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  • Reconnaissance à mon échec

    « n°303 : Deux hommes heureux.

    Cet homme, en dépit de sa jeunesse, est vraiment passé maître dans l'art de l'improvisation de la vie. (…)

    Il fait songer à ces musiciens virtuoses de l'improvisation auxquels l'auditeur voudrait attribuer aussi une infaillibilité divine de la main en dépit du fait qu'ils font une fausse note ici ou là, comme tout mortel fait des fausses notes. Mais ils sont entraînés et inventifs, toujours prêts à intégrer immédiatement à l'organisation thématique la note la plus fortuite à laquelle les pousse une pression du doigt, un caprice, et à insuffler au hasard une belle signification et une âme. – Voici un tout autre homme : il rate au fond tout ce qu'il veut et projette (…)

    Croyez-vous qu'il en soit malheureux ? Il y a longtemps qu'il a décidé pour lui-même de ne pas accorder trop d'importance à ses propres vœux et projets.

    ''Si je ne réussis pas telle chose, se dit-il, peut être réussirai-je telle autre ; et au fond, je ne sais pas si je ne dois pas plus de reconnaissance à mon échec qu'à n'importe quelle réussite. Suis-je donc fait pour être têtu et porter des cornes de taureau ? Ce qui fait pour moi la valeur et le fruit de la vie tient à autre chose. Je connais mieux la vie pour avoir été si souvent sur le point de la perdre : et c'est justement pourquoi je possède plus, en fait de vie, que vous tous !'' »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Certes j'ai appris (la vie m'a appris) à relativiser l'importance de mes vœux et projets. À admettre et reconnaître mes échecs. Mais de là à leur être reconnaissante …

    Pour tout dire, j'aurais préféré être du genre virtuose, capable d'improviser en duo avec le hasard et ses caprices. 

    Ben oui, désolée Friedrich, mais entre les deux formes de légèreté, personnellement j'aurais, si j'avais pu, choisi la plus facile.

     

  • Ils diluent l'amer

    « n°299 : Ce que l'on doit apprendre des artistes.

    De quels moyens disposons-nous pour nous rendre les choses belles, attirantes, désirables lorsqu'elles ne le sont pas ? – et je suis d'avis qu'elles ne le sont jamais en soi ! Nous avons ici quelque chose à apprendre des médecins lorsque par exemple ils diluent l'amer ou additionnent vin et sucre dans leur mélangeur ; mais plus encore des artistes, eux qui travaillent continuellement en réalité à effectuer de telles inventions et de tels tours de passe-passe. (…) C'est tout cela que nous devons apprendre des artistes, en étant pour le reste plus sages qu'eux. Car chez eux, cette force subtile qui leur est propre s'arrête d'ordinaire là où s'arrête l'art et où commence la vie ; mais nous, nous voulons être les poètes de notre vie, et d'abord dans les choses les plus modestes et les plus quotidiennes. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Oui beau programme, être les poètes de notre vie, rendre les choses belles, diluer l'amer. Programme attirant, mais pas si facile, non ? Et il ne suffit peut être pas de le vouloir, tu le sais bien, Friedrich – toi.

     

  • Saisi au vol

    « n°298 : Soupir.

    J'ai saisi cette idée au vol et je me suis jeté sur les premiers mots mal venus pour la fixer, afin qu'elle ne m'échappe pas une fois encore. Et voici à présent que ces mots arides me l'ont tuée, et qu'elle pend et se balance en eux – et je ne comprends plus guère, en la considérant, comment j'ai pu être si heureux en attrapant cet oiseau. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Un phénomène que connaissent beaucoup d'écrivains, de penseurs, de savants, lorsque, au décours d'un travail, ils sont tout à coup assaillis de toutes parts par des foules d'idées. Il faut alors noter au vol, tenter de saisir les oiseaux. Aussi rebelles que l'amour chanté par Carmen*.

    Lorsqu'il s'agit ensuite de reprendre ces choses notées en mots arides, leur donner fécondité dépend du type de travail que l'on a à faire. Et surtout de sa façon de le faire.

     

    On pourrait penser qu'en philosophie la beauté ou la force des mots notés sont secondaires, contrairement à ceux que l'on note en embryon d'un poème, par exemple.

    Mais voilà : le problème de Nietzsche le philologue, c'est qu'il est précisément de ces créateurs dont le mode de création repose sur l'intimité du lien entre langage et pensée, entre style et contenu de la parole (cf note du 13 avril Sous l'œil de la poésie).

    Et par conséquent les mots qui lui seront venus pour noter déterminent non seulement la qualité du travail fini, mais la possibilité-même de ce travail.

     

     

    *Après sa rupture avec Wagner (dont il finit par ne plus supporter le caractère despotique, et l'idéologie nationaliste), Friedrich fit l'éloge du Carmen de Bizet sur le mode : « ça au moins c'est une vraie musique, qui parle vraiment d'amour, pas comme Tristan et Isolde ou Parsifal, je dis ça je dis rien. »

    Perso je ne doute pas que Wagner était haïssable et son idéologie guère recommandable, mais bon côté génie quand même …