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Blog - Page 411

  • Narcisse et Surfait

     

    « Aucune œuvre d'art n'est assez forte pour survivre à la surdité de ceux qui l'écoutent. » dit Alessandro Baricco (critique musical italien né en 1958).

    Dans un film improbable nommé L'enlèvement de Michel Houellebecq, celui-ci à un moment discute d'art avec ses geôliers, faut bien passer le temps. L'un d'eux avance naïvement le nom de Mozart. Alors Mimi lui ronchonne du coin de la cigarette un de ces apophtegmes borborygmés dont il a le secret : Mozart c'est très surfait. Aucun second degré, aucun demi-sourire ni regard entendu. Pas de doute il dit exactement ce qu'il pense. Mozart est surfait.

    C'est vrai ça. Au fond Mozart, en un mot, il est quoi ? Surfait. Et Houellebecq il est quoi, en trois lettres ? On dit que les vieux devenant durs d'oreille ont la surdité sélective. Ils sont en priorité sourds à ce qui les gêne ou les ennuie.

    Aucune œuvre d'art n'est assez forte pour survivre à la surdité de ceux qui l'écoutent. Réduite qu'elle est à exposer sa subtilité au bourrinage d'auditeurs/lecteurs/regardeurs grossiers & vulgaires, sa fragilité au pinaillage de créateurs ratés qui se font critiques, comment survivrait-elle en effet ?

    Mais inversement, il suffit peut être d'un auditeur/lecteur/regardeur vraiment là, présent de tous ses sens et de toute son intelligence, de tout son désir, pour que l'œuvre rayonne de toute sa potentialité d'énergie de vie d'essentielle beauté. Comme il y a un génie de la création, il y a un génie de la réception, et c'est cela qui fait les vrais critiques.

    Il suffit d'une seule qualité : l'aptitude à l'admiration. L'admiration est l'exact contraire du narcissisme. « Je n'ai point cette erreur commune de juger d'un autre selon ce que je suis. (...) Et de fait je les aime d'autant plus qu'ils sont autres que moi. » (Essais I, 37 Du jeune Caton)

    Bon OK Mozart peut ennuyer, à chacun son penchant esthétique et Mimi penche glauque. Une chose est sûre Amadeus ne gêne plus personne, le complexe de Salieri est globalement liquidé. En revanche, je gage que Mimi, si on le pousse un peu, est prêt à balancer plein d'autres noms de surfaits.

    Moins morts que Mozart, plus écrivains concurrents par exemple. Et qui ceux-là le gênent grave. Dans la course à la réputation, à la reconnaissance, aux prix littéraires, à l'argent (faut bien payer ses clopes). Ils irritent en son ego souffreteux le narcissisme des petites différences.

    Lequel hélas étend ses ravages bien au-delà du faubourg Saint-Germain. Et là est la vraie tragédie. Car si le ridicule houellebecquien ou autre ne tue pas, la rivalité absurde de tant d'êtres humains (ou groupes, ou pays) pourtant si proches, aux intérêts réels si convergents, à propos de différences minuscules et fantasmatiques, les tue, eux, si j'ose dire pour de bon.

    Je ne vois qu'une explication : ils doivent trouver surfaite la petite musique de la vie.

    Conclusions 1) il n'est pire sourd que qui ne veut entendre mais 2) à bon entendeur salut.

     

     

  • Les enchaînés

     

    Dilemme n°9 : Ute ou ure ?

    Voici un dilemme relativement spécialisé, qui suppose, pour être abordé avec quelque profit, une pratique au moins occasionnelle des mots croisés. Quoique. S'il est une chose peu compatible avec l'occasionnalité, c'est la pratique des mots croisés.

    Voilà un truc qui vous engrille vite fait, croyez-moi. Si je pouvais revenir en arrière, je ne commencerais pas. Mais maintenant j'ai peur d'arrêter : toutes mes copines qui ont essayé ont affreusement grossi. Bien sûr il y a les produits de substitution : tricot, coloriage, sudoku. Mais on a beau dire, c'est pas du tout les mêmes sensations.

    Pour ma part j'ai fini par me résigner à vivre dans l'addiction. Car en toute chose il faut considérer la balance bénéfices/risques. À la phobie comme à la phobie, tout palliatif à l'angoisse est ainsi à envisager sans tabou. Toutes les chicanes propres à canaliser efficacement l'affluence des pensées morbides.

    En outre si la grille de mots croisés remplit à merveille son office de prise de tête, ou plutôt de reprise en mains de votre tête, elle vous réserve des tas de plaisirs collatéraux.

    Ainsi le retour rituel de mots fétiches. Comment concevoir une grille sans aï ou sans Io, sans Éon ni ion, sans Ute ni ure ? Il y a dans cette récurrence un pouvoir rassurant qui n'est comparable qu'à la certitude que Maman Papa ou Tata se pointera à la grille de l'école à quatre heures et demie avec un grand sourire et un bon goûter.

