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Blog - Page 249

  • En éclairant ce qui la supporte

    « Le soleil semble se diffuser et, en effet, il se diffuse, mais sans effusion. Car cette diffusion est une extension. (…) la lumière du soleil qui pénètre dans une pièce sombre par une fente : elle s'étend en ligne droite, pour se poser sur le premier support venu qui la coupe de l'espace qui suit ; elle s'y tient sans glisser sans tomber. Voilà ce que doit être l'intelligence : diffusion – et non effusion – et extension. Il ne faut pas qu'elle heurte violemment et impétueusement les obstacles qu'elle rencontre ni qu'elle se laisse abattre par eux mais qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même VIII, 57)

     

    Marco livre ici une belle ode à la lucidité, bien avant la célèbre question-réponse de Kant. L'association lumière-pensée est un invariant humain, si évidente est la sensation que comprendre c'est « y voir clair ». (D'où la réflexion des hommes des Lumières – ou de Montaigne entre autres avant eux – pour enrichir la "vision" du monde à partir de celle des aveugles de naissance).

     

    La formulation de Marc-Aurèle fait bien voir dans l'intelligence pas seulement l'aptitude au raisonnement abstrait, à l'analyse des concepts, mais l'ensemble des facultés qui permettent de prendre en compte le monde, d'embrasser par la pensée la réalité, d'allumer la lampe qui en dévoilera tous les aspects.

     

    Qu'elle s'y tienne en éclairant ce qui la supporte : belle formule. Tiens, d'ailleurs, outre les Lumières, ce passage m'évoque un texte biblique. Dans le psaume 19 (cf ce blog 26/30-09-2018) on trouve pareille métaphore solaire pour le divin, en tant qu'éclairant ce qui le supporte.

    « Il jaillit de l'extrémité du ciel, son orbe en couvre toute l'étendue : nul n'est caché de sa chaleur. » (v.7)

     

    Quant au terme effusion, il faut y entendre dissolution, le fait qu'au fur et à mesure qu'une chose se répand, elle s'amenuise, se dissout, se dilue. Le mot extension que Marco lui oppose dit la qualité compréhensive de l'intelligence, qui lui fait épouser son objet comme, au fur et à mesure de la croissance, la peau ne cesse d'épouser la chair.

     

  • Endosse ces qualificatifs

    « La cause universelle est un torrent : elle emporte tout. Comme ils sont négligeables ces homoncules qui font de la politique et croient agir en philosophes. Petits morveux ! (…) N'ambitionne pas la République de Platon mais contente-toi de progresser un peu sans minimiser le résultat. (…) L'œuvre de la philosophie est simple et modeste. Ne m'entraîne pas à la vanité. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même IX, 29)

     

    Ces homoncules qui font de la politique, petits morveux : il s'épargne pas le Marco sur ce coup-là. Comme dirait Cyrano je me les sers moi-même avec assez de verve … Et la suite aussi d'ailleurs j'imagine*

    (ça se comprend, faut préserver la fonction, on est maître du monde ou on l'est pas).

     

    « Quand on te qualifie de bon, modeste, sincère, prudent, bienveillant, magnanime, fais attention à ne devoir pas mériter d'autres qualificatifs ; et si tu perds ces qualités, retournes-y vite.

    Souviens-toi que par prudent tu voulais signifier l'attention méticuleuse et attentive portée à chaque chose ; par bienveillant, l'acceptation spontanée du lot assigné à chacun par la nature universelle ; par magnanime, la prééminence de la part sensée sur le mouvement doux ou violent de la chair, sur la gloriole, sur la mort et toutes choses semblables. (…)

    Endosse ces qualificatifs. (…) le souvenir des dieux t'aidera à (te les) rappeler : les dieux ne veulent pas qu'on les flatte, mais que les êtres raisonnables les imitent, que le figuier remplisse sa fonction de figuier, le chien sa fonction de chien, l'abeille sa fonction d'abeille et l'homme sa fonction d'homme. »

    (Pensées pour moi-même X, 8).

     

    Là que dire sinon que tout commentaire est inutile. Marc-Aurèle donne dans ces mots le meilleur de lui-même. La quintessence de son être-philosophe.

    En a-t-il fait bon usage ? Ce n'est pas notre question. La nôtre est l'usage que nous pouvons en faire, nous.

    Question autrement plus épineuse.

     

    *La suite, pour ceux qui ont oublié leur Cyrano : … mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.

     

  • Signé Surmoi

    « À chacune de tes actions, arrête-toi et demande-toi si c'est parce qu'elle nous prive de cela que la mort est si terrible. »

    (Marc-Aurèle. Pensées pour moi-même X, 29)

     

    Bon si tu veux allons-y demandons-nous. Mais avec des exemples pas trop déprimants (histoire de pas se suicider tout de suite).

    Alors disons : prendre un métro bondé et puant, d'accord la mort n'est pas si terrible. Mais se laisser aller dans l'eau pure d'un lac de montagne, là on trouve la mort déjà un peu plus terrible, tu crois pas ?

    Supporter le bruit de travaux dans la rue pendant des mois huit heures par jour, d'accord la mort n'est pas si terrible. Mais écouter les Variations Goldberg ou la Flûte Enchantée, là comment ne pas se dire que la mort est un scandale absolu, la mort qui nous privera de cette joie parfaite ?

     

    « Tu peux arriver à dédaigner un chant charmant, une danse, un pancrace. Pour l'air harmonieux, décompose-le en notes et demande-toi à chacune si tu es subjugué par elle. (Tu te détourneras de honte) ; fais de même pour la danse, à chaque mouvement ou figure, et de même pour le pancrace. Bref, excepté pour la vertu et ce qui s'y rapporte, souviens-toi d'aller dans les détails et, par leur analyse, d'arriver à les dédaigner. Et transpose cette attitude à ta vie entière. »

    (Pensées pour moi-même XI, 2)

     

    À côté le truc d'Ulysse contre les Sirènes, ça fait petit bras, non ?

    Drôle d'idée, non, décomposer des choses qui valent précisément par l'enchaînement, la construction, la dynamique, le mouvement.

    Comme s'il fallait s'escrimer à résister à tout élan, à faire barrage au courant d'une eau vive, à allumer un contre-feu pour chaque feu de joie qui vient à s'embraser.

    Encore un coup de Super Surmoi ? (Tu te détourneras de honte c'est signé, non?)