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Blog - Page 278

  • Le nom commun d'anarchie

    Quand l'État se dissout, l'abus du Gouvernement quel qu'il soit prend le nom commun d'anarchie.

    En distinguant, la Démocratie dégénère en Ochlocratie, (gouvernement de la multitude) l'Aristocratie en Oligarchie.

    (III,10 De l'abus du Gouvernement et de sa pente à dégénérer)

     

    La dégénérescence (filons la métaphore biologique) provient de l'expression d'un gène qui perturbe le programme ADN du corps social (cf note Son moi commun).

    Or notre démocratie représentative est, si l'on utilise les termes de Rousseau, un mixte de démocratie et d'aristocratie élective. Elle présente donc une susceptibilité aux deux dégénérescences.

    Première dégénérescence, l'oligarchique : À l'instant que le Gouvernement usurpe la souveraineté, le pacte social est rompu, et tous les simples Citoyens, rentrés de droit dans leur liberté naturelle, sont forcés mais non pas obligés d'obéir.

    Rappelons que le Gouvernement est le mode de gestion du pays, on dirait aujourd'hui la gouvernance. La souveraineté est la prérogative du Souverain (qui est lui-même l'entité collective née du Contrat).

    Le Gouvernement usurpe la souveraineté quand les chargés de gouvernance (= aristocratie élective) (pour nous gouvernement et parlement, élus locaux, auxquels on peut ajouter la haute administration) agissent ou décident selon la logique et les intérêts des sous-groupes qu'ils constituent, au détriment de la logique d'ensemble du corps social.

    C'est la rupture du contrat venue du haut.

     

    La rupture peut aussi venir du bas, si chaque individu se décrète Souverain.

    C'est souvent en opposant la légitimité du "peuple" à la rupture oligarchique du pacte. Sur le thème "c'est eux qui ont commencé".

    Les citoyens en multitude (et non plus en corps) vont s'autoproclamer "Souverains", (c'est l'ochlocratie). L'ennui c'est que dans le Contrat social le pluriel du terme est une contradictio in terminis. Le Souverain n'est tel que par la volonté générale.

    À multiplier les volontés qui se veulent souveraines (individus ou petits groupes d'intérêt), on atomise la volonté générale, on s'achemine nécessairement au retour à la case départ du hors contrat social : le droit du plus fort, et la lutte insensée de tous contre tous.

    On ouvre alors la voie à une anarchie pain bénit pour les aspirants despotes qui  posent aux défenseurs de la démocratie. En ces temps de vérités "alternatives" plus c'est gros plus ça passe.

     

     

     

     

     

     

  • Mais sur le chemin

    Après cette classification des types de gouvernements, Rousseau explique qu'en fait aucun n'existe sous une forme simple, c'est juste de la théorie.

    Dans la vraie vie il n'y a que des formes mixtes composant en proportions variables les ingrédients de la vie politique (le nôtre par exemple est un mixte de démocratie et d'aristocratie élective telles qu'il les définit).

    Puis il envisage le meilleur gouvernement possible pour chaque pays, selon son étendue, sa géographie, son climat, son économie (chap III,8 Que toute forme de Gouvernement n'est pas propre à tout pays).

    Une réflexion bien représentative du physiocratisme en vogue au 18°s.

    Il est amusant de voir comment le côté concret et pragmatique de cette théorie est détourné par la tendance synthétique de la pensée de Rousseau. Ce qui donne des affirmations aussi improbables que :

    Quand tout le midi serait couvert de Républiques et tout le nord d'États despotiques, il n'en serait pas moins vrai que par l'effet du climat le despotisme convient aux pays chauds, la barbarie aux pays froids, et la bonne politie aux régions intermédiaires.

    (Et avec le changement climatique?)

     

    Mais il faut inversement rendre justice à sa réflexion suggestive sur l'éternelle tension de l'impôt : le rapport entre le devoir de contribution des citoyens et le bénéfice qu'ils sont en droit d'en retirer.

    Plus les contributions publiques s'éloignent de leur source, et plus elles sont onéreuses (matériellement comme psychologiquement).

