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Blog - Page 3

  • Et tout m'est étranger

    « Que signifie ce réveil soudain – dans cette chambre obscure – avec les bruits d'une ville tout d'un coup étrangère? Et tout m'est étranger, tout, sans un être à moi, sans un lieu où refermer cette plaie. Que fais-je ici, à quoi riment ces gestes, ces sourires ? Je ne suis pas d'ici – pas d'ailleurs non plus. Et le monde n'est plus qu'un paysage inconnu où mon cœur ne trouve plus d'appuis. Étranger, qui peut savoir ce que ce mot veut dire. »

    (Camus Carnets mars 40)

     

    « Étranger, avouer que tout m'est étranger.

    Maintenant que tout est net, attendre et ne rien épargner. Travailler du moins de manière à parfaire à la fois le silence et la création. Tout le reste, tout le reste, quoi qu'il advienne, est indifférent. »

     

    « De plus en plus, devant le monde des hommes, la seule réaction est l'individualisme. L'homme est à lui seul sa propre fin. Tout ce qu'on tente pour le bien de tous finit par l'échec. Même si l'on veut toutefois le tenter, il est convenable de le faire avec le mépris voulu. Se retirer tout entier et jouer son jeu. (Idiot.) »

    Le mot d'idiot rajouté en parenthèse peut s'interpréter je trouve de deux manières.

    Ou bien il signifie « ce que je viens d'écrire est idiot, ce n'est pas ce que je pense, et me désolidariser ainsi du monde et des hommes n'est pas ce que je veux. »

    Ou bien, plus probablement, Camus pense ici au roman de Dostoïevski, à l'attitude du prince Mychkine, qui, ayant échoué dans sa tentative pour le bien de tous, finit par se retirer tout entier et jouer son jeu.

    Les deux interprétations ne sont pas incompatibles. Camus saura d'ailleurs en faire la synthèse, s'assumant « solitaire-solidaire ».

    Mais le plus clair dans ces trois citations, c'est le sentiment de dépression qui assaille Camus dans son exil parisien, loin de sa belle et lumineuse terre d'Algérie, à laquelle il est si profondément lié, d'un lien charnel qui nourrira de nombreux écrits.

     

  • Une métaphysique de myope

    « Don Quichotte et La Pallice.

    La Pallice. – Un quart d'heure avant ma mort j'étais encore en vie. Ceci a suffi à ma gloire. Mais cette gloire est usurpée. Ma vraie philosophie est qu'un quart d'heure après ma mort, je ne serai plus en vie.

    Don Quichotte. – Oui, j'ai combattu des moulins à vent. Car il est profondément indifférent de combattre les moulins à vent ou les géants. Tellement indifférent qu'il est facile de les confondre. J'ai une métaphysique de myope. »

    (Camus Carnets novembre 39)

     

    Métaphysique de myope qui caractérise bien la conception de l'absurde de Camus. Une myopie qui est sans doute la seule chose qui puisse éviter le suicide de Sisyphe.

     

  • Les tours d'ivoire sont tombées

    « Il est toujours vain de vouloir se désolidariser, serait-ce de la bêtise et de la cruauté des autres. On ne peut dire ''Je l'ignore''. On collabore ou on la combat. Rien n'est moins excusable que la guerre et l'appel aux haines nationales. Mais une fois la guerre survenue, il est vain et lâche de vouloir s'en écarter sous le prétexte qu'on n'en est pas responsable. Les tours d'ivoire sont tombées. La complaisance est interdite pour soi-même et pour les autres.

    Juger un événement est impossible et immoral si c'est du dehors. C'est au sein de cet absurde malheur qu'on conserve le droit de le mépriser.

    La réaction d'un individu n'a aucune importance en soi. Elle peut servir à quelque chose mais ne justifie rien. Vouloir, par le dilettantisme, planer et se séparer de son milieu, c'est faire l'épreuve de la plus dérisoire des libertés. Voilà pourquoi il fallait que j'essaie de servir. Et si l'on ne veut pas de moi, il faut aussi que j'accepte la position de civil dédaigné.

    Dans les deux cas, mon jugement peut demeurer absolu et mon dégoût sans réserves. Dans les deux cas je suis au milieu de la guerre et j'ai le droit d'en juger. D'en juger et d'agir. »

    (Camus Carnets septembre 39)

     

    La complaisance est interdite pour soi-même et pour les autres.

    Juger un événement est impossible et immoral si c'est du dehors. C'est au sein de cet absurde malheur qu'on conserve le droit de le mépriser.

    Toute la rigueur morale de Camus dans ces lignes. Son sens de l'honneur, son exigence personnelle. Mais ce n'est pas une morale abstraite, au contraire, elle ne peut naître que du fait d'assumer d'être là où l'on est. Planer et se séparer de son milieu, c'est faire l'épreuve de la plus dérisoire des libertés. Et pour lui la liberté peut être qualifiée de bien des manières, mais certes pas de dérisoire. C'est bien elle le seul problème philosophique vraiment sérieux.

    Une exigence qui est le prix à payer pour ce qu'on pourrait appeler sa « crédibilité » de penseur et de philosophe, ce qui peut lui donner le droit de juger. Une crédibilité dont bien des gens, et bien des penseurs (ou considérés comme tels) n'estiment pas avoir à faire la preuve.

    Il fallait que j'essaie de servir. Il va en effet par deux fois essayer de s'engager, ce qui lui sera refusé à cause de sa tuberculose.

     

    « Avec quoi on fait la guerre :

    1)avec ce que tout le monde connaît ;

    2)avec le désespoir de ceux qui ne veulent pas la faire ;

    3)avec l'amour-propre de ceux que rien ne force à partir et qui partent pour ne pas être seuls ;

    4)avec la faim de ceux qui s'engagent parce qu'ils n'ont plus de situation ;

    5)avec beaucoup de sentiments nobles tels que :

    a)la solidarité dans la souffrance ;

    b)le mépris qui ne veut pas s'exprimer ;

    c)l'absence de haine.

    Tout cela est bassement utilisé et tout cela conduit à la mort. » (novembre 39)

     

    Force de cet inventaire à la Prévert conclu sur la dernière phrase en forme de couperet.