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Blog - Page 165

  • La passion de la raison (18/22) La vie au gré du vent

    « Lorsqu'on s'est dit qu'il est impossible d'obtenir le bonheur, on est plus près d'atteindre à quelque chose qui lui ressemble ; comme les hommes dérangés dans leur fortune qui ne se retrouvent à l'aise que lorsqu'ils se sont avoué qu'ils étaient ruinés. »

    (G de Staël. De la philosophie)

     

    Un truc qu'on finit toujours plus ou moins par se dire sous l'effet de l'âge.

    « à l'instant où la vieillesse commande une nouvelle manière d'exister, le philosophe seul sait supporter cette transition sans douleur. »

    Genre que philosopher c'est apprendre à mourir ? Exactement.

     

    Et rejoignant Montaigne une fois de plus, Germaine a su qu'apprendre à mourir c'est aussi, c'est surtout, s'attacher à vivre heureux chaque jour du reste de sa vie.

    « Le philosophe, par un grand acte de courage, ayant délivré ses pensées du joug de la passion (...) jouit des douces impressions que chacune de ses idées peut lui valoir tour à tour et séparément. »

    « La philosophie n'est pas de l'insensibilité, quoiqu'elle diminue l'atteinte des vives douleurs. »

     

    Pour diminuer cette atteinte, philosopher c'est viser la liberté. Une liberté faite de légèreté et d'accueil du présent.

    « Ce qui conduirait surtout à penser que la vie est un voyage, c'est que rien n'y semble ordonné comme un séjour.

    Voulez-vous attacher votre existence à l'empire absolu d'une idée et d'un sentiment : tout est obstacle, tout est malheur à chaque pas.

    Voulez-vous laisser aller la vie au gré du vent, qui lui fait doucement parcourir des situations diverses ;

    voulez-vous du plaisir pour chaque jour, sans le faire concourir à l'ensemble du bonheur dans toute la destinée, vous le pouvez facilement. »

     

    Une liberté qui, permettant un rapport apaisé à soi, ouvre à un juste rapport à autrui.

    « La satisfaction que donne la possession de soi, acquise par la méditation, ne ressemble point aux plaisirs de l'homme personnel (auto-centré) ;

    il a besoin des autres ; il exige d'eux, il souffre impatiemment tout ce qui le blesse ; il est dominé par son égoïsme (…)

    mais le bonheur que trouve un philosophe dans la possession de soi est de tous les sentiments, au contraire, celui qui rend le plus indépendant. »

     

    Germaine (qui écrit à Coppet chez papa Necker) termine le chapitre avec une phrase que n'aurait pas reniée son compatriote Jean-Jacques dans ses Rêveries du promeneur solitaire.

    « Dans la retraite, le philosophe n'a de rapports qu'avec le séjour champêtre qui l'environne, et son âme est parfaitement d'accord avec les douces sensations que ce séjour inspire ; elle s'en aide pour penser et vivre. »

     

  • La passion de la raison (17/22) Un travail dans l'action de vivre

    Voici le plan de la troisième et dernière section de l'essai De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, traitant Des ressources qu'on trouve en soi.

    Chap 1 Que personne à l'avance ne redoute assez le malheur.

    Chap 2 De la philosophie.

    Chap 3 De l'étude.

    Chap 4 De la bienfaisance.

     

    Drôle d'idée, non, de l'ouvrir avec ce titre pas vraiment accrocheur Que personne à l'avance ne redoute assez le malheur ?

    Germaine s'en explique en reformulant l'objet de son livre : comment trouver le bonheur, non pas en général, mais quand on est un passionné.

    « Les caractères passionnés ne sont jamais susceptibles de ce qu'on appelle l'égoïsme »

    Le bonheur ils le cherchent au dehors d'eux ; ils s'exposent pour l'obtenir ; 

    Et par conséquent ils n'ont jamais cette personnalité prudente et sensuelle qui tranquillise l'âme. 

     

    Il va donc s'agir dans cette partie « des ressources qu'on doit trouver après les orages des grandes passions ». Après ces orages, le climat psychique présente les traits cliniques de l'inquiétude mélancolique.

