Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blog - Page 164

  • La passion de la raison (21/22) J'ai écrit pour me retrouver

    Germaine commence la conclusion de son livre en rappelant que son propos n'est pas de débiner la passion (je serais mal placée pour le faire dit-elle en substance), mais de s'en libérer. C'est un effort, mais paradoxal, pas une tension, mais un détachement.

    Il s'agit de retrouver la simple présence à soi et au monde que savent vivre les enfants, gage de joie et de liberté.

    « Les enfants et les sages ont de grandes ressemblances ;

    et le chef d'œuvre de la raison est de ramener à ce que fait la nature.

    Les enfants reçoivent la vie goutte à goutte (…) le présent n'est point dévoré par l'attente ; chaque heure prend sa part de jouissance dans leur petite vie. (…)

    Les enfants laissés à eux-mêmes sont les êtres les plus libres ; le bonheur les affranchit de tout.

    Les philosophes doivent tendre au même résultat par la crainte du malheur. »

    (G de Staël. De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Conclusion)

     

    Voilà pour l'horizon. Quant à la question du chemin pour y parvenir, Germaine donne sa vision du travail des moralistes (au rang desquels l'inscrit cet essai)

    « Loin de moi ces axiomes impitoyables des âmes froides et des esprits médiocres : on peut toujours se vaincre, on est toujours maître de soi (…)

    Newton n'eût pas osé tracer les bornes de la pensée, et le pédant que je rencontre veut circonscrire l'empire des mouvements de l'âme. »

    « Les moralistes doivent être comme cet ordre de religieux placés sur le sommet du mont Saint-Bernard ;

    il faut qu'ils se consacrent à reconduire les voyageurs égarés. »

     

    Et ce qui lui donne particulièrement voix au chapitre, c'est qu'elle est de ces voyageurs.

    « En composant cet ouvrage, où je poursuis les passions comme destructives du bonheur, où j'ai cru présenter des ressources pour vivre sans le secours de leur impulsion, c'est moi-même aussi que j'ai voulu persuader ;

    j'ai écrit pour me retrouver (…) et généraliser ce que la pensée me donnait d'expérience (…)

    L'homme est tout entier dans chaque homme. »

    Montaignien, non ?

     

    Une communauté de participation à la même nature humaine qui donne toute sa pertinence à la vertu de pitié (on dirait aujourd'hui compassion).

    Vertu essentielle entre individus, et plus encore dans le domaine politique, surtout dans les époques troublées.

    « Lorsque la justice est reconnue on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l'état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois. »

     

  • La passion de la raison (20/22) Comme le principe de la vie

    « La vertu, telle que je le conçois, appartient beaucoup au cœur ;

    je l'ai nommée bienfaisance, non dans l'acception très bornée qu'on donne à ce mot, mais en désignant ainsi toutes les actions de la bonté. »

    (G de Staël. De la bienfaisance)

     

    Germaine conçoit la bienfaisance comme la simple concrétisation, la mise en œuvre de la bonté inhérente selon elle au fait d'être (vraiment) humain.

    « L'homme bon est de tous les temps et de toutes les nations (…) la bonté existe en nous comme le principe de la vie, sans être l'effet de notre propre volonté. »

     

    «Il y a des vertus toutes composées de craintes et de sacrifices,

    dont l'accomplissement peut donner une satisfaction d'un ordre très relevé à l'âme forte qui les pratique ;

    mais peut être, avec le temps, découvrira-t-on que ce qui n'est pas naturel n'est pas nécessaire, et que la morale, dans divers pays, est aussi chargée de superstition que la religion. »

    Le rapprochement de ces deux citations parle de lui-même.

    Craintes, sacrifices, ordre relevé, âme forte, dit la morale quand elle est façonnée par l'idéal du moi.

    Le principe de la vie, ce qui n'est pas naturel n'est pas nécessaire*, répond la morale qui appartient au cœur, la morale quand elle trouve son origine dans l'élan libidinal vers autrui. (cf 6,11,12).

    Un élan qui, pour être naturel et sans calcul, n'en trouve pas moins sa récompense, que Germaine formule en un bel aphorisme.

