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Blog - Page 163

  • Au gré du vent (2) Mistral gagnant

    Je marche avec en tête la si belle phrase de Montaigne-encore-lui-oui-voilà-c'est-comme-ça : je me promène pour me promener (Essais III,4 De la diversion).

    Plus je me la répète, plus je la savoure. Et plus je me sens à ma place, ici, maintenant, parmi ces passants dont je ne sais pas pourquoi ils se promènent, eux.

    À vrai dire, il est clair que beaucoup, ne bénéficiant pas comme moi de l'oisiveté d'une vie de retraitée, ne se promènent pas. Ils filent, avancent, se hâtent d'arriver.

    Moi je vais sans hâte et ne vais nulle part.

     

    Et je me souviens. Ma mère disait : sortons un peu, il faut s'aérer. Quand soufflait le Mistral, ça pour s'aérer, on s'aérait.

    Mais à l'époque, j'aimais le vent, tous ses visages m'étaient amis. Mistral d'hiver violent, impétueux, sans réplique, mais si vivifiant. Mistral vert du printemps, Mistral d'automne jouant à faire tourbillonner les feuilles mortes. Mistral d'été qui révélait tout à coup le sens du mot bleu-marine et ourlait les vagues de dentelle blanche.

     

    Maintenant sortir par temps de Mistral m'oblige à dégainer une artillerie plus ou moins lourde de protection de mes fichues oreilles

    (l'hiver ça peut aller jusqu'à la technique coton dans les oreilles+ foulard+chapeau).

    Et je me souviens. Ma mère ne sortait jamais, par temps de Mistral, sans son foulard bien serré sous son menton. C'était certes la mode en ces années 60, mais quand même je la trouvais un peu bizarre, en mon for intérieur, d'être si précautionneuse.

    N'aimait-elle pas, comme moi, que le vent joue dans ses cheveux ?

    (Si j'avais eu le mot j'aurais pensé : Maman est carrément phobique).

     

    Maintenant je me méfie moi aussi des traîtrises du vent, bien obligée.

    Mais quelque part en moi l'enfant qui sortait s'aérer ressent toujours la même gratitude pour ses magistraux allègements.

     

  • Au gré du vent (1) Peu ambitieuse

    « Voulez-vous laisser aller la vie au gré du vent, qui lui fait doucement parcourir des situations diverses ; voulez-vous du plaisir pour chaque jour, sans le faire concourir à l'ensemble du bonheur dans toute la destinée, vous le pouvez facilement. »

    (G. de Staël. De la philosophie)

     

    Ah non ça suffit avec Germaine ! Entends-je s'exclamer le lecteur-trice.

    T'inquiète, lecteur, je veux juste ici souligner cette belle formule laisser aller la vie au gré du vent. Voilà qui me plaît, me fait du bien.

    Par exemple quand souffle ce satané Mistral, je veux bien essayer de m'en laisser alléger, grâce à la compagnie de Germaine. Au lieu de m'inquiéter pour ma gorge et mes oreilles, au lieu de pester contre le rafraîchissement (ou froid glacial selon la saison) qu'il amène, moi qui n'aime rien tant que la grosse chaleur (comme disait ma mère).

     

    Doucement parcourir des situations diverses m'évoque quelqu'un qui squatte toujours un coin de ma pensée.

    « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. »

    (Montaigne Essais III,13 De l'expérience) (Ah non ça suffit ! - T'inquiète ...)

     

    Oui, belle chose que parcourir sa vie comme on se promène (pas facile mais bon il s'agit d'essais).

    Dans ce beau verger on peut reconnaître il me semble l'éden biblique. Mais en sa version humaniste, sans angoisse de la faute, sans souci de satisfaire une figure divine (qu'on l'imagine sévère ou douce ne change pas grand chose).

    Avec pour seule responsabilité de faire bien l'homme.