    Les verbicrucistes savent que ce n'est pas avec ces mots tellement attendus qu'on gagne une réputation de Grand Énigmatique ou de Sphinx en Chef. Mais cela ne freine en rien leur enthousiasme à déployer des trésors d'astuce définitionnelle, dans un art consommé de la variation, dont la virtuosité n'a d'équivalent que chez le Bach des Variations Goldberg. Et l'on éprouve à les déchiffrer un plaisir au raffinement assez comparable.

    Il y a aussi du plus trouble. Ne fais-je pas preuve de sadisme à m'amuser de voir certains mots être l'occasion de systématiques mises en boîte ? L'émeu par exemple. Je vous mets au défi de trouver dans une grille quelconque en France ou en Navarre, voire en Wallonie ou au Québec, là, une définition je n'ose dire laudative, mais pas trop dépréciative du pauvre animal.

    À tous les coups on lui ressort que c'est un oiseau qui peut pas voler. Genre « ne peut même pas être partisan du moindre essor ». Humiliant, non ? C'est à des scandales de ce genre qu'on voit que l'on a beaucoup de progrès à faire dans la lutte contre les discriminations.

    À l'inverse et de manière tout aussi injustifiée, l'Ute comme l'ure (« vedette de l'art pariétal ») jouissent d'un certain prestige. Pourquoi ? À force de me pencher sur le problème, je suis arrivée à une conclusion.

    En plumitifs assignés à leur ordinateur, confinés dans leur bureau, enchaînés à leur grille, les verbicrucistes, logiquement, sont reconnaissants à ces mots-là d'envoyer vagabonder leur imagination dans le monde qu'ils évoquent pareillement, monde premier et sauvage aux espaces ouverts comme une page blanche.

     

     

  • Sainte Phobie

     

    C'est vrai ça. Toute phobie n'est-elle pas au fond phobie des cons ? Dont la connerie, nous l'avons brillamment démontré il y a peu, ne peut qu'impliquer méchanceté, la leur, la nôtre. De même que les méchants ont une méchante tendance à nous connifier. Mettons, Dieu vous paperasse, que vous souffriez d'une phobie administrative réelle, j'entends non simulée à l'instar d'autres à but lucratif et gruge-fisc.

    Glissons ici une vignette clinique qui vous sera utile en cas de rencontre avec un individu ambitionnant de démontrer son aptitude phobique, d'en valider l'expérience pour inscription dans son CV à destination d'un ministère ou quoi que ce soit : comment différencierez-vous phobie réelle de phobie simulée ?

    1) Défiez-vous des signes d'angoisse que le candidat phobique sera prompt à exhiber. Crise de larmes de nerfs de tétanie, bégaiement tremblement et stupeur se simulent aisément. Sachez que, de même qu'un suicidaire évite les jérémiades, un angoissé a la pudeur de son angoisse.

    2) L'illogisme obstiné du discours est un trait si répandu qu'il ne saurait constituer un critère de discrimination des cohortes de phobiques et de non-phobiques. Hochez la tête d'un air entendu et faites la sourde oreille.

    3) Restent les faits. Observez les conséquences concrètes de la présumée phobie dans la vie de celui qui en fait profession. S'il y perd (temps, argent, estime de soi, autre bien matériel ou pas) il est vraiment phobique. Et c'est votre cas.

    La preuve ? Soit la mauvaise foi d'un banquier retranché derrière la barrière dilatoire d'une plate-forme d'appel « Le virement (promis pour le lendemain et toujours inaccompli dix jours après) a justement été fait ce matin ». Soit l'exigence aussi rigide qu'absurde d'une administration « Votre dossier ne peut être traité en l'absence de » tel document déjà produit, et nonobstant si complètement évaporé qu'aucune trace ne s'en retrouve dans les données informatisées dont il émanait pourtant au départ. Soit la secrétaire médicale vous balançant de toute sa morgue « Mon premier créneau est dans 6 mois, je ne peux pas mieux, ah il aurait fallu anticiper » (sous-entendu pauvre nase), comme si cela lui conférait magiquement l'aura de l'équivalent bac+15 de son praticien-suzerain.

    Au lieu de laisser libre cours à une ire libératoire, à un salutaire défoulement verbal sous les espèces d'un chapelet d'injures, que faites-vous ? Vous vous persuadez que l'erreur est de votre fait, vous n'avez pas su parer aux incidents de parcours du combattant (pourtant prévisibles en l'état de vos connaissances & expériences). Si bien qu'au lieu d'accabler votre (supposé) interlocuteur d'un mépris mérité, c'est vous qui faites profil bas jusqu'à une humilité euh humiliante, dans un espoir illusoire de propitiation sacrificielle.

    Bref vous voici lamentablement prosterné devant cette incarnation intérimaire du Destin insondable et inflexible, et vous vous acquittez piteusement d'une dîme d'angoisse et d'auto-dépréciation, pour la plus grande gloire de votre patronne Sainte Phobie.