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Blog - Page 400

  • Katas

     

    « La sociologie est un sport de combat ». Dans un documentaire qui lui est consacré, Bourdieu prononce cette phrase au sortir d'un échange musclé avec des « jeunes des quartiers ».

    Le film date d'une vingtaine d'années, mais la phrase reste actuelle. Les propos de Bourdieu à ses interlocuteurs aussi. Il n'hésite pas à leur dire en substance : c'est vrai vous êtes aux prises avec des inégalités, des discriminations. Mais cela ne doit pas vous servir d'alibi pour ne pas faire votre part du chemin.

    Il les incite en particulier à profiter de tout ce que l'école propose, de l'énergie des instits et des profs qui continuent d'y croire, de remplir leur mission d'éducateurs et de passeurs culturels. L'enseignement aussi est un sport de combat.

    La philosophie est un sport de combat. Sport de combat encore l'effort scientifique. Au fait il paraît que c'est le Pi-day aujourd'hui. Saluons en son honneur notre Géomètre préféré. Sans oublier qu'aujourd'hui est aussi, est surtout, un triste anniversaire à Fukushima.

    Car sport de combat surtout ce qui contribue à catalyser lucidité et puissance de penser, à résister aux a priori et à l'aliénation, à construire un savoir qui libère.

    Pour la philosophie, si tous les domaines méritent le même engagement, de l'esthétique à l'épistémologie (sauf la métaphysique faite pour se divertir avec ou sans Pascal), nihil novi depuis Spinoza : le lieu majeur de la bataille est de toute évidence l'éthique.

    Il a conçu la sienne comme une somme nécessaire et suffisante alors qu'Aristote soi-même avait décomposé son enseignement. Logique, poétique-esthétique, physique, métaphysique, éthique-politique.

    Avec Spinoza c'est 5 en 1, le tout organisé sous le primat de l'éthique qui pose la seule question qui vaille : faire et être bien, comment ?

    Le schéma de son livre est bel et bien celui d'un combat, voire d'une guerre de libération. Le plan d'une campagne pour passer de la servitude à la liberté. Observer les forces d'affects en présence, déterminer les buts de guerre, constituer le bataillon « Intellect », car c'est lui qui détient la clé de la victoire.

    Tout cela selon la technique de l'art martial. Retourner contre eux l'agression des adversaires (superstition, finalisme, affects débilitants de tristesse). Il s'agit de savoir pratiquer l'esquive, le dégagement en souplesse, et renverser la direction de la force.

    Et surtout comme tout sport de combat, tout sport en général, l'éthique repose sur l'entraînement, la pratique. Sur l'intégration d'un enchaînement de gestes.

    L'éthique a ses katas. Et tel est celui de Maître Spinoza :

    « Par le pouvoir d'ordonner et d'enchaîner correctement les affections du corps nous pouvons faire de n'être pas aisément affectés par des affects mauvais.

    Donc le mieux que nous pouvons faire aussi longtemps que nous n'avons pas la connaissance parfaite de nos affects (en pratique soyons clairs qui y arrive ?),

    c'est de concevoir la droite règle de vie, autrement dit les principes de vie certains,

    de les graver dans notre mémoire afin que notre imagination s'en trouve largement affectée

    et que nous les ayons toujours sous la main. » (Éthique P5 scolie prop 10)

    Les principes de vie certains c'est quoi ? Sans doute faut-il une vie pour les découvrir. Mais posons un principe : celui d'essayer.

     

  • Joie

     

    Imaginons ... flemmarde ... blabla … auto-citation blabla etc. (cf Conatus)

    « La joie se décline dans un sympathique lot d'affects que Spinoza a répertoriés avec le soin pointilleux qu'on lui connaît.

    Laetitia. Épanouissement, dilatation de l'être, illumination du visage, sourire, tel un paysage soudain riant dans l'éclosion du printemps.

    Joie primaire et spontanée, joie d'exister dans "l'existence-même, c'est à dire  l'éternité*". La joie de Rimbaud dans l'aube d'été.

    "L'affect de joie, quand il se rapporte à la fois à l'esprit et au corps, je l'appelle titillatio ou hilaritas." (scol prop11 P3). Ces deux affects s'opposent dit-il à douleur et à mélancolie.

    Titillatio est chatouillement, caresse, plaisir d'être, éprouvé corps et âme.

    "C'est beau d'avoir élu domicile vivant / Et de bercer le temps dans un cœur consistant" (dit Supervielle).

    Hilaritas est gaieté, belle humeur. C'est le mot qui a donné hilarité, précieuse faculté de se laisser alléger par un bon mot, une image drôle, de prendre la vie du bon côté.

    L'hilaritas, contagieuse et ainsi unificatrice, est une bonne manière qu'on se fait entre humains, une douceur dont on se réconforte dans les âpretés de l'existence.

