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Blog - Page 430

  • "Long à écrire"

    Le plus crucial du suspense, en cette fin de A la Recherche du temps perdu, tient à une question qui peut rester longtemps banale dans une vie mais soudain devient poignante quand on sait arriver au bout, malade, perdant force et souffle. Ce qui est le cas du narrateur dans la fiction comme de Proust dans sa vraie vie, ou ce qu'il lui en reste. « Je me disais non seulement : Est-il encore temps ? mais Suis-je en état ?'»

     

    Après avoir évoqué les derniers mots d'un mourant à ses proches, il poursuit « Moi, c'était autre chose que j'avais à écrire, de plus long, et pour plus d'une personne. Long à écrire. Si je travaillais ce ne serait que la nuit. Mais il me faudrait beaucoup de nuits, peut être cent, peut être mille. Et je vivrais dans l'anxiété de ne pas savoir si le Maître de ma destinée, moins indulgent que le sultan Sheriar, le matin quand j'interromprais mon récit, voudrait bien surseoir à mon arrêt de mort et me permettrait de reprendre la suite le prochain soir. »

     

    Long à écrire. Donc long à lire, forcément. Long : le mot qui éloigne à coup sûr les lecteurs contemporains pour qui l'équivalence long = ennuyeux est un axiome aussi indiscutable que ceux que nous balance Spinoza au début de l'Éthique. Genre « Tout ce qui est est ou en soi ou en autre chose. » Qu'est-ce que voulez dire contre ça ? Eh bien oui la Recherche c'est long, et c'est aussi parfois ennuyeux, pourquoi le nier.

     

    C'est un livre qui raconte tant de choses, offre à l'imagination un tel monde d'images, met en scène une telle multitude de personnages, catalyse sans cesse une infinité de sensations et sentiments du lecteur, le tout dans une accumulation de mots bourgeonnant dans toutes ces phrases qui, hormis la première (fâcheusement semblable pour cette raison à une publicité mensongère) - et quelques autres aussi, disposées çà et là dans l'œuvre avec la précision d'un galet dans un jardin zen, déroulent leur flot complexe et ramifié à grand renfort d'incises, de subordonnées (sans oublier les parenthèses), ces phrases comme faites pour dérouter le lecteur, se dit-il tous les trois mots, si bien qu'il finit par se demander ce qu'il est venu faire dans ce labyrinthe – et c'est alors qu'il regrette (mais bien trop tard, tant il a déjà perdu de temps, ce temps de sa vie dont dès ses premiers arreuh il déplorait la brièveté, la devinant déjà sans pouvoir la comprendre ni l'expliquer) de n'avoir pas saisi le fil que lui offrait Ariane - des phrases qui avouons-le une bonne fois suffisent à faire bâiller le plus éveillé des lecteurs.

     

    Oui on s'ennuie dans la Recherche. Je ne parle pas seulement de certains lecteurs, mais des personnages du livre. Car l'ennui en est une composante fondamentale. Est-ce parce que Proust était trop nul pour savoir utiliser une gomme ? Ou parce que cet ennui a un rôle à jouer dans le livre, qu'il en est en somme un des personnages ? Et d'abord, c'est quoi l'ennui ? Question propre à occuper agréablement vos siestes sur la page à la plage.

  • Les aventuriers du temps perdu

    Au fait à propos de lire sur la plage : « À la recherche du temps perdu », Dieu nous récupère quel titre magnifique ! … Mais qui, j'en conviens, peut être apprécié diversement.

     

    1 « Houlàlà, diront les uns, si l'auteur lui-même avoue avoir perdu son temps, que sera-ce pour le lecteur ? »

    2 « Oui mais, diront d'autres, à la recherche de, ça vous a un petit côté film d'aventures plein de suspense, de rebondissements, de héros baroudeur au sourire charismatique, dont l'humour n'a d'égal que le courage, et, cerise sur le gâteau, à qui son galurin va si bien. »

     

    À ceux du n°1 demandons s'ils sont toujours si sûrs que ça de savoir ce qui, jusqu'ici dans leur vie, a été de la perte de temps ou pas ? Et tant qu'on y est ajoutons que perdre son temps, c'est comme rire : on peut le faire à propos de tout, le tout étant de ne pas le faire avec n'importe qui.

