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  • Au gré du vent (3) Un petit coin de paradis

    Les rues étroites de la vieille ville accueillent pour l'été une installation constituée de parapluies multicolores (on pourrait dire ombrelles, vu la saison, mais je préfère le mot parapluie va savoir pourquoi).

    Accrochés en farandole sur un fil d'acier (qu'on va dire invisible), ils font lever la tête au passant et s'éclairer son regard.

    Leur mouvement matérialise le souffle de l'air, comme sur la partition les notes viennent traduire une inspiration. La brise les fait onduler souplement, le Mistral s'entrechoquer.

    Certains, leur blocage en position ouverte ayant cédé, s'ouvrent et se ferment. Une chorégraphie à la Jean-Paul Goude.

    Au lieu d'en être réduit à lécher des vitrines toutes semblables, toutes plus fades les unes que les autres, le passant  peut suçoter d'un regard gourmand des couleurs acidulées de bonbons anglais.

     

    La rue débouche sur la place en contrebas du château. En montant (par l'escalier le moins raide) je passe tout près de quatre de ces parapluies regroupés sous un olivier. Les Causeuses de Camille Claudel. Mais en version joyeuse.

    (Ce regard tendu qu'elles ont, les Causeuses de Camille, génial, oui, mais si dérangeant …)

    Sous les parapluies vert, rouge, jaune, bleu, je les imagine autrement, ces petites causeuses-là. Je crois voir des gamines exubérantes, au verbe aussi vif que leurs couleurs.

    Je crois les entendre rire (parapluies se marrant comme des baleines, logique non ?) à me voir grimper vers le château de mon pas précautionneux.

     

    Riez-en donc, petites filles,

    j'en ris aussi moi mère grand …

     

  • Au gré du vent (2) Mistral gagnant

    Je marche avec en tête la si belle phrase de Montaigne-encore-lui-oui-voilà-c'est-comme-ça : je me promène pour me promener (Essais III,4 De la diversion).

    Plus je me la répète, plus je la savoure. Et plus je me sens à ma place, ici, maintenant, parmi ces passants dont je ne sais pas pourquoi ils se promènent, eux.

    À vrai dire, il est clair que beaucoup, ne bénéficiant pas comme moi de l'oisiveté d'une vie de retraitée, ne se promènent pas. Ils filent, avancent, se hâtent d'arriver.

    Moi je vais sans hâte et ne vais nulle part.

     

    Et je me souviens. Ma mère disait : sortons un peu, il faut s'aérer. Quand soufflait le Mistral, ça pour s'aérer, on s'aérait.

    Mais à l'époque, j'aimais le vent, tous ses visages m'étaient amis. Mistral d'hiver violent, impétueux, sans réplique, mais si vivifiant. Mistral vert du printemps, Mistral d'automne jouant à faire tourbillonner les feuilles mortes. Mistral d'été qui révélait tout à coup le sens du mot bleu-marine et ourlait les vagues de dentelle blanche.

     

    Maintenant sortir par temps de Mistral m'oblige à dégainer une artillerie plus ou moins lourde de protection de mes fichues oreilles

    (l'hiver ça peut aller jusqu'à la technique coton dans les oreilles+ foulard+chapeau).

    Et je me souviens. Ma mère ne sortait jamais, par temps de Mistral, sans son foulard bien serré sous son menton. C'était certes la mode en ces années 60, mais quand même je la trouvais un peu bizarre, en mon for intérieur, d'être si précautionneuse.

    N'aimait-elle pas, comme moi, que le vent joue dans ses cheveux ?

    (Si j'avais eu le mot j'aurais pensé : Maman est carrément phobique).

     

    Maintenant je me méfie moi aussi des traîtrises du vent, bien obligée.

    Mais quelque part en moi l'enfant qui sortait s'aérer ressent toujours la même gratitude pour ses magistraux allègements.

     

  • Au gré du vent (1) Peu ambitieuse

    « Voulez-vous laisser aller la vie au gré du vent, qui lui fait doucement parcourir des situations diverses ; voulez-vous du plaisir pour chaque jour, sans le faire concourir à l'ensemble du bonheur dans toute la destinée, vous le pouvez facilement. »

    (G. de Staël. De la philosophie)

     

    Ah non ça suffit avec Germaine ! Entends-je s'exclamer le lecteur-trice.

    T'inquiète, lecteur, je veux juste ici souligner cette belle formule laisser aller la vie au gré du vent. Voilà qui me plaît, me fait du bien.

    Par exemple quand souffle ce satané Mistral, je veux bien essayer de m'en laisser alléger, grâce à la compagnie de Germaine. Au lieu de m'inquiéter pour ma gorge et mes oreilles, au lieu de pester contre le rafraîchissement (ou froid glacial selon la saison) qu'il amène, moi qui n'aime rien tant que la grosse chaleur (comme disait ma mère).

     

    Doucement parcourir des situations diverses m'évoque quelqu'un qui squatte toujours un coin de ma pensée.

    « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. »

    (Montaigne Essais III,13 De l'expérience) (Ah non ça suffit ! - T'inquiète ...)

     

    Oui, belle chose que parcourir sa vie comme on se promène (pas facile mais bon il s'agit d'essais).

    Dans ce beau verger on peut reconnaître il me semble l'éden biblique. Mais en sa version humaniste, sans angoisse de la faute, sans souci de satisfaire une figure divine (qu'on l'imagine sévère ou douce ne change pas grand chose).

    Avec pour seule responsabilité de faire bien l'homme.

    Une responsabilité assortie de cette joie qu'on nomme si justement joie de vivre. Une joie limitée, éphémère, pas l'ensemble du bonheur dans toute la destinée.

    À l'intérieur de ces limites pourtant, faire de la joie éphémère sa demeure ouverte au gré du vent.

     

    Vouloir du plaisir pour chaque jour, et apprendre à le saisir comme on le trouve, petit souvent, éphémère certes. Et le prendre de bon cœur, sans chercher plus loin (ni plus haut, ni plus fort).

    Car vous savez quoi : la volupté est qualité peu ambitieuse. (Essais III,5 Sur des vers de Virgile)

    (Ah non ! - C'est bon, c'est bon, j'arrête).