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Blog - Page 410

  • Résolument

     

    Noël en décembre : bientôt le début d'année. C'est pas tout ça mais faudrait envisager nos bonnes résolutions.

    Résolution n°1 « Primum non nocere ».

    C'était dit-on la devise d'Hippocrate. Humour ? Excuse souriante à l'inévitable impuissance qui est parfois le lot de la médecine ? Certainement.

    Mais aussi rude sagesse. C'est loin d'être facile de ne pas nuire. Nombreuses sont les occasions de nuisances à notre portée, qu'elles soient volontaires ou involontaires. Alors se préoccuper d'abord, en premier lieu et avant tout, de ne pas nuire, c'est non seulement prendre les choses par le bon bout de la raison (dirait Rouletabille), donc la lucidité et le pragmatisme, mais aussi prendre par la même occasion son courage à deux mains.

    Bien faire, voire faire du bien : fréquent projet, en tous cas fréquemment annoncé. De bonne ou de mauvaise foi ? Question déterminante. Mais soit : pour la commodité du raisonnement, supposons (y compris en soi) un sincère désir de bien faire. Sa sincérité ne réduit cependant pas la difficulté de sa réalisation.

    Or pour résoudre une difficulté, le plus simple est de s'y prendre comme avec une équation, en écrivant des équivalences successives. On s'aperçoit alors que la phrase d'Hippocrate n'est pas une restriction, mais juste une reformulation. Bien faire = ne pas mal faire. (CQFD)

    Oui mais comment ?

    La formulation négative d'Hippocrate montre un chemin proche (toutes choses égales par ailleurs) du principe de lutte non violente que Gandhi a appelé la non coopération. Il s'agira de réduire à chaque occasion, dans toute la mesure possible (en occupant toute l'étendue du possible qui se présente), sa production de nocivité.

    Du coup, primum non nocere ne peut pas être interprété comme une pirouette ou un alibi. Au contraire c'est un programme qui demande résolution sans faille, constant courage.

    C'est une révolution à entreprendre, une résistance à tenir, contre la facilité de petits (ou gros) arrangements avec l'injustice (les nôtres et ceux d'autrui), contre le mensonge (fût-ce par omission), contre la politique de l'autruche.

    En outre primum non nocere vaccine contre le virus du « mieux » qui est on le sait l'ennemi du bien. Par exemple en suggérant de réduire ses exigences envers autrui. Déjà pas si mal lorsque des autres on reçoit de la non-nuisance. De cela on peut toujours leur savoir gré, sans attendre davantage.

    Le précepte est aussi à usage personnel : cesser de se mener la vie dure en exigeant trop de soi. Tu n'arrives pas à faire aussi bien que tu voudrais ? Fais déjà aussi moins-mal que tu peux.

    Ou pour le dire avec notre ami des Essais « En un temps où le méchamment faire est si commun, de ne faire qu'inutilement il est comme louable. » (Essais III, 8 De la vanité)

     

    Primum non nocere. D'abord passer par là pour arriver un jour qui sait à l'étape seconde, à un « secundum bene facere » ?

     

     

     

  • Changer la vie

     

    Sans me vanter les révolutionnaires de 1789 ont eu plein de bonnes idées.

    En particulier ça va sans dire mais mieux en le disant et encore mieux en le faisant liberté égalité fraternité. Ils l'ont fait au moins sur le papier, disons ils l'ont fait jusqu'à un certain point. Déjà bien beau qu'à ce point-là ils soient arrivés, à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen par exemple.

    Quant à l'idée de changer le calendrier, ce n'est pas la moins intéressante qui leur ait traversé l'esprit. Décidons qu'ici et maintenant commence l'an I d'une ère nouvelle, ça a un certain panache. D'autant plus beau peut être que ce fut inutile, en tous cas ça n'a pas pris.

    On voit la motivation politico-anthropologique bien intentionnée. Arracher le temps, et itou les hommes qui y vivent leur vie, à la domination symbolique du religieux et à ses aliénations.

    Désacraliser la segmentation des unités temporelles. Exemple décade contre semaine référant aux sept jours de la création. Expulsion des noms de dieux, fussent-ils romains (a fortiori celui du ci-devant Seigneur absolu du monothéisme) : à bas vendredi ou dimanche, vivent octidi ou décadi !

    On peut être sceptique sur le bien fondé de cette table rase culturelle, la taxer de psycho-rigidité, voire de tendance crypto-phobique. N'empêche sa naïveté me séduit. La naïveté de la foi dans le pouvoir performatif des mots, dans le pouvoir structurant de la forme sur le fond.

    Ce qui s'explique : nombre de révolutionnaires étaient hommes de loi, magistrats, avocats.

    Joli moment tout de même quand les mois furent gratifiés de noms poétiques par Monsieur Fabre dit d'Églantine. (Entre nous je me suis laissé dire que le mec aurait eu du mal à être surnommé l'Incorruptible. Phobie administrative peut être ?)

