« Les souffrances qui nous touchent simplement par l'âme m'affligent beaucoup moins qu'elles ne font la plupart des hommes : partie par jugement (car le monde estime plusieurs choses horribles, ou évitables au prix de la vie, qui me sont à peu près indifférentes) ; partie par une complexion stupide et insensible que j'ai aux accidents qui ne donnent à moi de droit fil(1) (…)
Mais les souffrances vraiment essentielles et corporelles(2), je les goûte(3) bien vivement. Si est-ce pourtant que(4), les prévoyant autrefois d'une vue faible, délicate et amollie par la jouissance de cette longue et heureuse santé et repos que Dieu m'a prêté la meilleure part de mon âge, je les avais conçues par imagination si insupportables, qu'à la vérité j'en avais plus de peur que je n'y ai trouvé de mal : par où j'augmente toujours cette créance(5) que la plupart des facultés de notre âme, comme nous les employons, troublent plus le repos de la vie qu'elles n'y servent. »
(Montaigne Essais livre II chapitre 37 De la ressemblance des enfants aux pères)
(1)Directement. Expression référant à l'escrime.
(2)Il faut souligner l'association des deux termes : l'essence n'est pas ailleurs que dans le corps. Montaigne est radicalement non-idéaliste. (Cf L'épouser en somme)
(3)Les éprouve.
(4)Sauf que.
(5)Conviction.
La peur du mal est pire que le mal lui-même, c'est souvent vrai. Je souligne néanmoins dans la dernière phrase comme nous les employons. Il est des anticipations, des préparations, matérielles comme psychologiques, qui désamorcent l'angoisse (En tous cas c'est mon expérience) (mais bon c'est vrai que j'ai un tempérament un peu phobique peut être).
Freud dit l'angoisse est un pare-excitation. Entendant par là qu'elle peut prévenir le débordement du psychisme confronté à une atteinte trop brutale, ce qu'on appelle un trauma. Une sorte de mithridatisation psychique, si l'on veut. D'ailleurs en d'autres passages Montaigne le dit lui aussi, à sa façon.