    Ce n'est pas sur la quantité des impositions qu'il faut mesurer cette charge, mais sur le chemin qu'elles ont à faire pour retourner dans les mains dont elles sont sorties ; quand cette circulation est prompte et bien établie, qu'on paye peu ou beaucoup, il n'importe ; le peuple est toujours riche et les finances vont toujours bien.

    Au contraire, quelque peu que le Peuple donne, quand ce peu ne lui revient point, en donnant toujours bientôt il s'épuise ; l'État n'est jamais riche, et le peuple est toujours gueux.

     

    Pourquoi le mot peuple est-il dans un cas doté de majuscule et pas dans les autres ? Lapsus, incohérence ? Vu le rapport pointilleux de Rousseau à la précision des termes, je penche pour une différenciation voulue.

    Le peuple avec minuscule désigne les sujets, soumis au fonctionnement et au cadre de l'État. Le Peuple majuscule désigne les mêmes gens, mais quand ils exercent leur mode Souverain de dépositaires de la volonté générale.

    Conclusion, pour faire son bien de peuple minuscule, le Peuple doit prendre au sérieux sa majuscule (garantie du bien commun contre les intérêts particuliers), pour trouver une bonne circulation de l'impôt.

    Genre de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins.

     

  • La question serait d'en trouver un bon

    Le chapitre De la Monarchie (III,6) est le réquisitoire anti-absolutisme de l'un des principaux inspirateurs des penseurs et acteurs de la Révolution. À travers leur action, il a porté ses fruits, du moins en partie et en certains lieux.

    Si bien que nous ne lisons plus ce chapitre avec autant de passion que les contemporains de Rousseau. Quoique : deux siècles et demi après, il trouve hélas un regain d'actualité, si l'on considère certaines demandes de pouvoir « fort ».

     

    La monarchie pourrait avoir un atout, reconnaît JJ. La concentration maximale du pouvoir peut être un gage d'efficacité. Sauf qu'elle produit une trop grande distance entre le Prince et le Peuple, et l'État manque de liaison. Pour la former, il faut donc des ordres intermédiaires.

    Or en monarchie tout dépend du bon vouloir du Prince, ce sont donc ceux qui savent le mieux lui faire leur cour qui seront recrutés.

    Ceux qui parviennent dans les monarchies ne sont souvent que de petits brouillons, de petits fripons, de petits intrigants, à qui les petits talents qui font dans les Cours parvenir aux grandes places, ne servent qu'à montrer au public leur ineptie aussitôt qu'ils y sont parvenus.

    (On sent qu'il a des exemples en tête, JJ) (curieusement nous aussi).

    Quant au monarque lui-même, il le faudrait vertueux, intelligent etc. Chose rarissime en monarchie héréditaire. Pourquoi avoir écarté la monarchie élective ? L'interrègne était propice aux rivalités factieuses.

    Sauf que, substituant l'inconvénient des régences à celui des élections (…) on a mieux aimé risquer d'avoir pour roi des enfants, des monstres, des imbéciles, que d'avoir à disputer sur le choix de bons Rois.

    On prend beaucoup de peine, à ce qu'on dit (savoureuse incise pleine d'implicites), pour enseigner aux jeunes Princes l'art de régner (…) On ferait mieux de commencer par leur enseigner l'art d'obéir.

     

    Bref la monarchie est un système dans lequel on met toutes les chances de son côté pour éviter un bon gouvernement. Et Rousseau de terminer le chapitre en persiflant (persiflant ? C'est la contagion du style 18°s).

    On nous dit, dit-il, qu'il faut supporter les mauvais rois comme des châtiments du ciel. Ce discours est édifiant, sans doute ; mais je ne sais s'il ne conviendrait pas mieux en chaire que dans un livre de politique. Que dire d'un Médecin qui promet des miracles, et dont tout l'art est d'exhorter son malade à la patience ?

    On sait bien qu'il faut souffrir un mauvais Gouvernement quand on l'a ; la question serait d'en trouver un bon.