l'absolu. Et rabattre la vaine question métaphysique sur l'enjeu éthique, celui qui est à notre portée.

     

    C'est dans cet esprit que le Qohélet résume la torah :

    «Crains Dieu et observe les commandements, car c'est là tout l'humain.» (cf 15/16)

    Crains Dieu, c'est à dire laisse-le à distance respectueuse : la torah se moque de la métaphysique. En revanche elle sait donner à l'homme quelques lumières (cf 15/16) pour faire bien l'homme, dans les limites, la relativité de sa condition humaine.

    « Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces » dit Qohélet.

     

    Conception humaniste, qui ne peut que nous ramener à son meilleur lecteur sous le soleil.

    « Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. »

    (Montaigne Essais II,12 Apologie de Raimond Sebon)

     

    Pas faux, non ? Et du coup sacrée responsabilité ...

     

  • Un temps pour tout (15/16) Illumine les yeux

    La question du soleil dans le texte du Qohélet, le rapport entre l'ombre et la lumière, suscite à bien des égards le rapprochement avec un autre texte biblique, le psaume 19.

    Vu que je suis toujours d'accord avec ce que j'en ai dit dans ce blog (sept 2018), j'y renverrais bien le lecteur-trice. Mais bon il aura la flemme d'aller voir je n'en doute pas (lucidité quand tu nous tiens).

    Je rappelle donc le propos, et son rapport à notre lecture actuelle.

     

    Le ps 19 commence « Les cieux racontent la présence d'El, et le firmament décrit l'œuvre de ses mains » (v.2). Pas franchement raccord avec tout est vanité sous le soleil.

    Sauf que ça continue « Le jour pour le jour exhale le dire, et la nuit pour la nuit vivifie la connaissance » : thématique semblable dans les deux textes du contraste entre l'ombre et la lumière.

    « Nul dire, nulle parole dont le son puisse s'entendre. » : même impossibilité de discerner le dessein de Dieu, voire de lui en supposer un.

    Le tout consonne chez le Qohélet avec « Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin. » (3,11)

     

    Autre point de convergence important : le statut de rhapsode de leurs auteurs. Qohélet le revendique on l'a vu (1/16). Le psaume 19 est visiblement composé à partir de deux textes différents cousus ensemble, avec une couture repérable au brusque changement thématique*, assorti d'un changement du nom divin (d'El à YHWH).

     

    Enfin si le psaume présente une création plutôt lumineuse et harmonieuse et Qohélet un monde assombri du brouillard des vanités, les deux y proposent à l'être humain, in fine, le même chemin de sagesse et de joie.

    « L'enseignement de YHWH, parfait, convertit l'être, le témoignage de YHWH, fidèle, donne au simple la sagesse.

    Les préceptes de YHWH, droits, réjouissent le cœur ; le commandement de YHWH, lumineux, illumine les yeux. » (ps 19, 8-9)

     

    Qohélet formule la même idée, même si c'est de façon plus sobre et nettement  moins poétique : « Fin du discours : Tout a été entendu. Crains Dieu et observe les commandements, car c'est là tout l'humain. » (Qo 12,13)

     

    Pour finir mon discours à moi, c'est sur cette fin du discours que je reviendrai la prochaine fois.

     

     

    *du tableau grandiose de la nature à l'évocation d'un homme à sa table d'étude, lisant la torah.