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Blog - Page 185

  • Plus de laine (sans N)

    Dès le réveil, Marcel fut alerté : il se passait quelque chose de bizarre.

     

    Les bêtes, il y avait quelque chose avec les bêtes. Il pouvait l'affirmer, oui, il aurait mis ses doigts à couper qu'il y avait du pas clair, du pas comme d'habitude là-haut sur l'alpage.

    Pourquoi le savait-il avec cette certitude ? Des siècles qu'il était berger, pour dire, voilà pourquoi.

     

    Il prit le temps d'avaler le café au lait avec le morceau qu'il tailla sur la grosse miche, il y ajouta même plus de marmelade qu'à l'accoutumée. Si c'était, comme il le redoutait, quelque chose de terrible, il faudrait faire face, échapper au risque d'être pris de malaise.

     

    Il voulait éviter de formuler le mot, même pour lui seul. Mais le mot s'imposait, occupait peu à peu tout l'espace de sa cervelle, lui assiégeait l'esprit comme un adversaire retors.

    Le mot terrible, le mot catastrophe : le loup.

     

    Il marchait, le cœur serré, le souffle court. Il s'efforçait d'écarter les images. L'horreur, il l'avait déjà eue sous les yeux, il était déjà passé, le loup, il avait déchiré ses brebis, leurs petits.

     

    Il arriva sur la hauteur de l'alpage. Le troupeau était paisible, les bébés collés aux pattes des mères, les deux béliers à l'écart. Sur l'autre aile du troupeau, Médor veillait, mais à demi assoupi, yeux mi-clos.

    Marcel poussa un soupir, soulagé. Et même il se mit à rire : il aurait été mauvais médium. Cette chose vague qui rôdait …. Idée germée à bas bruit au cœur de lui-même, au fil des mois de solitude. Voilà tout.

     

    Il s'approcha. Alors il vit : sur les bêtes, plus de pelage.

    Qui était passé les raser ? Et pourquoi pas de bruit qui l'aurait alerté ? Pas de cri chez les bêtes, passage imperceptible de celui qui avait fait ça.

    Celui ? Celle ? Homme ? Femme ? Il l'imagina, semblable aux esprits, aux elfes.

     

    Le spectacle de ses bêtes dépouillées, mais si paisibles, était irréel. Image de rêve. De rêve, oui, pas de cauchemar : elle était comme adoucie, estompée sous la lumière brumeuse de l'aurore.

     

  • Fini les dilemmes (sans M)

    Pourquoi se casser la tête ? Il n'est pas si difficile après tout de s'abstenir autant que possible de réfléchir, de cesser de se poser des questions à tout propos.

    En tous cas beaucoup de gens y arrivent, je le constate. Non, il n'est pas exact de dire qu'ils y arrivent, car de fait ils le font sans effort aucun.

    Ils ne pensent pas, et c'est sans y penser : haha ce que je suis drôle quand je veux, non ?

     

    À quoi je réfléchis, quelles sont donc ces questions que je pose, vous dites ? Oh pas toujours de grandes choses.

    Les raisons qui font que la terre ne tourne pas trop rond, ou pourquoi les êtres censés être pensants et sensés qui y vivent ne pensent pas tant que ça, j'avoue oui j'y pense.

    Sauf que j'y pense et puis j'essaie d'oublier, car c'est trop attristant de savoir que je n'y peux rien. Si peu. Si peu que rien dirait un philosophe gascon dont vous avez peut être entendu parler.

    C'est pourquoi ce n'est pas ce qui occupe en priorité les neurones dont je dispose.

     

    Alors quoi ? Quelles sont ces préoccupations si pesantes que je voudrais bien, sinon répudier une fois pour toutes, en tous cas tenir à quelque distance un instant ?

    Je ne sais pas si je peux vous le dire, je crains votre ironie, votre persiflage. Vous allez dire : quoi, c'est tout ? Vous êtes sérieuse, là ?

    C'est de ces têtes d'épingle que vous faites tout un plat ?

     

    Non non ne protestez pas, je l'ai entendu tant de fois, et de gens fort bien intentionnés, autant que vous. Écorchée vive, trop sensible, susceptible : depuis l'enfance je l'entends.

    Il faut donc qu'il y ait là une part de vérité, ai-je fini par convenir.

    Sauf que vous savez quoi, s'il y a un truc qui peut rester en travers de la gorge, c'est bien des têtes d'épingles.

     

    Enfin, tout ça pour dire que c'est décidé je cesse les préoccupations inutiles.

    Et en guise de bon début, je vais négliger de répondre à vos questions. Vous refiler le bébé en quelque sorte.

     

    De façon à ce que, si pourquoi il y a, il ne soit plus que pour vous.

     

     

  • Rogner les ailes (sans L)

    -Arrête, pas besoin de continuer : t'arriveras pas.

    -Mais je …

    -Je t'apprends rien je suppose, ce serait bien étonnant que cette fois-ci tu réussisses, non ?

    -Je me suis bien préparée, alors je vois pas pourquoi …

    -Et puis t'as vu ta tête ? Qui va s'intéresser à ce que propose une meuf aussi moche … Quoi ? Tu sais que t'es moche quand même ? C'est pas ta faute mais ça t'aide pas, forcément. Alors je répète : stop, perds pas ton temps …

    -Et si moi je sais que c'est poss …

    -Enfin ... je dis perds pas ton temps, mais en fait si tu en perds, qui s'en souciera, hein ?

    -Mon temps vaut autant que ton temps, et c'est pas en me rabaissant que tu te hausseras ...

    -Oh oh c'est que madame pense, madame raisonne, madame est phi …

    -C'est à dire j'ai un cerveau, moi

    -T'as un cerveau peut être mais jusqu'à présent t'en as fait quoi ? Pour des choses qui servent je veux dire …

    -Tu veux dire : faire du fric ?

    -Exactement oui. Du fric t'en as pas, mais moi oui, c'est ça qui change tout CQFD. C'est qui a du fric qui commande, c'est aussi évident que ça.

    -Ben justement c'est pour ça que je me prépare. Entretien d'embauche, embauche, et ciao à toi, boss.

    -Et moi je te répète que t'y arriveras pas.

    -Mais je …

    -T'es moche et tu sers à rien, tu devrais t'estimer heureuse que je t'aie pas virée encore.

    -J'attends que ça : vire moi, et tu verras que je suis en mesure de prendre mon essor par mes propres forces …

    -Je verrai rien du tout. Si t'étais en mesure, comme tu dis, ben y a un moment que tu serais partie, hein ?

    -Mais je …

    -Je t'apprends rien je suppose ce serait bien étonnant que cette fois-ci tu mettes ton projet à exécution. Non tu veux que je te dise, ma petite, ton avenir c'est comme ton passé : moi, ton boss. Point barre.