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Blog - Page 12

  • Dans nos derniers retranchements

    Je n'avais encore jamais lu les Carnets de Camus. Les citations qu'en fait Jean Birnbaum dans son livre Le courage de la nuance (cf mon parcours précédent) m'ont donné envie de m'y plonger. Et comme d'habitude, je ne sais pas faire autrement : ce que je lis je l'écris. Je commence donc ici un parcours à travers le premier tome de ces carnets, qui couvre la période mai 35 février 42.

     

    « À des gens riches le ciel, donné par surcroît, parait un don naturel. Pour les gens pauvres, son caractère de grâce infinie lui est restitué. » (Mai 35)

    J'apprécie l'inversion malicieuse (autant que politique) de la phrase du texte évangélique (Matthieu 6, 31-33) :

    « Ne vous inquiétez donc pas en disant : ''Qu'allons-nous manger, qu'allons-nous boire, de quoi allons-nous nous vêtir ?'' – tout cela, les païens le recherchent sans répit – il sait bien, votre père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d'abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. »

     

    « Grenier *: nous nous mésestimons toujours. Mais pauvreté, maladie, solitude : nous prenons conscience de notre éternité. ''Il faut nous pousser dans nos derniers retranchements''. C'est exactement cela, ni plus ni moins. » (Mai 35)

    Et à pauvreté, maladie, solitude, j'ajoute : vieillesse**. La vieillesse qui nous pousse dans nos derniers retranchements (vraiment les derniers pour le coup), et nous fait prendre conscience de certaines qualités, de certains défauts jusqu'alors inaperçus ou minimisés. Ainsi plus de mésestime, mais l'exacte estimation de nos forces, de nos faiblesses, de nos générosités, de nos petitesses.

    *Jean Grenier était le professeur de philo de Camus au lycée.

    **Camus n'aura jamais pu le dire, n'ayant pas fait l'expérience de la vieillesse, le seul de ces quatre dépouillements qui exige du temps.

     

    « Jeune, je demandais aux êtres plus qu'ils ne pouvaient donner : une amitié continuelle, une émotion permanente.

    Je sais leur demander maintenant moins qu'ils peuvent donner : une compagnie sans phrases. Et leurs émotions, leur amitié, leurs gestes nobles gardent à mes yeux leur valeur entière de miracle : un entier effet de la grâce. »

    Jeune/maintenant : voilà qui a assez de sel, vu que Camus écrit ces phrases en 1935, à 22 ans donc ...

    En fait ce qu'il note n'est pas tant une évolution due à l'accumulation d'expériences que construit le déroulement du temps. Le maintenant ici note un « moment », une prise de conscience qui départage deux temps.

    Mon petit fils, qui avait alors 7 ans environ, m'a dit une fois c'est un ami que j'avais quand j'étais enfant. Cela m'avait amusée d'abord, et puis j'ai compris : c'était de cela qu'il parlait, la prise de conscience qu'on a subjectivement changé de temps.

    En tous cas c'est vrai que ne pas attendre quelque chose de spécial des autres permet de recevoir ce qu'ils donnent à sa juste valeur, et qui est parfois c'est vrai celle d'un miracle.

     

  • Leurs mots pour le dire : La liberté, la dignité, tout ça

     

    « Tu ne me demandes pas le titre ?

    -Dis-le moi.

    -Ça s'appelle ''Éducation européenne''. C'est Tadek Chmura qui m'a suggéré ce titre. Il lui donnait évidemment un sens ironique ... Éducation européenne, pour lui, ce sont les bombes, les massacres, les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous, comme des bêtes …

    Mais moi je relève le défi. On peut me dire tant qu'on voudra que la liberté, la dignité, l'honneur d'être un homme, tout ça, enfin, c'est seulement un conte de nourrice, un conte de fées pour lequel on se fait tuer.

    La vérité, c'est qu'il y a des moments dans l'histoire, des moments comme celui que nous vivons, où tout ce qui empêche l'homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d'une cachette, d'un refuge.

    Ce refuge, parfois, c'est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre. Je voudrais que mon livre soit un de ces refuges, qu'en l'ouvrant, après la guerre, quand tout sera fini, les hommes retrouvent leur bien intact, qu'ils sachent qu'on a pu nous forcer à vivre comme des bêtes, mais qu'on n'a pas pu nous forcer à désespérer.

    Il n'y a pas d'art désespéré – le désespoir, c'est seulement un manque de talent. »

    (Romain Gary Éducation européenne)

     

    Cité par Jean Birnbaum dans Le Courage de la nuance