« n°294 : Contre les calomniateurs de la nature.
Ils me sont désagréables, les hommes chez qui tout penchant naturel se transforme aussitôt en maladie, en quelque chose qui dénature et déshonore, – ce sont eux qui nous ont incités à croire que les penchants et pulsions de l'homme sont mauvais ; ils sont la cause de la grande injustice envers notre nature, envers toute nature ! Il y a bon nombre d'hommes qui ont le droit de s'abandonner à leurs pulsions avec grâce et insouciance : mais ils ne le font pas, par peur de cette imaginaire ''essence mauvaise'' de la nature !
De là vient le fait que l'on trouve si peu de noblesse parmi les hommes : le signe distinctif de celle-ci sera toujours de ne pas avoir peur de soi-même, de ne rien attendre de déshonorant de soi, de voler sans hésitation dans la direction où nous sommes poussés – nous, oiseaux qui sommes nés libres ! Quel que soit le lieu où nous parviendrons, nous y trouverons toujours autour de nous liberté et lumière du soleil. »
(Friedrich Nietzsche Le Gai Savoir Quatrième livre)
« 297 : Savoir contredire.
Chacun sait aujourd'hui que savoir supporter la contradiction est un signe élevé de culture (…) Mais le fait de savoir contredire, l'accession à la bonne conscience dans l'hostilité envers l'habituel, le transmis par la tradition, le consacré, – c'est (…) ce qu'il y a de vraiment grand, nouveau, étonnant dans notre culture, le pas de géant de l'esprit libéré : qui sait cela ? – »
Bon alors oui, ce sont de telles assertions qui font réfléchir à deux fois avant de mettre Nietzsche entre toutes les oreilles. On ne voit que trop comment certains pourraient s'en autoriser pour se laisser aller à leurs pires penchants. Et certains l'ont fait, d'ailleurs.
Ce sont de telles phrases que la sœur de Friedrich et son beau-frère (adhérent zélé du parti nazi) ont utilisées sans vergogne pour pervertir certains concepts nietzschéens, en particulier celui de surhumain.
Cette noblesse, cette liberté que Nietzsche espère d'un rapport confiant à la nature et d'un savoir-contredire, il vaudrait donc mieux, avant de s'abandonner à ses pulsions, qu'elles fussent déjà un peu là quand même, comme elles étaient là en lui.
Sans quoi ce n'est pas la grâce et l'insouciance d'un oiseau libre qui adviendra …
Comme Friedrich, on peut espérer, bien sûr, que beaucoup d'humains soient gratifiés par la nature de cette noblesse. Mais le plus sûr, il me semble (et en fait il me semble qu'il lui semble aussi), est encore de les instruire et de les éduquer en ce sens.
Non sans tenir compte du conseil qu'il donne plus haut (n°292 Alchimie à l'envers) aux « prédicateurs de morale ».
Pas simple, hein. Décidément Nietzsche nous en demande beaucoup. Mais ce que nous pouvons y trouver, ce qu'il nous donne en retour, cela en vaut la peine.