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Blog - Page 350

  • La bonne formule

    « La nuit porte conseil. »

     

    À condition de dormir bien sûr. Car il ne faut pas se fier aux pensées ou décisions qui par hypothèse naîtraient de l'insomnie.

    La nuit porte conseil mais l'insomnie porte embrouillamini.

    Et dormir n'est pas du temps perdu, même si l'on se couche de bonne heure.

    C'est vérifié au plan physiologique, et esthétique aussi : qui ambitionnerait le look de loque au teint terreux, de zombie aux cernes bistres, de robot aux gestes mécaniques qui signale les amants de dame Insomnie ?

    Et puis tout écolier sait que les mots de la leçon se cristalliseront au petit matin. Pour peu qu'elle ait été lue plusieurs fois quand même, ça va sans dire mais mieux en le disant, hein.

    Tout lauréat putatif ou avéré de la médaille Fields s'endort du sommeil du juste, confiant qu'il verra au réveil la solution de l'équation sur laquelle il a cogité toute la journée.

    La situation paraissant inextricable au coucher se dénoue comme par miracle à la lumière du petit matin. Alors la sagesse suggère de ne pas se prendre la tête

    « En vain vous avancez votre lever, vous retardez votre coucher vous mangez le pain des douleurs. Oui Il donne au bien-aimé le sommeil » psaume 127 (à mémoriser pour vos insomnies).

    Et puis il y a le meilleur porte-conseil, le rêve.

    « Un grand hall, beaucoup d'invités, nous recevons. Parmi ces invités, Irma, que je prends tout de suite à part, pour lui reprocher, en réponse à sa lettre, de ne pas avoir accepté ma 'solution'. » (L'interprétation du rêve chap2)

    Celui-ci vient interroger Freud sur la validité de ses recherches. Dans le rêve il y a eu bavure médicale sur la personne de cette pauvre Irma, pourquoi, qui est fautif ?

    La réponse se présente d'une étrange façon : le dessin de la molécule de triméthylamine s'inscrit en caractères gras devant les yeux du rêveur, la lettre N (azote) avec trois branches vers le C (carbone), et de chacune 3 branches vers le H (hydrogène). N-CH3/CH3/CH3.

    On comprend qu'Irma est malade parce qu'on lui a injecté une solution de triméthylamine avec une seringue sale. La solution de Freud, c'est à dire la psychanalyse ne serait donc pas bonne ?

    Pourtant, dit Lacan dans sa lecture de ce rêve, remarquons que la triméthylamine apparaît en une formule, comme un rébus à déchiffrer.

    Conclusion ce rêve dit avant tout : et si un rêve se faisait pour presque une seule raison, être interprété ? CQFD.

    Comme en écho au rêve freudien, ou peut être à entendre comme une géniale reformulation du proverbe, ces mots d'Eluard :

    Je rêve que je dors, je rêve que je rêve. 

     

     

  • Chat perché

     

    « Chat échaudé craint l'eau froide. »

     

    On remarquera d'abord que ce proverbe ne prend pas beaucoup de risques en nous balançant cette affirmation, vu que les chats n'aiment pas l'eau de toutes façons.

    Cependant cette phrase est pleine de ressources.

     

    Elle pourrait faire le slogan astucieux d'une pub pour mitigeurs.

    Étonnant que personne n'y ait songé. Faut dire que la pub est un monde par définition conformiste. Et donc on n'y connaît que l'eau déjà tiède.

     

    On pourrait aussi la moduler de bien des façons. Par exemple tenez :

    Dans un style plus frappant, plus grandiose.

    Dinosaure écrabouillé craint petits galets.

    Pour une prise de conscience écologique.

    Champ monsanté craint même semis bio.

    En commentaire de l'œuvre de Schopenhauer.

    Porc-épic trop piqué craint aussi sa poupée.(cf ce blog 26 et 29 déc 2016)

     

    Mais il y a surtout à remarquer que ce proverbe, construit, comme autour d'un pivot, sur le verbe craindre, constitue la devise idéale du phobique (phobos = peur).

