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Blog - Page 170

  • La passion de la raison (3/22) La durée et le bonheur

    Comme le dit le titre à rallonge, Germaine prévoit au départ deux parties pour De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations : l'une sur le bonheur individuel, l'autre sur le bonheur politique.

     

    On verra la prochaine fois le plan de la première partie. Dans la seconde

    « je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l'influence qu'ils ont laissée aux passions naturelles des hommes réunis en société

    (…) je traiterai des raisons qui se sont opposées à la durée et surtout au bonheur des gouvernements, où toutes les passions ont été comprimées. (...)

    je traiterai des raisons qui se sont opposées au bonheur et surtout à la durée des gouvernements, où toutes les passions ont été excitées. » (De l'influence etc. Introduction)

     

    Parallèle qui est déjà une argumentation.

    Le régime politique qui comprime les passions est un tue-bonheur des citoyens, ce qui à terme le condamne : elle pense encore à la Terreur bien sûr. (Depuis d'autres exemples n'ont pas manqué).

    À l'inverse le régime qui compte durer en excitant toutes les passions fait un mauvais calcul. Passions des uns égale malheur des autres, et vice-versa. Résultat à terme : insatisfaction de tous.

    Et forcément c'est au gouvernement que tous s'en prennent, dans une belle symétrie de raisons inverses.

     

    Dans ces conditions, comment concilier durée et bonheur du gouvernement ? Germaine ne fait pas mystère de sa solution :

    « Je terminerai par des réflexions sur la nature des constitutions représentatives, qui peuvent concilier une partie des avantages regrettés dans les divers gouvernements. »

    Une démocratie représentative, république ou monarchie constitutionnelle, selon le mieux adapté au contexte du pays.

     

    Pour des raisons pas vraiment élucidées, elle n'écrira que la 1ère partie du livre, sur le bonheur individuel.

    D'une certaine manière elle le pressent : « Si les accidents de la vie ou les peines du cœur bornaient le cours de ma destinée, je voudrais qu'un autre accomplît le plan que je me suis proposé. »

     

    Quant à la deuxième partie :

    « Il faudrait mettre absolument de côté tout ce qui tient à l'esprit de parti* ou aux circonstances actuelles ; la superstition de la royauté, la juste horreur qu'inspirent les crimes dont nous avons été témoins, l'enthousiasme-même de la république, ce sentiment qui, dans sa pureté, est le plus élevé que l'homme puisse concevoir. Il faudrait examiner les institutions dans leur essence même. »

     

    Autrement dit son projet était de reprendre, après le tumulte révolutionnaire, celui de Montesquieu dans l'Esprit des lois.

    Mais voilà : les accidents de la vie en auront décidé autrement.

     

    *dont on a vu les caractères et les dégâts dans la lecture précédente (Staël l'impartiale).

  • La passion de la raison (2/22) On est d'accord je pense

    « Quelle époque ai-je choisie pour faire un traité sur le bonheur »

    (G. de Staël De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Introduction)

     

    On pourrait lui répondre que c'est surtout son époque qui l'a choisie, une de ces époques chaotiques qui assignent à penser sous peine d'y perdre la raison. À supposer qu'on ait réussi à sauver sa tête (ce que Germaine a fait – de peu).

    (On me répondra à moi que ce genre d'époque n'a pas manqué dans l'Histoire avec sa grande hache, avant comme après la Révolution française, et j'en conviens).

     

    Comme un grand nombre des élites de l'époque, lecteurs enthousiastes des philosophes des Lumières, Germaine a vu naître avec joie la Révolution française, convaincue que l'Histoire y trouverait la possibilité de « concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies » (cf 1).

     

    Sauf que. Les acteurs de la Révolution n'ont pas tous eu cette sagesse, et le démon de l'esprit de parti (qui n'a plus de secret pour vous mes lecteurs) s'est emparé de certains. Et il a travaillé à disjoindre, à rendre irréconciliables, ces deux éléments, liberté et calme, dont la complémentarité construit l'harmonie civile.