    « On se sent saisi par une seule idée, comme sous la griffe d'un monstre tout puissant ; on contraint sa pensée, sans pouvoir la distraire ;

    il y a un travail dans l'action de vivre qui ne laisse pas un moment de repos ;

    le soir est la seule attente du jour* ;

    le réveil est un coup douloureux qui vous représente chaque matin votre malheur avec l'effet de la surprise. »

     

    Certes les gens qui vous aiment essaient de vous consoler, mais « comment se résoudre à entretenir un autre de sa peine autant qu'on y pense » car cet état « a quelque chose d'aride, de décourageant, qui lasse de soi-même autant qu'il importune les autres. »

     

    Y a aussi des gens figurez-vous qui « parlent du charme de la douleur, des plaisirs qu'on peut trouver dans la peine. » Mais ce sont juste « des hommes froids, qui veulent se donner l'apparence de la passion ».

    En fait leur solide égoïsme les protège de toute douleur d'autre, aux deux sens. L'autre ne peut les atteindre et sa douleur à lui, ils s'en fichent.

     

    Alors que, sachant pour leur part de quoi il retourne,

    « les âmes ardentes accueilleront tous les moyens de se préserver de la douleur, c'est à ceux qui savent la craindre que ces dernières réflexions sont dédiées ; c'est surtout à ceux qui souffrent qu'elles peuvent apporter quelque consolation. »

     

    *Baudelairien, non ?

     

  • La passion de la raison (16/22) La liberté absolue de l'être moral

    « Je ne peindrai point la religion dans les excès du fanatisme (…) ce que j'ai dit sur l'esprit de parti est applicable à cette frénésie comme à toutes celles causées par l'emprise d'une opinion. » (G de Staël. De la religion)

    Quant à lui « Le théisme des hommes éclairés, des âmes sensibles, est de la véritable philosophie ». Germaine va donc considérer la religion dans l'acception générale.

    « Examinons avec impartialité ce qu'elle peut pour le bonheur. »

    Elle anticipe d'abord, une fois de plus, l'analyse freudienne (dans L'Avenir d'une illusion) :

    « La religion ouvre une longue carrière à l'espérance, et trace une route précise à la volonté : sous ces deux rapports elle soulage la pensée.»

    Plus inattendu, l'effet préventif de la clôture monastique sur les violents :

    « Peut être même des hommes dont la nature véhémente les eût appelés dans le monde à commettre de grands crimes, livrés, dès leur enfance, au fanatisme religieux, ont enseveli dans les cloîtres l'imagination qui bouleverse les empires. »

    On l'entend presque penser : ah si Robespierre était passé à la Trappe … (Et quelques autres depuis, ajouterons-nous).

     

    Pour les gens normaux, elle constate que l'ivresse révolutionnaire a remplacé un temps la religion dont on voulait émanciper le peuple. Mais c'était au fond le même effet d'opium « ne (laissant) plus sentir le vide ni l'inquiétude de l'existence ».

    Soulagement ou opium, poursuit Germaine, le bonheur que propose la religion est illusoire. Bref le plus clair c'est qu'elle ne vaut pas les Lumières.

    Au plan éthique « Les qualités naturelles, développées par les principes, par les sentiments de la moralité, sont de beaucoup supérieures aux vertus de la dévotion. » Au plan intellectuel « ces dogmes dominateurs » sont une « espèce de suicide de la raison. »

     

    Elle conclut donc ce chapitre, et la deuxième section sur les sentiments, par sa profession de foi à elle :

    « J'ai donc dû (...) ne pas admettre la religion parmi les ressources que l'on trouve en soi, (…)

    puisqu'elle nous soumet, et à notre imagination, et à celle de tous ceux dont la sainte autorité est reconnue.

    En étant conséquente au système sur lequel cet ouvrage est fondé, au système qui considère la liberté absolue de l'être moral comme son premier bien,

    j'ai dû préférer et indiquer, comme le meilleur et le plus sûr des préservatifs contre le malheur, les divers moyens dont on va voir le développement. »

     

    La liberté absolue de l'être moral : insistons sur moral.

    Ce n'est pas l'abandon irraisonné à des pulsions immédiates et personnelles comme dit Germaine. Quant à absolue, ça dépend comment on l'entend.

    La liberté, pour être non seulement juste, mais surtout effective, doit s'enraciner dans les valeurs d'autonomie et de responsabilité, celles précisément qui fondent les ressources que Germaine présente dans sa troisième partie.