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Blog - Page 169

  • La passion de la raison (6/22) Le moins d'égoïsme

    « Tout le monde croit avoir eu de l'amour, et presque tout le monde se trompe en le croyant ; les autres passions sont beaucoup plus naturelles, et par conséquent moins rares que celle-là ; car elle est celle où entre le moins d'égoïsme. »

    (G de Staël. De l'influence etc. Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour)

     

    On va lui laisser la responsabilité de la première partie de cette affirmation. Quoique. Si l'amour est la passion où entre le moins d'égoïsme, qui peut dire sincèrement qu'il a vraiment aimé ?

    La définition de l'amour comme contraire de l'égoïsme m'évoque surtout la conception freudienne de la dynamique psychique : elle se joue dans la tension entre pulsions d'auto-conservation et pulsions libidinales.

    Pour schématiser, disons que la libido travaille à investir le territoire occupé par le souci de soi (d'abord angoisse primitive devant le monde-non-soi, puis de là narcissisme) pour y faire entrer l'intérêt pour l'autre, le goût des autres.

    Dans Malaise dans la culture, Freud considère que la libido est ainsi, de proche en proche, une force d'association, qui permet d'initier la construction d'ensembles de plus en plus vastes.

    On peut donc dire que l'amour a d'emblée un rapport avec le fait politique au sens large. Ce qui donne raison à la perspective staëlienne qui lie fermement les niveaux individuel et collectif des passions.

     

    Elle poursuit en signalant les confusions possibles sur la définition de l'amour, avec des exemples littéraires, des Anciens jusqu'à Goethe ou Rousseau.

    Par rapport aux autres affections du cœur, poursuit-elle

    « L'amour seul nous est représenté, tantôt sous les traits les plus grossiers, tantôt comme tellement inséparable ou de la volupté, ou de la frénésie, que c'est un tableau plutôt qu'un sentiment, une maladie plutôt qu'une passion de l'âme. »

     

    Germaine de Staël, on le sait, a eu une vie amoureuse intense, aussi intense que sa vie littéraire et politique. Comme en politique, elle a tenté de la vivre en associant l'engagement et la lucidité (ne s'aveuglant ni sur ses défauts ni sur ceux de ses maris et amants).

    En fait elle a synthétisé en théorie comme en pratique les trois composantes de l'amour repérées depuis Platon :

    éros (amour sensuel, passion au sens courant), agapê (amour oblatif où entre le moins d'égoïsme), et philia (amour-amitié, compagnonnage, collaboration).

    Une philia qui serait peut être le plus exact opposé de l'esprit de parti.

     

    Bon, cela étant, l'amour sera pour plus tard.

    ... Non non pas d'angoisse, lectrice-teur, je veux juste dire plus tard dans notre lecture (au n°12 si tu veux tout savoir).

     

  • La passion de la raison (5/22) Poisons et pharmakon

    Au titre De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations il faut donc retrancher et des nations (cf 3).

    Le plan global du livre, je l'ai dit la dernière fois, correspond à une logique thérapeutique : analyser le poison des passions, et donner la formule des ressources-antidotes.

    Commençons par le commencement

    Section première. Des passions

    Chap 1 De l'amour de la gloire.

    Chap 2 De l'ambition.

    Chap 3 De la vanité.

    Chap 4 De l'amour (précédé de Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour).

    Chap 5 Du jeu, de l'avarice, de l'ivresse, etc.

    Chap 6 De l'envie et de la vengeance.

    Chap 7 De l'esprit de parti.

    Chap 8 Du crime.

     

    Une question vient immédiatement à l'esprit : comment Germaine a-t-elle décidé de cette liste ? Elle ne s'en explique pas, sinon pour souligner le caractère imposant de certaines des passions sélectionnées. Des passions qui ont tendance à s'imposer, à imprégner la personnalité.

    Deux regroupements s'imposent.

    Amour de la gloire, ambition, vanité jouent sur des ressorts communs dont on peut discerner les articulations.

    De même envie, vengeance, esprit de parti procèdent d'une même logique qui culmine dans le crime.

    Restent à part l'amour et le chap 5 dont Germaine souligne elle-même le côté flottant par son « etc. »

     

    Les deux autres sections exploreront les ressources contre le malheur passionnel. Deuxième section (dont on verra le plan au n°13) : affectivité, aide mutuelle, consolation venue des proches (ou de Dieu), ce qu'elle nomme sentiments. Disons les bénéfices de l'amour sans ses emmerdes.

    Faux espoir : ces ressources ramènent souvent à la dépendance d'autrui, la passion évacuée par la porte peut revenir par la fenêtre.

    D'où la troisième section (plan au n°17) : les ressources, les consolations, on peut les chercher en soi : c'est peut être même le plus sûr.

     

    Revenons à la partie I : j'y repère un intrus. L'amour est le seul de la liste non connoté négativement d'emblée. Que vient-il donc faire dans cette galère ?

    C'est que le propos de Germaine n'est pas une morale idéaliste mais une éthique du bonheur. Il ne s'agit pas de décréter ce qui est « bien » ou « mal », mais de regarder comment les passions font du bien ou du mal.

    Or l'amour peut les deux. Non pas poison comme les autres passions (du moins celles considérées ici), mais pharmakon, tantôt poison tantôt remède selon l'usage qu'on en a.

    N'empêche, Germaine a senti qu'il fallait justifier sa place dans sa liste, d'où la Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour. Note que nous regarderons la prochaine fois.

     

  • La passion de la raison (4/22) Me faire juger par mes écrits

    Faute de 2° partie sur la politique (qui eût été du plus grand intérêt, mais bon) nous allons parcourir la 1ère partie sur la recherche du bonheur par l'individu.

     

    La logique en est simple. La passion est, au moins en partie, ennemie du bonheur, pose Germaine. Pour vivre heureux il faut tenter de se prémunir de ses dégâts potentiels, chercher des pare-feu, qu'elle nomme des ressources.

    Position éthique classique, que modifiera l'époque romantique, valorisant l'intensité au détriment de la maîtrise, dissociant le bonheur du calme. Genre levez-vous vite orages désirés* ...

     

    Germaine vit au tournant de ce virage culturel. Femme passionnée, engagée, dans sa vie privée comme publique, elle en a payé le prix, a éprouvé ce qu'il en coûtait de s'investir sans retenue.

    Bref pour le dire élégamment elle en a pris plein la gueule plus souvent qu'à son tour.

    On peut le lire parfois entre les lignes, ainsi dans ces mots de l'avant-propos du livre :

    « Condamnée à la célébrité, sans pouvoir être connue, j'éprouve le besoin de me faire juger par mes écrits. »

     

    Me faire juger par mes écrits, quiconque écrit avec sincérité peut le dire, en ajoutant même peut être

    « tout ce qu'une longue connaissance et familiarité pourrait avoir acquis en plusieurs années, (le lecteur) le voit en trois jours de ce registre, et plus sûrement et exactement. »

    (Montaigne Essais III,9 De la vanité)

     

    Et en effet, à bien des égards, ce livre donne la clé du caractère et des actes de Germaine de Staël. S'y découvre une femme qui n'a pas renié la passion, mais qui a travaillé à en limiter les dommages, en elle et autour d'elle, par goût de la liberté et du bonheur. Une femme qui a sublimé la passion par la raison, et la raison par la passion.

     

     

    *S'exclame le René de Chateaubriand