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Blog - Page 161

  • Au gré du vent (8) Un long fleuve tranquille ?

    « Vous n'y pouvez rien vous êtes embarqué »

     

    Bébé vous entamez la navigation bien calé dans votre moïse.

    J'aime bien ce mot. On ne l'emploie plus guère il me semble, dommage il disait magnifiquement que naître a bel et bien quelque chose du sauvetage-miracle.

    Moïse en son berceau flottant au fil du Nil, tel un Noé bis dans une mini-arche, échappe à l'élimination programmée par Pharaon.

    De même qu'est-ce que naître sinon échapper au non-être, à l'assignation éternelle au néant ...

    (Je me demande si j'ai bien fait de mettre Pascal en exergue ?)

     

    Enfant c'est l'esprit vacances.

    Vous êtes sur un matelas pneumatique. Vous vivez la vie au fil de l'eau, c'est vraiment la vie au gré du vent, ou la vie goutte à goutte (dit encore G. de Staël).

    Vous vous en remettez aux parents.

    Les soucis d'itinéraire, les incertitudes sur l'âge du capitaine, c'est pour eux, les (supposés) adultes.

    Mais à vous tout est île au trésor.

     

    Ado vous allez découvrir le raft.

    Ça se fait en groupe, sur des eaux agitées. Là s'expriment les forces et les faiblesses de chacun, se mettent en place les principes de coopération, se discernent les enjeux.

    Alors vous comprenez que pour avancer dans la vie il vous faudra accepter de vous mouiller copieusement et d'être pas mal secoué.

     

    Jeune homme, jeune femme, vous naviguez en gondole au clair de lune.

    Vous écrivez le roman d'amour dont vous êtes le héros, l'héroïne. Ce premier roman où l'on veut tout dire, où l'on croit tout dire, et mieux que personne ne l'a jamais fait, mieux que personne ne le fera jamais.

    Longtemps après, ouvrant le tiroir où vous l'aviez oublié, vous relirez, nostalgique, cette transcription de vos battements de cœur. Vous le trouverez naïf, plein d'une enfantine ambition d'absolu, mais pas si mal écrit ma foi.

     

    Adulte vous ramerez dans différentes embarcations, qui parfois se révéleront être de sacrées galères.

     

    Au moment de la retraite, vous envisagerez un plan planplan genre croisière en péniche sur le canal du Midi.

     

    Et puis arrivera la vieillesse, et ce jour où le chemin sera coupé par le fleuve Styx (rien que le nom, y-x, ça fait peur).

    Vous n'y pourrez plus rien il vous faudra embarquer.

    Ce sera le moment ou jamais d'avoir au cœur les mots de Philippe Jaccottet :

     

    « Je me suis gardé léger

    pour que la barque enfonce moins »

     

  • Au gré du vent (7) Plaisir gratuit

    J'attends à la caisse de Monoprix. Entrent une mère et sa fille, qui peut avoir trois ans. « Ah c'est beau ! » s'exclame l'enfant, faisant retourner les têtes et je suppose épanouir des sourires sous les masques.

    Je regarde mieux l'objet de son admiration : c'est le présentoir des produits de beauté, flacons, rouges à lèvres, vernis à ongles etc. Bon d'accord y a des couleurs, ça brille un peu par endroits, mais de là à s'extasier …

    Quoique.

    Sans manifester aussi spontanément mon enthousiasme, j'avoue que j'aime, j'ai toujours aimé, flâner dans les rayons de Monoprix. J'en ai connu beaucoup, dans les différentes villes où j'ai vécu, où je suis passée.

    Et tiens oui, je me souviens du premier, à Marseille aux Cinq-Avenues, j'étais à peine plus vieille que notre petite esthète du quotidien.

    (La chaîne s'appelait alors Prisunic. Comment interpréter le passage du latin au grec qui se fit quelque temps après ?) (Quand de même on cessa d'aller voir l'oculiste pour consulter l'ophtalmologue ...)

     

    Je flâne, j'explore un à un les articles d'un rayon, sans aucune intention, sans aucun besoin d'acheter quoi que ce soit.

    Je passe d'un rayon à l'autre, telle une abeille qui butine, je tourne, je vais, je viens, je reviens, touchant une étoffe (moins depuis la pandémie, bien que j'aie consciencieusement enduit mes mains de gel bénit à l'entrée), approchant de mon visage, devant un miroir, plusieurs couleurs de robes : laquelle m'irait le mieux, au teint, aux yeux ?

    Régulièrement mon manège attire l'attention du vigile.

    La petite bonne femme là, OK elle a l'air proprette et tranquillette, mais faut pas s'y fier, aussi bien c'est une kleptomane, ou pire elle est associée à un gang de jeunes, elle détourne l'attention pendant que les filles enlèvent les antivols des articles.

    Alors je prends un malin plaisir (non je veux dire un innocent plaisir, monsieur le vigile) à compliquer mes tours et mes détours. Montant par l'escalator, redescendant par l'escalier, je suis passée par ici, je vais repasser par là.

    Je suis si contente d'avoir trouvé quelqu'un pour jouer à cache-cache.

     

    Comme je jouais avec ma copine Annie au Monoprix des Cinq-Avenues, lorsque nos mères avaient la bonne idée d'y aller ensemble.

     

  • Au gré du vent (6) Allegro andante

    J'ai toujours envie de chanter en marchant, le rythme des pas appelant la réminiscence d'airs que j'aime écouter. Mais jusqu'à nos temps épidémiques, je ne le faisais pas, peur du ridicule aux yeux des autres passants.

    Aux oreilles surtout, vu mes dons en la matière.

    Bénéfice inattendu de l'épidémie, le masque m'a libérée.

    Et j'entonne tout ce qui me vient, mezzo forte si les autres passants sont suffisamment loin, pianissimo quand ils se rapprochent.

    Tout ce qui vient, sans trier, sans réfléchir.

    L'inévitable Un kilomètre à pieds ça use ça use ...

    L'enfantin Lundi matin, l'empereur sa femme et le petit prince ...

    Plus élaboré, l'air martial (un des préférés paraît-il de son auteur) par lequel Figaro moque Chérubin : la vie militaire va t'apprendre la vie tout court, p'tit con, fini de faire le joli cœur, de papillonner de meuf en meuf. Non piu andrai farfallone amoroso …

    Du coup il n'est pas rare que j'enchaîne Voi che sapete che cosa e amor (faut lui donner un tempo un peu énergique).

    Puis je termine ma série avec Ein Mädchen oder Wei-eibchen wünscht Papage-e-no-o sich ...

    Il y a enfin le plus indiqué pour une marche allègre : Freude schöne Götter Funken, Tochter aus Elysium ... Alle Menschen werden Brüder ...

     

    Un facteur à vélo me double à toute allure. Il a mis sur haut-parleur son téléphone, et chantonne en slalomant entre les voitures (je me surprends à chercher la caméra de Tati).

    It's been a hard day's night …

    Comment résister ? Je suis sûre que Beethoven ne m'en voudra pas : on ne refuse pas la joie qui passe.