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Blog - Page 166

  • La passion de la raison (15/22) Rien qui exige plus de délicatesse

    « J'ai dit (...) qu'en considérant toujours (même si je considère) la vertu comme la base de l'existence de l'homme, je n'examinerais les devoirs et les affections que dans leur rapport avec le bonheur. »

    (G de Staël. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale).

     

    Affection entre parents et enfants, d'abord.

    « Il y a dans ces liens une inégalité naturelle qui ne permet jamais une affection du même genre, ni au même degré (…)

    soit que les enfants chérissent leurs parents plus qu'ils n'en sont aimés, soit que les parents éprouvent pour leurs enfants plus de sentiments qu'ils ne leur en inspirent. »

    Dans cette relation par nature asymétrique, poursuit Germaine, les parents

    « ont beaucoup des avantages et des inconvénients des rois. »

    Plus de pouvoir (surtout au début), donc plus de responsabilité.

    « Il n'est rien qui exige plus de délicatesse de la part des parents que la méthode qu'il faut suivre pour diriger la vie de leurs enfants sans aliéner leur cœur. »

    Tout repose, pour être un parent digne de ce nom, sur l'acceptation de la loi de la vie qui fait des enfants des successeurs, presque des rivaux.

    Écho (volontaire ?) à Montaigne

    « Si nous avions à craindre cela, puisque l'ordre des choses porte qu'ils ne peuvent, à dire vérité, être, ni vivre qu'aux dépens de notre être et de notre vie, nous ne devions pas nous mêler d'être pères. »

    (Essais II,8 De l'affection des pères aux enfants)

     

    Quant à la tendresse conjugale, elle est le fait « des circonstances qui, sans le secours-même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer. »

    Le problème, ajoute Montaigne (maintenant qu'il est là hein), c'est que « il y survient mille fusées (fuseaux, pelotes = embrouillaminis) étrangères à démêler parmi, suffisantes à rompre le fil et troubler le cours d'une vive affection »

    (Essais I,28 De l'amitié)

     

    Vous l'avez dit, cher ami, approuverait sans doute Germaine, voilà pourquoi

    « Il faut, pour maintenir la paix dans cette relation, une sorte d'empire sur soi-même, de force, de sacrifice, qui rapproche beaucoup plus cette existence des plaisirs de la vertu que des jouissances de la passion. »

     

    Bref « La conclusion, c'est que les âmes ardentes éprouvent par l'amitié, par les liens de la nature, plusieurs des peines attachées à la passion (…)

    Le sentiment (…) n'est jamais une ressource qu'on trouve en soi ; il met toujours le bonheur dans la dépendance de la destinée, du caractère, et de l'attachement des autres. »

    Dépendance des autres : le remède en serait-il la remise à un Autre, Dieu pour ne pas le nommer ? On verra ce que Germaine en dit la prochaine fois.

     

  • La passion de la raison (14/22) Ces attachements purs et vrais

    « Je considérerai d'abord dans l'amitié non ces liaisons fondées sur divers genres de convenances qu'il faut attribuer à l'ambition et à la vanité,

    mais ces attachements purs et vrais, nés du simple choix du cœur dont l'unique cause est de communiquer ses sentiments et ses pensées, l'espoir d'intéresser :

    la douce assurance que ses plaisirs et ses peines répondent à un autre cœur. »

    (G de Staël. De l'amitié)

     

    Voilà, ça c'est l'idéal. Le problème, c'est que la vanité peut n'être jamais très loin, provoquant une rivalité plus ou moins avouée.

    « Quel abandon d'amour-propre il faut supposer pour croire qu'en se confiant on ne se mesure jamais, qu'on exclut du tête-à-tête tout jugement comparatif sur le mérite de son ami et sur le sien, et qu'on s'est connus sans se classer ! »

    Germaine donne ici le remède en même temps que le mal : tenir à distance l'amour-propre, porté à la comparaison, au profit de son double positif, l'acquiescentia in se ipso (dit Spinoza), le tranquille consentement à soi.