    Allez oui tiens, puisqu'on y est, n'évitons pas ce sujet de la phobie. Histoire de passer un bon moment, y en a pas tant.

     

    La phobie est une névrose vraiment à part, dit Lacan. (Outre que le phobique passe son temps à se mettre à part de plein de trucs).

    Toute névrose qui se respecte a pour matériau brut une angoisse qu'elle jugule en l'exprimant par des symptômes.

    Ainsi rites et obnubilations de la névrose obsessionnelle tentent de cadrer l'angoisse, de lui baliser des chemins.

    Somatisations et histrionisme de la névrose hystérique la convertissent en spectacle bruyant. 

    Mais dans la phobie, l'angoisse à l'origine de tout symptôme devient elle-même le symptôme.

    Le phobique n'est que peur. La peur est sa constante, le fondement de son rapport au monde.

    L'expression de la peur peut papillonner d'un objet à l'autre, ou même en combiner plusieurs.

    Mais ce qui est sûr, c'est que les objets phobiques ne sont pas aptes à remplir la fonction de réduire l'angoisse, comme les symptômes des autres névroses.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Ils ne sont aptes qu'à diffracter comme en un arc-en-ciel l'angoisse vide, blanche, transparente.

    Cette chose invisible mais par laquelle seule on voit le monde.

     

    C'est pourquoi Lacan dit fort joliment que l'angoisse est « le cristal signifiant de la phobie ». 

     

  • Seuil critique

     

    « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. »

     

    Un proverbe bien représentatif de la tendance du sens commun à enfoncer des portes ouvertes.

    Personnellement je vote pour lui décerner un La Palice d'honneur lors du prochain Festival du Café du Commerce.

    Mais ayant l'esprit ouvert, je veux bien entrer dans le débat. Et admettre qu'il se peut que la porte soit à double fond.

     

    Cas 1. On entend « il faut » au sens moral. Le proverbe (se référant probablement à Kant ou Kierkegaard) attire l'attention sur la nécessité de la décision éthique.

    Ouvrir ou fermer la porte, il faut choisir.

    (Remarque. Ainsi s'entend généralement le proverbe, comme en témoignent des textes fort divers) :

     

    Consigne impérative à tous collaborateurs  (excepté personnel open space) : il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, sous peine de la prendre vite fait.

     

    Règlement de copropriété.

    Article 1 : il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée.

    Article 2 : mais fermée c'est mieux, avec ce qui traîne dans le quartier.

     

    Il est écrit « il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ».

    Un temps pour ouvrir la porte, un temps pour fermer la porte. Mais quand viennent les courants d'air ils l'ouvrent et la claquent à leur guise.

    Car le vent souffle où il veut. Et tout est vanité sous le ciel.

     

    Cas 2. On entend « il faut » comme une constatation (= il faut bien, c'est comme ça on n'y peut rien, c'est la vie voilà, fatalitas, anankê tout ça tout ça).

    Mais c'est pas simple pour autant.

     

    2a) on comprend « ou » au sens disjonctif du principe aristotélicien de non-contradiction. Il trace une ligne de démarcation entre états incompatibles de la porte.

    Ce qui est ouvert n'est pas fermé, et ce qui est fermé n'est pas ouvert. Genre il faut que cela soit ou de la prose ou des vers.

    (Remarque. Dans ce cas cela me donne raison : ce proverbe parle pour ne rien dire. Mais je dis ça je dis rien, poursuivons.)

     

    2b) on donne à « ou » un sens potentiellement inclusif. On débouche alors sur l'affirmation d'un paradoxe : le caractère de la porte est d'être à la fois ouverte et fermée.

    Et voilà que le concept de porte s'en trouve radicalement déplacé.

    Et, par contiguïté logique, ceux de mur et de frontière également.

    (Remarque. Peut être faudrait-il informer les responsables politiques et le conseil de sécurité de l'ONU de cette acception possible du proverbe ?)