    Une responsabilité assortie de cette joie qu'on nomme si justement joie de vivre. Une joie limitée, éphémère, pas l'ensemble du bonheur dans toute la destinée.

    À l'intérieur de ces limites pourtant, faire de la joie éphémère sa demeure ouverte au gré du vent.

     

    Vouloir du plaisir pour chaque jour, et apprendre à le saisir comme on le trouve, petit souvent, éphémère certes. Et le prendre de bon cœur, sans chercher plus loin (ni plus haut, ni plus fort).

    Car vous savez quoi : la volupté est qualité peu ambitieuse. (Essais III,5 Sur des vers de Virgile)

    (Ah non ! - C'est bon, c'est bon, j'arrête).

     

  • La passion de la raison (22/22) Post scriptum en forme de parallèle

    Au fur et à mesure de mon imprégnation des écrits de Germaine de Staël, j'ai été amenée au rapprochement avec devinez qui devinez quoi : Montaigne et ses Essais.

    « Toutes choses égales par ailleurs » certes. Quoique.

    Elles sont au fond bien plus égales qu'on ne croirait au premier abord.

    Tous deux vivent et écrivent dans une période historique de mutations. Et des mutations qui ne se font pas sans douleur. Tous deux ont subi de très près la violence politique, le fanatisme, le fameux esprit de parti.

    Tous deux ont réussi à garder leur lucidité dans la folie ambiante. Tous deux ont cultivé malgré tout un espoir que l'humanité persisterait en humanité.

    Mme de Staël parce qu'elle était nourrie du projet émancipateur des Lumières, lectrice de Montesquieu, Voltaire, Rousseau.

    M. des Essais parce qu'il était nourri de l'humanisme universaliste de la Renaissance, lecteur des philosophes antiques, d'Erasme, de Rabelais.

    Ils ont tous deux associé foi humaniste et pragmatisme sans illusion. Dans leurs écrits comme dans leurs actes.

    Ou, comme le dit si bien Montaigne, en allant « de la plume comme des pieds ».

    J'ai pour ma part trouvé dans la lecture de Germaine un plaisir comparable à ma lecture des Essais.

    Même présence authentique de la personne derrière les mots, même intelligence, lucidité, subtilité, humanité profonde.

    Même façon aussi de mêler, de faire dialoguer, l'intime et le général, le personnel et le politique.

    Bon à vrai dire je trouve Michel plus facile et agréable à lire.

    Germaine a tendance à faire des phrases de 3 km, bien construites d'accord mais quand même un peu indigestes.

    Michel est souvent très dense, mais il a le don du mot, de la formule qui fait déclic. Il est un styliste vraiment hors du commun, tellement inventif, incisif, drôle et profond à la fois (oui je sais je l'ai déjà dit beaucoup de fois, mais quand on aime, hein ...)

    Et puis surtout il y a ce mouvement dans son écriture, ça bouge, ça varie tout le temps, c'est vivant en fait.

    Germaine a parfois de vrais bonheurs de plume, surtout quand elle parle psychologie, mais d'humour pas vraiment. Non qu'elle se prenne au sérieux au mauvais sens du terme. Mais écrire drôle sur des choses difficiles c'est pas donné à tout le monde.

    Et puis surtout elle est déjà dans l'esthétique romantique qui a tendance à valoriser le pathos.

    Cependant, au plan de l'analyse proprement politique, les écrits de Germaine sont disons plus élaborés que ceux de Michel.

    Faut dire qu'étant en aval du temps par rapport à lui, elle avait forcément plus de matière encore. Et puis Michel ne veut pas, dit-il, se mêler d'enseigner autrui (de façon formelle en tout cas).

    Germaine, elle, tout en partageant la conviction qu'elle écrit d'abord à son propre usage (cf 21), assume de parler aussi pour guider autrui.

    Mais à sa façon toute de sensibilité, de bonté, de tact, que j'espère la lecteur-trice aura goûtée autant que moi.