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Blog - Page 397

  • Puissant

     

    « Je passe enfin à cette autre partie de l'Éthique qui porte sur la manière ou la voie qui mène à la Liberté. J'y traiterai donc de la puissance de la raison, montrant ce que la raison même peut sur les affects, et ensuite ce qu'est la Liberté de l'Esprit ou béatitude, et par là nous verrons à quel point le sage est plus puissant que l'ignorant. » (Ethique Début de la préface de la Partie 5)

     

    Pas à dire c'est un marrant, Spinoza. Toujours le mot pour rire. Nous verrons à quel point le sage est plus puissant que l'ignorant. Peut être j'aurais besoin d'une visite chez l'ophtalmo, mais Dieu me distingue je dois dire que franchement je vois pas si bien que ça à quel point.

    J'ai comme l'impression au contraire, balayant d'un regard circulaire et global notre bonne vieille terre, de voir tant d'ignorants se retrouver en masse parmi les puissants. Des ignorants pas forcément cons, qui ont pu faire de bonnes études.

    Ou en tous cas des ignorants malins, qui se sont débrouillés pour se placer dans les soi-disant élites, là où le pouvoir se déguste sur un plateau d'argent.

    On me dira que c'est précisément parce que mon regard est trop global, que je ne regarde pas aux bons endroits. Là où sont les nids de sages, les essaims de saints. Je réponds à cela que je regarde où je peux, où je suis.

    En Europe par exemple : parmi ses gouvernants globalement, vous diriez qu'il y a majorité de sages ou de bourrins ? Hein ? Et pourtant que peuvent face à eux les (rares) d'entre eux (un peu plus) rationnels & raisonnables ?

    Car les ignorants malins disposent d'une arme dévastatrice : la force d'inertie. Genre le gamin fermé dans sa bouderie qui « ne veut pas entendre raison ».

     

    Donc je voudrais pas vous faire de la peine, M'sieur Spinoza, mais elle est où, la puissance de la raison ?

    « Un affect est une passion (ce qu'on subit passivement) qui cesse d'être une passion sitôt que nous en formons une idée claire et distincte. » (prop 3 P5)

    « L'ignorant vit presque inconscient de soi, de Dieu et des choses (= inconscient de DSN), et dès qu'il cesse de pâtir, il cesse d'être. » (scol prop 42 P5)

    Ah OK d'accord ! Du coup, si je comprends, l'ignorant s'accroche comme un pou à sa passion, à son impuissance, juste pour avoir l'impression d'exister ? Et c'est comme ça qu'il tire tout le monde vers le bas ?

    En effet. « En tant qu'ils sont en proie à des affects passifs les hommes peuvent être contraires les uns aux autres ». (prop 34 P4).

    Mais en revanche « C'est en tant seulement qu'ils vivent sous la conduite de la raison, que les hommes conviennent toujours par nature ». (prop 35 P4)

    CQFD sûr de sûr foi de Baruch.

    Bon, si vous le dites, je veux bien vous croire. Mais concrètement on fait quoi alors ? On suggère à tous les affectés de passivité d'entamer une analyse pour cesser d'être inconscients de soi …

     

    - Ach das ist eine so schöne Idee, liebe Ariane.

     

  • Phtisie

     

    Y a des moments Colerus il l'est un peu.

    « On a fait tant de différents rapports, et si peu véritables, touchant la mort de Spinosa, qu'il est surprenant que des gens éclairés se soient mis en frais d'en informer le public sur des ouï dire, sans auparavant s'être mieux instruits eux-mêmes de ce qu'ils débitoient. »

    Eh bien la rumeur ne passera pas par lui ! Il s'escrime à réfuter le tissu de fables et de mensonges qu'il trouve par ci par là. Exemple Spinoza serait mort de peur, suite à la menace d'être embastillé dans notre doulce France qui n'était pas encore celle des Droits de l'Homme. Loufoque, non ?

    Heureusement que Colerus n'était pas du genre à mourir de rire, sinon y aurait eu du dégât collatéral dans l'air. Non lui ce qui l'ennuie vraiment c'est que courent deux rumeurs dans le port d'Amsterdam et les rades de la Haye :

    1) « que (durant son agonie) ces propres paroles lui étaient sorties de la bouche une et même plusieurs fois 'O Dieu aye pitié de moi misérable pécheur' »

    2 ) «qu'il tenait auprès de soi du suc de Mandragore tout prêt, dont il usa quand il sentit approcher la mort ». 

    « De quoi de quoi ? Un homme écrit pis que pendre sur la religion (qu'il nomme superstition) et retire à Dieu son statut de tout puissant providentiel. Et puis il l'appellerait au secours devant la mort ? N'importe quoi ! »

    Ça, c'est ce que dit en substance un autre biographe de Spinoza, un dénommé Lucas, qui lui tresse plein de louanges pour son dévouement à la cause de la vérité.

    Colerus en reste au factuel : les gens qui étaient avec lui n'ont pas entendu ces mots. (Entre nous je pense que Spinoza aurait préféré cette démarche).