     

    « On est d'accord, je pense, sur l'impossibilité du despotisme, ou de l'établissement de tout pouvoir qui n'a pas pour but le bonheur de tous ; on l'est aussi, sans doute, sur l'absurdité d'une Constitution démagogique* qui bouleverserait la société au nom du peuple qui la compose. »

     

    Impossibilité : elle ne veut pas dire que ça n'ait pas existé (certes) ni que ça ne puisse exister (hélas), mais juste que ce n'est pas la bonne option.

    *« J'entends par Constitution démagogique, celle qui met le peuple en fermentation, confond tous les pouvoirs, enfin la constitution de 1793. » dit-elle en note.

    En clair : honte à toi Maximilien. Voilà, ça c'est fait …

    Mais de fait elle ne pourra s'empêcher d'y revenir à plusieurs reprises dans le livre, si intense fut le trauma de la Terreur pour «nous, les contemporains, les compatriotes des victimes immolées dans ces jours de sang »

     

    Néanmoins, signature de sa force d'intellect et de caractère, autant que de la sincérité de son désir démocratique, Germaine l'impartiale ne se laisse pas entraîner à jeter le bébé avec l'eau du bain (de sang).

    « C'est donc en écartant cette époque monstrueuse, c'est à l'aide des autres événements principaux de la Révolution de France et de l'histoire de tous les peuples, que j'essaierai de réunir des observations impartiales sur tous les gouvernements. »

     

  • La passion de la raison (1/22) Le bonheur tel qu'on peut l'obtenir

    « Quelle époque ai-je choisie pour faire un traité sur le bonheur des individus et des nations ! » s'exclame Germaine de Staël* en commençant De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations

    (1796. Dans cet ensemble d'essais est inclus De l'esprit de parti qu'on vient de lire).

     

    Ce titre ne peut manquer d'évoquer le mot célèbre de Saint-Just Le bonheur est une idée neuve en Europe.** Pour en admettre la pertinence, il faut à mon avis le compléter : le bonheur pour tous.

    En fait l'idée neuve à cette époque, c'est plutôt l'égalité. C'est au nom de l'égalité que Saint-Just et ses copains n'ont pas hésité à couper court au bonheur de pas mal de monde …

     

    « Avant d'aller plus loin, l'on demanderait, peut être, une définition du bonheur » (oui bonne idée)

    « le bonheur, tel qu'on le souhaite, est la réunion de tous les contraires ;

    c'est, pour les individus, l'espoir sans la crainte, l'activité sans l'inquiétude, la gloire sans la calomnie, l'amour sans l'inconstance, (…) le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne »

    (De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Introduction)

     

    Autrement dit le beurre, l'argent du beurre, et le sourire de la Suissesse. Souhait rarement exaucé pour un individu, Germaine en a su quelque chose pour son compte, elle le dira.

     

    Quant au plan collectif

    « Le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l'émulation des talents et le silence des factions, l'esprit militaire au dehors et le respect des lois au-dedans »

    Voilà qui évoque les questions que soulèvera Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique.

     

    Bref si l'on résume la situation « le bonheur, tel que l'homme le conçoit, c'est ce qui est impossible en tout genre »

    Mais ce n'est pas une raison pour y renoncer. Faut juste y travailler un peu :

    « le bonheur, tel qu'on peut l'obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l'homme peuvent agir, ne s'acquiert que par l'étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. C'est à la recherche de ce but que ce livre est destiné. »

    Voyons donc.

     

    *Encore ? Ben oui en fait j'ai eu envie de rester encore un peu en sa compagnie. Et de l'écouter nous parler aussi d'autre chose que de politique (qui a dit ouf ?)

    **Allusion au « droit au bonheur » inscrit dans la toute jeune Constitution des Etats-Unis.