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  • Déterrer des trésors

    « n°310 : Volonté et vague.

    Avec quelle avidité s'avance cette vague, comme s'il lui fallait atteindre quelque chose ! Avec quelle précipitation terrifiante elle s'insinue jusque dans les recoins les plus profonds des rochers crevassés ! Il semble qu'elle veuille y arriver avant quelqu'un ; il semble qu'y soit caché quelque chose de valeur, de grande valeur.

    – Et la voici qui revient, un peu plus lentement, toute blanche encore d'excitation, – est-elle déçue ? A-t-elle trouvé ce qu'elle cherchait ? Fait-elle semblant d'être déçue ?

    – Mais déjà s'approche une autre vague, plus avide et plus sauvage encore que la première, et son âme aussi semble emplie de secrets et du désir de déterrer des trésors.

    C'est ainsi que vivent les vagues – et c'est ainsi que nous vivons, nous qui voulons ! »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Je ne sais pas si cette métaphore du désir, de la volonté, est vraiment efficace. On peut aussi bien, comme cette petite futée de Mafalda (dans les géniaux albums de Quino), trouver que la mer qui avance, puis recule, puis avance, puis recule, n'a aucune suite dans les idées …

    Mais ça n'empêche pas de savourer la poésie de ce texte. S'il y a un trésor, il est là, dans l'art de voir, de ressentir, de dire.

     

  • Car celui-ci a son jardin

    « n°306. Stoïciens et épicuriens.

    L'épicurien recherche la situation, les personnes et même les événements qui correspondent à sa disposition intellectuelle extrêmement excitable, il renonce au reste – c'est à dire à la plupart des choses –, parce que ce serait pour lui une nourriture trop forte et trop lourde.

    Le stoïcien au contraire s'entraîne à avaler pierres et vermine, éclats de verre et scorpions et à ne pas éprouver de dégoût ; son estomac doit finir par devenir indifférent à tout ce que le hasard de l'existence déverse en lui (…), il apprécie d'avoir un public d'invités qui assistent au spectacle de son insensibilité, public dont se passe volontiers l'épicurien : – car celui-ci a ''son jardin'' !

    Pour des hommes avec qui le destin improvise, pour ceux qui vivent à des époques violentes et dépendent d'hommes brusques et changeants, le stoïcisme peut être fortement conseillé.

    Mais qui prévoit d'une certaine manière que le destin lui permet de filer un long fil fait bien de s'organiser de manière épicurienne : tous les hommes qui se consacrent au travail intellectuel l'ont fait jusqu'à présent !

    Ce serait en effet pour eux une perte que d'être dépossédés de leur fine excitabilité et de se voir offrir en échange la dure peau stoïcienne aux piquants de hérisson. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    Voilà qui me suggère un rapprochement :

    « Au demeurant, j'ai toujours trouvé ce prétexte cérémonieux, qui ordonne si rigoureusement et exactement de tenir bonne contenance et un maintien dédaigneux et posé à la tolérance des maux. Pourquoi la philosophie, qui ne regarde que le vif et les effets, se va-t-elle amusant de ces apparences externes ? (…)

    Qu'importe que nous tordons nos bras, pourvu que nous ne tordons nos pensées ! Elle nous dresse pour nous, non pour autrui ; pour être, non pour sembler (…)

    Qu'aux efforts de la colique, elle maintienne l'âme capable de se reconnaître, de suivre son train accoutumé (…) capable de commerce, capable d'entretien jusques à certaine mesure (…)

    Si nous avons beau jeu, c'est peu que nous ayons mauvaise mine. Si le corps se soulage en se plaignant, qu'il le fasse (…)

    Nous avons assez de travail du mal sans nous travailler de ces règles superflues. »

    (Montaigne Essais II,37 De la ressemblance des enfants aux pères)

     

    L'un et l'autre pointent la pente orgueilleuse d'un certain stoïcisme. Cependant on peut dire que tous les deux avaient bien un peu la peau dure, même sans piquants de hérisson.

    (Quoique. La moustache de Friedrich … cf note du 30 mai Par expérience).

    Quant à la constatation que le souple épicurisme est une méthode plus efficace que la tension stoïcienne (encore qu'il ne faille pas trop forcer l'opposition) pour disons tenir la distance sur le chemin de la vie, comment ne pas la trouver de plus en plus juste au fur et à mesure que l'on vieillit ...

     

  • Le faire bien

    « n°304 : En faisant, nous ne faisons pas.

    Au fond, j'ai en horreur toutes les morales qui disent : ''Ne fais pas telle chose ! Renonce ! Dépasse-toi !'' – je suis en revanche bien disposé envers les morales qui m'incitent à faire quelque chose, à le refaire et ce du matin au soir, et à en rêver la nuit, et à ne penser à rien d'autre qu'à : le faire bien, aussi bien que moi seul, justement, je le peux !

    Qui vit de la sorte (…) c'est sans haine ni répugnance qu'il voit aujourd'hui telle chose, demain telle autre prendre congé de lui, telles les feuilles jaunies que chaque petit coup de vent un peu vigoureux ravit à l'arbre : ou bien il ne voit pas du tout qu'elles prennent congé, tant son œil fixe fermement son but et regarde de manière générale en avant, non pas de côté, en arrière, en bas.

    ''Notre faire doit déterminer ce que nous ne faisons pas : en faisant, nous ne faisons pas'' – voilà ce qui me plaît, tel est mon placitum. Mais je ne veux pas tendre les yeux ouverts à mon appauvrissement, je n'ai nul goût pour toutes ces vertus négatives, – vertus qui ont pour essence la négation et le renoncement à soi eux-mêmes. »

    (Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)

     

    La dernière phrase vient lever une ambiguïté, éviter un contresens sur la maxime en faisant, nous ne faisons pas. Il ne s'agit pas de prôner un type de « lâcher prise » qui confinerait à l'apathie, à l'aboulie, à l'inaction.

    En réalité le propos est de mettre l'accent sur la notion de choix : faire une chose, c'est choisir, ou au moins assumer de ne pas en faire une autre. Le renoncement n'est pas valorisé en soi, c'est juste une des conditions d'un véritable accomplissement.

    Ce que dit la belle métaphore de l'arbre. Si des feuilles tombent, c'est sous l'effet d'un petit coup de vent un peu vigoureux, autrement dit du souffle de la vie qui va.

    Ou, si l'on préfère le dire à la façon de Zarathoustra :

    « Tu te dis libre ? Je veux entendre ta pensée souveraine, et non être informé que tu as échappé à un joug. » (De la voie du créateur)