J'ai toujours envie de chanter en marchant, le rythme des pas appelant la réminiscence d'airs que j'aime écouter. Mais jusqu'à nos temps épidémiques, je ne le faisais pas, peur du ridicule aux yeux des autres passants.
Aux oreilles surtout, vu mes dons en la matière.
Bénéfice inattendu de l'épidémie, le masque m'a libérée.
Et j'entonne tout ce qui me vient, mezzo forte si les autres passants sont suffisamment loin, pianissimo quand ils se rapprochent.
Tout ce qui vient, sans trier, sans réfléchir.
L'inévitable Un kilomètre à pieds ça use ça use ...
L'enfantin Lundi matin, l'empereur sa femme et le petit prince ...
Plus élaboré, l'air martial (un des préférés paraît-il de son auteur) par lequel Figaro moque Chérubin : la vie militaire va t'apprendre la vie tout court, p'tit con, fini de faire le joli cœur, de papillonner de meuf en meuf. Non piu andrai farfallone amoroso …
Du coup il n'est pas rare que j'enchaîne Voi che sapete che cosa e amor (faut lui donner un tempo un peu énergique).
Puis je termine ma série avec Ein Mädchen oder Wei-eibchen wünscht Papage-e-no-o sich ...
Il y a enfin le plus indiqué pour une marche allègre : Freude schöne Götter Funken, Tochter aus Elysium ... Alle Menschen werden Brüder ...
Un facteur à vélo me double à toute allure. Il a mis sur haut-parleur son téléphone, et chantonne en slalomant entre les voitures (je me surprends à chercher la caméra de Tati).
It's been a hard day's night …
Comment résister ? Je suis sûre que Beethoven ne m'en voudra pas : on ne refuse pas la joie qui passe.