    Mais ne boudons pas pour autant son splendide Messidor. Qui en plus fait entendre un sacré sous-texte à une oreille post-lacanienne (style Messie dort ? Parfait ne le réveillons pas). Je sais bien qu'à l'époque ils s'en tenaient à leur latin, et donc à l'évocation des moissons (quoique ?)

    Admirons sans réserve l'à jamais zolesque Germinal. OK Nivôse ou Ventôse déjà ça le fait moins, évoquant le niveau de neige dans le caniveau, ou les ventouses pour soigner l'angine parce qu'on est sorti sans se protéger le cou (précaution assez utile au demeurant en tous mois de l'année 93).

    L'hiver c'est pas vraiment vendeur : froid pluie gris vent = dilemme gelage ou emmitouflage. Je reconnais que ce n'est pas le cas en ce moment mais faut se méfier. Si on votait l'abolition définitive de la royauté hivernale perso je mettrais pas mon veto. Mais je le dis pas trop fort rapport à la COP21.

    Au fait maintenant que sont réglées les histoires de degrés et tout, je suggère un addendum à l'accord : renommons les saisons, à défaut de les révolutionner.

    Article1 : le ci-devant Printemps est désormais dénommé Carnavalbalfestival, le ci-devant Été Bronzédor, le ci-devant Automne Cébonçalelactaire ?, et le ci-devant Hiver Grippôse.

    Salut et fraternité.

     

     

  • Les Admirables

     

    « L'Admiration est l'imagination d'une chose en quoi l'Esprit reste fixé parce que cette imagination singulière n'est aucunement enchaînée aux autres »

    Éthique III (Des Affects).

    Spinoza termine son étude des affects par un sommaire récapitulatif dans la veine du classique ce qu'il faut retenir, l'encadré de la leçon du jour dans tout manuel scolaire qui se respecte. Un sommaire inauguré par la définition du désir et conclu par celle de la lubricité.

    Preuve s'il en fallait que Spinoza ne manquait ni d'humour ni de suite dans les idées. (Précision pour ceux que la chose pourrait intéresser dans la VO désir c'est cupiditas, et lubricité libido). Pas moins de 48 définitions dans ce sommaire, preuve s'il en fallait que lorsque Spinoza entreprenait une question il ne se contentait pas de l'effleurer.

    Admiration avec une majuscule, comme pour d'autres termes dans l'Éthique. Or il n'était pas le genre d'homme à faire un truc sans raison, donc je m'interroge. Peut être la majuscule est-elle (dans le texte de l'Éthique au moins) une sorte de repérage, de marquage.

    « Ce mot, ici, faites bien gaffe à l'entendre au sens où je le définis et pas autrement. Faute de quoi venez pas vous plaindre si vous comprenez pas ... » Évidemment cette option prête à confusion pour les termes disposant déjà de leur majuscule personnelle, Dieu par exemple. CQFD.

    Euh bon, on va pas commencer tout de suite le colloque Graphie spinoziste, propre pourtant à passionner des milliards d'internautes à travers la planète j'en suis sûre.

    L'admiration est en 4° position dans le sommaire, juste après les 3 piliers du système des affects chez Spinoza : désir, joie, tristesse.

    (N.B. Pour plus d'info vous pouvez vous reporter à ce blog, archives du 27 avril au 30 juillet 2013 – déjà ? Eh oui - où vous trouverez mon parcours de l'Éthique sous forme de série au suspens haletant je ne vous dis que ça.)

    Dans l'explication qui suit, Spinoza balance contre toute attente et tout à trac que l'admiration ça a l'air d'un affect, mais c'est pas un affect. Ou peut être un affect mais sûrement pas un Affect. Car pour lui qui dit Affect dit mouvement, passage, modification.

    « L'Affect qu'on dit une Passion de l'âme est une idée confuse par laquelle l'Esprit affirme une force d'exister de son Corps ou d'une partie de son Corps, plus grande ou moindre qu'auparavant, et dont la présence détermine l'Esprit à penser ceci plutôt que cela. » Éthique, définition finale de la partie 3 (c'est moi qui souligne)

    Or l'admiration, elle, est un moment d'arrêt (l'Esprit reste fixé) car « manque la cause qui fait que l'Esprit par la contemplation d'une chose, est déterminé à penser à d'autres ». L'admiration est un lieu psychologique où tout se suspend, où s'arrête le mouvement du désir qui sans cesse m'entraîne à aller voir ailleurs si j'y suis.

    Sans doute est-ce pour cela qu'elle fait du bien. Elle est paix, reprise de souffle dans la course du désir. En outre la fixation produit l'intense bonheur d'adhésion. Joie d'admirer, sœur de celle de Nietzsche à « n'être plus qu'un homme qui dit oui » (Le gai savoir 276).