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Blog - Page 281

  • Deux objets principaux

    Si l'on recherche en quoi consiste précisément (...) la fin de tout système de législation, on trouvera (…) ces deux objets principaux, la liberté et l'égalité.

    À l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit toujours au-dessous de toute violence et ne s'exerce jamais qu'en vertu du rang et des lois, et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre.

    C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.

    (II,11 Des divers systèmes de législation)

     

    Parmi les philosophes des Lumières inspirateurs de la Révolution française, c'est Rousseau qui a le mieux vu et formulé le lien indissoluble entre liberté et égalité.

    En particulier en ce qui est le schibboleth de la vision politique de gauche : l'égalité en droit et en fait est la condition sine qua non d'une réelle liberté.

    Dans son argumentation, on dirait qu'il répond ici par avance à Tocqueville. On connaît la méfiance de celui-ci envers la passion de l'égalité, qui serait le ver dans le fruit démocratique, pourrissant par l'envie le lien social si elle manque trop, limitant le progrès économique si elle progresse trop.

    Une belle aubaine idéologique pour de prétendus libéraux. (Tocqueville lui l'était authentiquement). 

    Rousseau formule clairement l'impossibilité de la dissociation de ces deux valeurs, elles n'existent vraiment qu'ensemble.

    Il n'est de société réellement libérale (et tout simplement viable) que celle qui refuse que l'inégalité tue la citoyenneté. 

    Certes ce n'est pas pour autant qu'on va donner quitus à quelques horreurs historiques. Égalité que de crimes on a commis en ton nom, par exemple dans des régimes prétendus communistes.

    Dans la dernière phrase il faut souligner tend toujours, doit toujours tendre. L'endiguement de l'entropie sociale est le travail jamais achevé de la loi. Il faut imaginer le Législateur en Sisyphe.

     

    Liberté, égalité : et la fraternité dans tout ça ?

    Pour nous, on se le demande, hein ? 

    Pour Rousseau elle est notre horizon évident d'êtres humains, indispensable à notre survie. Et à ce titre elle passe par ce qui fait l'humain avant tout pour lui : la raison.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Un moment de fermentation

    L'usure du ressort civil produit ce que Rousseau nomme un moment de fermentation, où chacun s'occupe de son rang et non du péril (qui menace l'ensemble du corps social).

    On serait dans un de ces moments de fermentation que ça ne m'étonnerait pas.

    Dans la plupart des États de la planète où existe encore un peuple au sens de Rousseau, c'est à dire ceux dont le fonctionnement se veut démocratique (au moins en droit sinon parfaitement en fait), on a comme l'impression que chaque parti, association, syndicat, est plus soucieux du maintien de son rang que des périls.

    (Périls mineurs il est vrai, genre désastre écologique, menaces terroristes, instabilité géopolitique et économique …). Ils mettent leur énergie à rivaliser entre eux au lieu de s'allier, de coopérer en vue du bien commun (qui commence par l'évitement des maux).

    Y a des jours on a envie de leur rappeler la devise d'Hippocrate primum non nocere*.

     

    Et ce qui est vrai des partis à l'intérieur d'une nation l'est aussi entre nations si l'on considère des ensembles tels que l'Europe par exemple au hasard. Je sais je l'ai déjà dit.

    Mais cette rivalité absurde est tellement sidérante. Et si lourde de menaces vu les ressorts incivils utilisés (genre peur haineuse des immigrés).

    Quant aux (nombreux) États du monde où la tyrannie est bel et bien installée (quoique moche et mauvaise), la fermentation a déjà viré en gangrène du corps social (dont un symptôme est logiquement la corruption en termes sonnants et trébuchants, et à tous niveaux).

    Mais soyons optimistes : assignés à la barbarie (cf ce mot note précédente), les habitants de tels États peuvent (re)trouver la motivation et le courage d'acquérir leur liberté.

     

    Pour nous ici aujourd'hui la question est moins périlleuse mais aussi décisive : trouver les moyens de remettre en bon état de fonctionnement notre ressort civil.

    Il est clair que ce n'est pas un boulot pour frimeurs ou boute-feu irresponsables, mais pour artisan(e)s patients et consciencieux.

    L'ennui c'est qu'il y a foule chez les premiers et que les seconds sont bien rares.

     

    * D'abord ne pas nuire.

     

     

     

     

     

  • Le ressort civil

    Peuples libres, souvenez-vous de cette maxime : On peut acquérir la liberté, mais on ne la recouvre jamais.

    (II,8 Du peuple)

    Acquérir la liberté comme la recouvrer sont pareillement des combats, mais pas contre le même type d'ennemi. Les deux actes demandent autant de force et d'engagement, mais pas du même ordre. Ils ne mobilisent pas les mêmes qualités, ne jouent pas sur les mêmes ressorts.

    En effet quand la liberté est à acquérir, c'est contre un pouvoir dur, un asservissement évident. Le combat est clair, frontal. Celui d'un nous contre lui ou eux : tyran, armée etc. Un combat exogène.

    Le peuple qui a vécu un tel combat, mené une telle révolution, peut croire que la liberté si chèrement acquise lui est désormais indissociable.

    Mais c'est oublier qu'une fois la démocratie installée, la liberté peut être attaquée de l'intérieur, par des forces endogènes. Il ne s'agit pas d'on ne sait quel complot obscur. C'est simplement que la liberté porte en elle sa propre contradiction.

    Le peuple libre est celui qui peut faire ce qu'il veut. Or, Rousseau a déjà souligné une difficulté sur ce point :

    On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours : jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal. (II,3 Si la volonté générale peut errer)

    Il y revient dans ce chapitre :

    Un peuple peut se rendre libre tant qu'il n'est que barbare, mais il ne le peut plus quand le ressort civil est usé.

     

    La première partie de cette phrase me paraît sibylline. Sauf peut être à lire dans le mot de barbare l'idée que pour s'opposer à la barbarie de la tyrannie, il faut une force du même ordre. Peut être pas aussi brutale, mais en tous cas aussi brute.

    En d'autres termes, ce qui est décisif pour la libération d'une tyrannie est le rapport de forces. Au sens donc de loi du plus fort définie au chap 3 du livre I (cf ce prétendu droit).

    (Après quoi reste le travail d'établir une vraie démocratie).

     

    La seconde partie de la phrase décrit clairement l'état actuel de nos sociétés.

    Cela a été amplement théorisé, la libération de l'individu a produit un individualisme qui joue le rôle d'un pharmakon. Remède à l'archaïsme des sociétés patriarcales, religieuses, totalitaires, il peut devenir un poison mortel quand le ressort civil est usé.

    Le fameux ressort seul à même de faire fonctionner la double articulation qui porte tout l'enjeu politique : entre droits et devoirs du citoyen, entre intérêts individuels et intérêts collectifs. Le ressort indispensable pour maintenir la démocratie en état de marche.