    « La bienfaisance remplit le cœur comme l'étude occupe l'esprit. »

    L'étude ouvre à la connaissance des idées des autres (cf 19), la bienfaisance « apprend à considérer votre vie sous le rapport de ce qu'elle vaut aux autres et non à soi ».

     

    Ce qui amène à la fin du chapitre une argumentation de l'intérêt politique de la bienfaisance.

    (Peut être était-ce conçu comme un jalon vers la 2°partie du livre, qui finalement n'a pas été écrite cf 3).

    « Sans vouloir méconnaître le lien sacré de la religion, on peut affirmer que la base de la morale, considérée comme principe, c'est le bien ou le mal que l'on peut faire aux autres hommes par telle ou telle action.

    C'est sur ce fondement que tous ont intérêt au sacrifice de chacun, et qu'on retrouve, comme dans le tribut de l'impôt, le prix de son dévouement particulier dans la part de protection qu'assure l'ordre général. »

     

    *Naturel/nécessaire : on aura reconnu le paradigme moral de l'épicurisme.

     

  • La passion de la raison (19/22) Le simple plaisir de penser

    « Lorsque l'espoir de faire une découverte qui peut illustrer, ou de publier un ouvrage qui doit mériter l'approbation générale, est l'objet de nos efforts, c'est dans le traité des passions qu'il faut placer l'histoire de l'influence d'un tel penchant (à l'étude) sur le bonheur ;

    mais il y a dans le simple plaisir de penser, d'enrichir ses méditations par la connaissance des idées des autres, une sorte de satisfaction intime qui tient à la fois au besoin d'agir et de se perfectionner ; sentiments naturels à l'homme qui ne l'astreignent à aucune dépendance. »

    (G de Staël. De l'étude)

     

    Agir, se perfectionner, s'ouvrir aux autres : tout est dit de la joie de l'étude, surtout vécue sur le mode de la gratuité, pour le simple plaisir de penser.

    C'est aussi un bon moyen d'éviter de ressasser son malheur (réel ou supposé mais provoquant le même effet de souffrance).

    « L'homme, dont il faut occuper les facultés de l'esprit, obtient (ainsi) le moyen d'échapper aux tourments du cœur.

    Les occupations mécaniques calment la pensée en l'étouffant.

    L'étude, en dirigeant l'esprit vers des objets intellectuels, distrait de même des idées qui dévorent. »

     

    Mais penser n'est pas seulement pansement, apaisement, c'est surtout incitation à une dynamique.

    « L'amour de l'étude, loin de priver la vie de l'intérêt dont elle a besoin, a tous les caractères de la passion, excepté celui qui cause tous ses malheurs, la dépendance du sort et des hommes.

    L'étude offre un but (…) dont la route présente de la variété sans crainte de vicissitudes (…) Elle vous fait parcourir une suite d'objets nouveaux. »

     

    Le chapitre se termine par la touche plus intime d'un « autoportrait en paria ».

    « Je ne sais rien de plus profond en moralité sensible que le tableau de la situation du Paria* (…) Nul être vivant ne le secourt, nul ne s'intéresse à son existence (…)

    C'est ainsi qu'existe l'homme sensible sur cette terre ; il est aussi d'une caste proscrite ;

    sa langue n'est point entendue, ses sentiments l'isolent, ses désirs ne sont jamais accomplis, et ce qui l'environne, ou s'éloigne de lui, ou ne s'en rapproche que pour le blesser. »

    Le paria cherche consolation dans la nature, dit-elle, moi c'est dans l'étude.

     

    Et en point d'orgue du chapitre, cette prière romantique en diable :

    « Oh Dieu ! (…) Lorsque le hasard a pu combiner ensemble la réunion la plus fatale au bonheur, l'esprit et la sensibilité, n'abandonnez pas ces malheureux êtres destinés à tout apercevoir pour souffrir de tout ;

    soutenez leur raison à hauteur de leurs affections et de leurs idées, éclairez-les du même feu qui servait à les consumer ! »

    Allez, Germaine, no stress ! Dieu j'en sais rien, mais moi je suis avec toi. Et c'est toi qui nous éclaires de ton feu.

     

    *Allusion à un livre de son ami Bernardin de Saint-Pierre « La Chaumière indienne » (un sacré nanar j'imagine)