« Je courrais d'un bout du monde à l'autre chercher un bon an de tranquillité plaisante et enjouée, moi qui n'ai d'autre fin que vivre et me réjouir. La tranquillité sombre et stupide se trouve assez pour moi, mais elle m'endort et entête ; je ne m'en contente pas.
S'il y a quelque personne, quelque bonne compagnie aux champs, en la ville, en France ou ailleurs, resseante(1) ou voyagère, à qui mes humeurs soient bonnes, de qui les humeurs me soient bonnes, il n'est que de siffler en paume, j'irai leur fournir des essais en chair et en os. »
(Montaigne Essais livre III chapitre 5 Sur des vers de Virgile)
(1)Qui reste sur son siège, donc casanière.
Chaque fois que je relis ce passage, il m'émeut à nouveau. Même s'il est exprimé avec la pudeur et la légèreté de l'humour, je suis profondément touchée par ce désir de Montaigne que son lecteur virtuel, là-bas de l'autre côté des mots qu'il écrit, trouve une incarnation. Ce désir d'une rencontre face à face, en chair et en os.
Et chaque fois j'ai envie de répondre, à cet ami dont les humeurs me sont si bonnes et bienfaisantes, j'ai envie de lui dire par-delà le temps : je suis là, venez.
L'ennui c'est que je ne sais pas siffler.