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  • Des Essais en chair et en os

    « Je courrais d'un bout du monde à l'autre chercher un bon an de tranquillité plaisante et enjouée, moi qui n'ai d'autre fin que vivre et me réjouir. La tranquillité sombre et stupide se trouve assez pour moi, mais elle m'endort et entête ; je ne m'en contente pas.

    S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie aux champs, en la ville, en France ou ailleurs, resseante(1) ou voyagère, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes, il n'est que de siffler en paume, j'irai leur fournir des essais en chair et en os. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 5 Sur des vers de Virgile)

     

    (1)Qui reste sur son siège, donc casanière.

    Chaque fois que je relis ce passage, il m'émeut à nouveau. Même s'il est exprimé avec la pudeur et la légèreté de l'humour, je suis profondément touchée par ce désir de Montaigne que son lecteur virtuel, là-bas de l'autre côté des mots qu'il écrit, trouve une incarnation. Ce désir d'une rencontre face à face, en chair et en os.

    Et chaque fois j'ai envie de répondre, à cet ami dont les humeurs me sont si bonnes et bienfaisantes, j'ai envie de lui dire par-delà le temps : je suis là, venez.

    L'ennui c'est que je ne sais pas siffler.

     

  • Comme à l'enfance

    « Je marquais autrefois les jours pesants et ténébreux comme extraordinaires ; ceux-là sont tantôt les miens ordinaires ; les extraordinaires sont les beaux et sereins.

    Je m'en vais au train de tressaillir comme d'une nouvelle faveur quand aucune chose ne me deult.(1) Que je me chatouille, je ne puis tantôt plus arracher un pauvre rire de ce méchant corps.(...)

    C'est grand simplesse(2) d'allonger et anticiper, comme chacun fait, les incommodités humaines : j'aime mieux être moins longtemps vieil que d'être vieil avant que de l'être.

    Jusques aux moindres occasions de plaisir que je puis rencontrer, je les empoigne. (…) La volupté est qualité peu ambitieuse.(...)

    Je ne puis moins, en faveur de cette chétive condition où mon âge me pousse, que de lui fournir de jouets et d'amusoires,(3) comme à l'enfance : aussi y retombons-nous. »

    (Montaigne Essais livre III chapitre 5 Sur des vers de Virgile)

     

    (1)Ne me fait mal (verbe douloir).

    (2)Bêtise, idiotie, stupidité.

    (3)Lui fournir de jouets et d'amusoires : le fournir en jouets et amusements.

     

    Rien à ajouter.

     

  • Le plaisir, le jeu et le passetemps

    « Si quelqu'un me dit que c'est avilir les muses de s'en servir seulement de jouet et de passetemps, il ne sait pas, comme moi, combien vaut le plaisir, le jeu, et le passetemps. À peine que je ne die(1) tout autre fin être ridicule.

    Je vis du jour à la journée ; et, parlant en révérence, ne vis que pour moi : mes desseins se terminent là.

    J'étudiai, jeune, pour l'ostentation ; depuis, un peu, pour m'assagir ; à cette heure, pour m'ébattre ; jamais pour le quest.(2)»

    (Montaigne Essais livre III chapitre 3 De trois commerces)

     

    (1)Pour un peu je dirais.

    (2)Pour la recherche d'un savoir (qui peut dans certains cas être monnayé en un bénéfice plus sonnant et trébuchant).

     

    Les trois commerces (relations) dont il s'agit dans ce chapitre sont l'amitié, l'amour et la lecture. Sur ce dernier point il vient d'expliquer qu'il ne lit en fait qu'en dilettante.

    Les livres donnent commerce avec les muses, patronnes des arts et des sciences, choses sérieuses et de conséquence. Lui, il assume de ne fréquenter ces dames que pour le plaisir. D'en faire des camarades de jeu plutôt que des enseignantes.

    Or voilà : ce comportement, loin qu'il soit insultant pour les muses, un abaissement (avilir), il en fait un hommage. Le vrai sérieux se moque du sérieux