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Blog - Page 282

  • Une autorité d'un autre ordre

    Il faudrait des Dieux pour donner des lois aux hommes. (II,7 Du législateur)

    Formule commentée ainsi : dans le travail législatif Il y a mille sortes d'idées qu'il est impossible de traduire dans la langue du peuple.

    Pourquoi cette impossibilité ? C'est un point de vue qui néglige les vues trop générales et les objets trop éloignés car il émane de l'individu ne goûtant d'autre plan de gouvernement que celui qui se rapporte à son intérêt particulier.

    En fait Il faudrait (…) que l'esprit social qui doit être l'ouvrage de l'institution présidât à l'institution même, et que les hommes fussent avant les lois ce qu'ils doivent devenir par elles.

    (Tu l'as dit JJ) (quadrature du cercle pour toute société).

    Le premier point désigne une difficulté non pas exactement culturelle, mais plutôt médiatique. Il faudrait que se forme une opinion réellement publique.

    Le second point souligne le risque d'aporie éthique de la démarche du contrat social (déjà relevée cf Un changement très remarquable).

    Rousseau aborde ici frontalement ces difficultés pour donner cette réponse :

    Ainsi le Législateur ne pouvant employer ni la force ni le raisonnement, c'est une nécessité qu'il recoure à une autorité d'un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre.

    Cette raison sublime qui s'élève au-dessus de la portée des hommes vulgaires est celle dont le législateur met les décisions dans la bouche des immortels, pour entraîner par l'autorité divine ceux que ne pourrait ébranler la prudence humaine, dit-il, citant Machiavel à l'appui.

    Remarquons bien dans quel sens ça marche. La bouche des immortels n'est là que pour servir de canal à la raison sublime. Ce n'est pas de religion qu'il s'agit mais de l'appui d'une superstructure idéologique.

    Car il ne faut pas de tout ceci conclure que la politique et la religion aient parmi nous un objet commun, mais que dans l'origine des nations l'une sert d'instrument à l'autre. (Et pas que dans l'origine, comme le prouve la géopolitique contemporaine)

    (JJ développera la question au dernier chap du livre).

    Robespierre* quant à lui, confronté à l'aporie notée ci-dessus, sans doute plus rousseauiste que Rousseau, cherchera un possible étai pour la vertu citoyenne dans le culte de la Raison et de l'Être Suprême.

    Au total l'intérêt de ce chapitre essentiel, pivot de toute la mécanique du livre, est de désigner le paradoxe irrésolu de la loi en démocratie : transcender les intérêts particuliers sans leur être hétérogène. Poser un ordre autre, mais non aliénant.

     

    *L'occasion de conseiller au lecteur le passionnant Robespierre, sous-titré l'homme qui nous divise le plus, de Marcel Gauchet (Gallimard 2018)

     

  • Par une inspiration subite ?

    Dans les sociétés, fussent-elles issues d'un contrat social dûment estampillé rousseauiste, la proportion d'hommes justes qui n'ont point failli, et surtout dont on est sûr qu'ils ne failliront jamais, est peu élevée.

    (Celle de femmes justes un peu plus) (mais non je rigole les mecs) (en fait c'est qu'elles ont souvent moins les moyens de leur injustice).

    C'est pourquoi s'impose la nécessité de la loi, dont l'objet est de conserver le contrat, qui a lui-même pour but la conservation des contractants (JJ l'a dit au début).

    Mais qu'est-ce donc enfin qu'une loi ? Tant qu'on se contentera de n'attacher à ce mot que des idées métaphysiques, on continuera de raisonner sans s'entendre. (II,6 De la loi)

    OK, et donc ? Ta définition, JJ ?

    Quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même, et s'il se forme alors un rapport, c'est de l'objet entier sous un point de vue à l'objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C'est cet acte que j'appelle une loi.

    Oui oui ... Métaphysique n'est peut être pas le mot, j'en conviens, mais de là à dire que c'est simple … Tu peux préciser ?

    Quand je dis que l'objet des lois est toujours général, j'entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière (…) en un mot toute fonction qui se rapporte à un objet individuel n'appartient point à la puissance législative.

    La législation consiste donc à transcrire dans le fonctionnement social la fameuse volonté générale. Les lois ne sont proprement que les conditions de l'association civile. Le Peuple (né du contrat rappelons-le) soumis aux lois en doit être l'auteur.

    Oui bon du coup on tombe sur la question suivante (qui n'est pas la moindre) comment s'y prendre ?

    Sera-ce d'un commun accord, par une inspiration subite ? (…)

    Comment la multitude aveugle qui souvent ne sait ce qu'elle veut parce qu'elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d'elle-même une entreprise aussi grande aussi difficile qu'un système de législation ? (...)

    Voilà d'où naît la nécessité d'un Législateur.

     

     

     

     

     

     

  • Signe de faiblesse ou de paresse

    C'est pour n'être pas victime d'un assassin que l'on consent à mourir si on le devient.

    (II,5 Du droit de vie et de mort)

     

    Rousseau tente par cet argument de justifier la légitimité du Souverain à user de la peine de mort.

    Argument dont il reconnaît implicitement l'absurdité dans cette ironique remarque : il n'est pas à présumer qu'aucun des contractants (du pacte social) prémédite alors de se faire pendre.

    Une absurdité si l'on peut dire double face.

    Ou bien l'aspirant meurtrier pense réellement ainsi (dans la mentalité de l'époque bien sûr, où peu de voix encore s'élevaient contre la peine de mort). Autrement dit il a souscrit au contrat social de bonne foi. Dans ce cas il y a fort à parier que son intériorisation de la loi et son désir du bien commun ne pourront qu'inhiber sa tendance déviante.

    Ou bien il n'a eu aucun scrupule à souscrire mensongèrement au contrat, les yeux dans les yeux s'il le fallait. Aussi pervers que cynique, il pense que la loi est pour les autres. Elle doit le servir, mais ne saurait lui poser des limites.

    Dans les deux cas, comme le dit élégamment Bruno Bernardi, tout rend donc ce chapitre hétérogène à la démarche du Contrat social. (Bref il sert trop à rien dans le raisonnement).

    L'ennui c'est qu'il a inspiré (et inspire encore) de légers excès.

    Comment ne pas songer aux Comités de salut public, de sûreté générale, aux purges staliniennes, maoïstes ou autres, assorties d'autocritiques, aux fatwas punissant les mécréants, quand on lit : (celui qui) devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie, il cesse d'en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre. Alors la conservation de l'État est incompatible avec la sienne.

    Là encore, sensible sans doute à l'énormité du propos, Rousseau l'atténue ainsi : Au reste, la fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le Gouvernement. Il n'y a point de méchant qu'on ne pût rendre bon à quelque chose

    (on le préfère comme ça, notre Jean-Jacques, hein ?)

    Et d'enchaîner sur le droit de grâce. Les cas d'en user sont très rares dans un État bien gouverné parce que les criminels y sont rares. Donc en gros dans la société qu'il propose, peine de mort et droit de grâce partagent logiquement la même impertinence.

    C'est vrai que ce chapitre est là pour pas grand chose, donc. Ou peut être juste pour sa conclusion en forme d'esquive bien révélatrice de son rapport compliqué à la notion de culpabilité.

    Mais je sens que mon cœur murmure et retient ma plume ; laissons discuter ces questions à l'homme juste qui n'a point failli, et qui jamais n'eut lui-même besoin de grâce.

    Un débat pas près d'être tranché donc (j'entends celui des sanctions pénales en général, mais en continuant à refuser la barbare autant qu'inutile peine de mort).