    Ainsi devient possible la rencontre de l'autre, dans une simplicité joyeuse, juste parce que (c'est) lui, parce que (c'est) moi.

    Non-comparaison implique symétrie dans la considération. Et symétrie implique un caractère essentiel de l'amitié véritable aux yeux de Germaine, la réciprocité.

    « L'amour se passerait bien plutôt de réciprocité que l'amitié ».

    « Comme il est impossible de séparer l'amitié des actions qu'elle inspire, les services réciproques sont un des liens qui doivent nécessairement en résulter. »

    Réciprocité de services qui lui a manqué de la part de quelques amis ingrats, note-t-elle au passage (sans les nommer), pour lesquels pourtant elle n'avait pas ménagé sa peine lorsqu'ils avaient eu besoin d'elle.

    Néanmoins, en femme profondément libre, c'est sans amertume qu'elle conclut :

    « C'est parce que le cœur est fait ainsi, que je me suis réservé de peindre la bonté comme une ressource plus assurée que l'amitié, et meilleure pour le repos des âmes passionnément sensibles. »

    La bonté sera envisagée dans sa troisième partie sous le nom de bienfaisance.

     

  • La passion de la raison (13/22) Une sorte de philosophie dans l'esprit

    La section II de De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, G. de Staël l'intitule

    Des sentiments qui sont l'intermédiaire entre les passions et les ressources qu'on trouve en soi.

    En voici le plan.

     

    Chap 1 Explication du titre de la seconde section.

    Chap 2 De l'amitié.

    Chap 3 De la tendresse filiale, paternelle et conjugale.

    Chap 4 De la religion.

     

    Arrêtons-nous sur le mot intermédiaire : qu'est-ce à dire ?

    Ce qu'elle nomme sentiments présentent une bivalence (comme on dirait en chimie) d'un côté beaucoup des inconvénients des passions, de l'autre la plupart des avantages des ressources qu'on trouve en soi.

     

    Je rappelle la logique en quatre étapes selon laquelle Germaine articule passions, sentiments, ressources.

    Les passions sont globalement nuisibles au bonheur.

    En guise de réparation du bonheur, d'antidote au mal des passions, nous disposons de la consolation des sentiments dont il va être question ici.

    Mais ces sentiments ne sont pas l'arme absolue anti-douleur, dans la mesure où ils laissent dans une forme de dépendance à autrui, possiblement blessante.

    Reste alors le plan B des ressources qu'on trouve en soi. Ce sera la section III du livre.

     

    Germaine commence en précisant, pour les lecteurs critiques et plus encore pour elle-même, qu'elle perçoit le paradoxe de son projet moraliste au regard de son caractère et de ses choix de vie. Mais ce paradoxe n'est qu'apparent, assure-t-elle :

    « Je laisse encore ma destinée dépendre tout entière des affections de mon cœur ; mais celui qui n'a pu vaincre sa sensibilité n'est pas celui qu'il faut le moins croire sur les raisons d'y résister ;

    une sorte de philosophie dans l'esprit, indépendante de la nature-même du caractère, permet de se juger comme un étranger (…)

    et la justesse des méditations n'est point altérée par la faiblesse du cœur. » (De l'amitié)

     

    « Je ne m'aime pas si indiscrètement et ne suis si attaché et mêlé à moi que je ne me puisse distinguer et considérer à quartier, comme un voisin, comme un arbre. »

    dit Montaigne dans le même esprit (Essais III,8 De l'art de conférer).

     

    Qui est un tant soit peu lucide, et ne s'aveugle pas sur ses limites, ne saurait s'autoriser à philosopher sans souscrire à cet essai d'impartialité.

    Germaine est une passionnée, mais de fait la passion qui domine chez elle est clairement celle de la raison (d'où le titre que j'ai donné à ce parcours), cette sorte de philosophie dans l'esprit.