    Gaudium, le contentement, "est une joie qu'accompagne l'idée d'une chose passée qui s'est produite au-delà d'une espérance." (P 3 déf 16)

    Au-delà, non pas nécessairement en la satisfaisant. Mais, tout compte fait, la joie est là, la joie de se dire : c'est bien ainsi.

    Gaudium est le mot qui a donné joie en français (et autres langues). Il est remarquable que Spinoza, pour définir l'affect en général, ait préféré laetitia. Choix de la référence au concret, au réel, à l'immédiat.

    Plus abstrait, gaudium implique un différentiel de temps, le temps nécessaire à l'effort éthique de cultiver la joie (fleur pas toujours précoce).

    Joie secondaire, raisonnée, médiatisée. Joie sublimée, dirait Freud.

    "Qui donc s'emploie à maîtriser ses affects et ses appétits par seul amour de la liberté s'efforcera, autant qu'il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s'emplir l'âme du contentement (gaudium donc) qui naît de leur vraie connaissance ; mais (s'efforcera) de contempler très peu les vices des hommes, ou les dénigrer (…)

    Et qui observera cela diligemment (et en effet ce n'est pas difficile) (hilaritas made in Spinoza) et s'y exercera, celui-là, oui, en peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison." (P5 scol prop 10)

    "Risus, tout comme jocus est pure joie (laetitia)." (scol coroll 2 prop 45 P4)

    Risus, le rire, celui qui éclate, celui qui libère, qui voit l'absurdité du dérisoire et dit : mieux vaut en rire.

    Jocus, la plaisanterie, a donné le mot jeu. Il s'agit en effet de jouer avec les mots, grâce à eux de déjouer le mal et le malheur, la mort elle-même.

    De jouer à déjouer la fragilité de notre condition humaine, ainsi que le montre Freud dans son livre sur le Mot d'esprit dans son rapport avec l'inconscient. »

    *NB "éternité" : bloquez pas sur le mot, on y viendra, je prévois une entrée Temps.

     

  • Iris

     

    « Parmi ses écrits qui n'ont point été imprimés, un traité de l'Iris ou de l'Arc-en-ciel.

    Je connais à La Haye des personnes distinguées qui ont vu et lu cet ouvrage, mais n'ont pas conseillé à Spinoza de le donner au public ;

    ce qui peut être lui fit de la peine et le fit résoudre à jeter cet écrit au feu six mois avant sa mort » nous informe Colerus.

    Bien que distingués (ou parce que ? cf Fabricius) ces gens n'ont sans doute rien compris au livre.

    Vexés, plutôt que de l'avouer, ils ont dit : "c'est trop nul". Classique.

    On me dira : meuh non le conseil de ne pas publier c'était juste pour lui éviter des ennuis. Mettons, mais alors questions :

    a) Pourquoi que ça lui aurait fait de la peine qu'on se soucie de lui éviter des ennuis ?

    b) Vous arrivez à imaginer, vous, en quoi un traité sur l'arc-en-ciel peut s'attirer quelque foudre que ce soit ?

    c) Et quand bien même, pourquoi alors ne pas l'avoir caché quelque part, ou confié à des amis, avec mission de le publier après sa mort (comme il l'a fait pour Éthique) ?

    Peut être qu'avoir l'impression de passer son temps à jeter des perles aux pourceaux, ça finit par casser le moral, même au promoteur du conatus ?

    Car auto-autodafé égale plus ou moins suicide symbolique, oui ou non ?

    Divagations & psychologie de bistrot ? OK sans doute, mais imaginer la peine (même supposée) de Spinoza, j'y peux rien ça me fait de la peine aussi.

    « De ce que nous imaginons une chose semblable à nous affectée d'un certain affect, nous sommes par là-même affectés d'un affect semblable. »

    (Éthique 3 prop 27).

    C'est ce qu'il appelle dans le scolie qui suit "Imitation des affects".

    Attention ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Si je suis semblable à lui, c'est juste que Spinoza était un homme, et que moi je suis un homme comme les autres (quoique femme).

    Donc. CQFD.

    Mais c'est vrai. Humaine trop humaine sans doute, je me suis laissée entraîner.

    En fait la mention de ce traité m'est venue de l'idée suivante : pour faire le portrait de Spinoza il ne faudrait rien de moins que tout le spectre de l'arc-en-ciel.

    Et d'abord parce qu'il pense arc-en-ciel.

    « Analytique, obsessionnellement. Voir par exemple l'époustouflante combinatoire des paramètres déterminant les affects dans la partie 3 d'Éthique. Mais en même temps il fonctionne selon une vision intuitive, synthétique et multidimensionnelle.

    Il pense donc à la fois en nuances de couleurs dépliées en extension, et en lumière blanche, la lumière intensive, qu'on ne voit pas mais qui fait voir.

    Deux qualités rarement réunies à un tel degré, sauf génie naturellement. En fait Spinoza philosophe comme Bach cantate ou Einstein équationne, avec le même logiciel harmonique. »

    (auto citation encore, à l'AISI comme à l'AISI cf Humilité).