    Mais il ajoute « il n'y a pas d'apparence non plus qu'elles soient sorties de sa bouche, puisqu'il ne croyait pas être si près de sa fin ». Sous entendu : « s'il s'était su à l'article de la mort, va savoir si le grand Spinoza n'aurait pas in extremis ratifié ma foi de Colerus ? »

    C'est ce qui s'appelle se donner le bénéfice du doute.

    Quant à l'histoire de la mandragore, il ne cherche pas non plus à argumenter sur le fond. Comme quoi précipiter sa fin, dans la perspective du conatus perseverare in suo esse c'est un peu limite. Ou pas ? En tout cas ça se discuterait.

    Il se contente de mentionner le mémoire de l'apothicaire pour les médocs, Spinoza étant mort avant de régler la note. (Entre nous ça fait pas trop de pub audit apothicaire dont je tais le nom y a prescription quoique Colerus, lui, n'hésite pas à balancer).

    « On n'y fait aucune mention ni d'Opium ni de Mandragore ». Si c'est pas une preuve, ça, hein ?

    Bref, dit Colerus, voici ce qui est sûr. Spinoza la veille de sa mort, comme il ne se sentait pas très en forme, « après avoir fumé une pipe de tabac s'alla coucher de bonne heure ». 

    (Comme Proust en quelque sorte. Sauf que Proust ne fumait pas mais faisait des fumigations contre son asthme).

    Personne ne s'inquiéta outre mesure, ils avaient l'habitude de le voir en sale état, car il était d'une constitution très faible, malsain, maigre, & attaqué de phtisie depuis plus de vingt ans. Mais voilà le lendemain la phtisie a fini par le tuer. C'était le 21 février 1677, il avait 44 ans.

    Pas si mal pour un phtisique à l'époque. À qui de surcroît, il faut bien le dire, un certain nombre de gens, distingués ou pas, s'étaient employés à pomper l'air.

     

  • Objet non identifié

     

    Il ressort au moins une chose du concept de Dieu chez Spinoza : il  est clairement inepte (= adaptable à rien de connu) comme dirait Montaigne. Ce qui oblige à revoir notre logiciel comme disent les médias.

    Un concept trop simple, trop cétévidentesque pour un amateur de byzantinismes adorant l'alibi métaphysique.

    Concept au contraire trop subtil pour un fondamentaliste de toute marque. (NB Les fondamentalismes comme les marques de lessive c'est un même produit sous différents conditionnements).

    On a reproché à Spinoza de se forger ce concept précisément à sa main. Comme Louis Soleil dit L'état c'est moi, lui dit en quelque sorte Dieu est ce que j'en dis.

    Colerus en est tout chamboulé le pauvre homme. « Il se donne la liberté d'employer le nom de Dieu, et de le prendre dans un sens inconnu à ce qu'il y a jamais eu de Chrétiens. »

    Mais là où ça coince vraiment, et pour bien d'autres que ce bon vieux Colerus, c'est que Spinoza établit une jonction hardie entre les deux concepts de liberté et de nécessité. Voici donc :

    La minute nécessaire de Monsieur Spinoza

    Minute c'est une façon de parler, en fait Spinoza dirait plutôt « un certain aspect d'éternité ». (Pas d'affolement on verra ça à Temps). 

    « Est dite libre, la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature et se détermine par soi seule à agir ». (déf 7 Partie 1)

    Se détermine par soi seule à agir : les lois en fonction desquelles DSN évolue (en leur complexité de combinatoires ça va sans dire) ne lui sont pas extérieures (voir Ni ni). Il/elle est ces lois-mêmes. Tout en se constituant dans l'existence sous l'action de leur processus.

    Bref donc nature « naturée » (versant nécessité) et nature « naturante » (versant liberté) sont la même chose, sous deux modalités simultanées.

    « Cet Étant éternel et infini que nous appelons Dieu, autrement dit la Nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. » (Préface Partie 4)

    Spinoza a bien vu que sur ce coup-là tous les Colerus friseraient l'apoplexie.

    « Je ne doute pas qu'il s'en trouve beaucoup pour rejeter cette proposition comme absurde pour la seule raison qu'ils ont l'habitude d'attribuer à Dieu une autre liberté, bien différente de celle que nous avons dite ; à savoir une volonté absolue. » (Partie 1, prop 33, scolie 2).

    Entre nous ceux-là se simplifieraient la vie en admettant (à vrai dire en constatant) que DSN ne veut rien et se contente d'être. D'être juste ce qui se fait, selon le procès de l'espace-temps.

    Dont participe chaque chose, dans la même libre nécessité. Vous, moi, Hulot, Einstein, Spinoza, Melle VE, les graminées, les araignées, l'arc-en-ciel.

    Et toutes les organisations émergeant de l'activité de la nature. Et de celle des hommes. Mais là c'est une autre histoire, beaucoup plus problématique côté liberté comme nécessité.