     

    Quant à moi vous l'aurez deviné je me range dans la catégorie n°2. La recherche de Proust, une synthèse de À la recherche du diamant vert et des Aventuriers de l'arche perdue ? Mais si, ça tient la route.

    Dans les dernières pages du temps retrouvé, à la toute fin de l'œuvre donc, le narrateur nous accroche par une sorte de suspense rétroactif. Au moment où il le boucle, le livre est présenté comme encore à écrire entièrement. Et là nous voici dans Retour vers le futur, avec l'interrogation : ce livre pourquoi existe-t-il, ou plutôt pourquoi et comment a-t-il échappé à la non existence ? Et avec lui comment a échappé à la non-existence la vie de son auteur, et tout autant, notre vie de lecteurs de Proust ?

     

    « Cette idée du Temps (…) était un aiguillon, elle me disait qu'il était temps de commencer si je voulais atteindre ce que j'avais quelquefois senti au cours de ma vie, dans de brefs éclairs (…) et qui m'avait fait considérer la vie comme digne d'être vécue. Combien me le semblait-elle davantage, maintenant qu'elle me semblait pouvoir être éclaircie, elle qu'on vit dans les ténèbres, ramenée au vrai de ce qu'elle était, elle qu'on fausse sans cesse, en somme réalisée dans un livre ! »

     

    Si les dernières pages de La Recherche sont si passionnantes, c'est qu'elles sont au sens propre une apocalypse (la levée d'un voile).

     

    Mais ça se mérite. Faut y être arrivé sans (trop) sauter de pages. Une aventure on vous dit.

     

     

     

  • L'Albatros ça l'fait trop

    À l'attention de Mme S. de Beauvoir (mais les autres vous avez le droit de lire) : « Chère Maman Simone, ne croyez pas que je snobe votre proposition de parler du Deuxième sexe. Mais là voyez j'ai besoin de vacances et c'est pas vous faire injure que dire que votre bouquin n'est pas franchement un de ces romans de gare qu'on lit sur la plage. Ce sera donc pour la rentrée. Peut être. Voilà. À plus tard. Ciao bisous. »

    Bon, ça s'est fait. Alors vacances on a dit, car

     

    Souvent un peu blasée lectrice de mes pages

    Je les trouve pas top. Des mots pas best-seller,

    Pas le moindre verlan et encor moins d'images :

    C'est carrément lassant on est loin du thriller.

     

    J'en suis bien déconfite et sur la page blanche,

    Lorsque mon gribouillis frôle le cafardeux,

    (Étonnamment semblable à un temps d'Outre Manche),

    Pour fuir le fastidieux fais ni une ni deux.

     

    Plutôt que de squatter un plateau de scrabble

    Pourquoi pas pasticher sans le moindre fair play

    Un poète génial ? Que personne m'engueule

    Car à qui fais-je mal par mes jeux de mots laids ?

     

    Ben oui, à personne il me semble. Et quant à cet hommage au grand Charlie Bod, il est des plus sincères. Son albatros m'a toujours fait planer. Il y va, il ose, même pas peur d'en faire too much. Caractéristique bien partagée par les autres romantiques. Ça me rappelle un devoir en khâgne où il fallait commenter la phrase d'un critique qui débinait Hugo comme quoi il n'avait pas le sens du ridicule, et que c'était dommage pour un poète de son standing. A l'appui de cette affirmation, des vers de La Légende des Siècles que j'ai oubliés maintenant. Mais je me souviens que je leur avais trouvé un souffle certain, contrairement à la démonstration poussive du critique grincheux. Je m'étais fait la réflexion que ce mec c'était rien qu'un jaloux, et que le ridicule n'est pas toujours où l'on croit. (Sans oser pourtant l'écrire dans mon devoir : j'avais trop peur que le prof le prenne pour lui.)

     

    Bref vacances. Écrire n'importe quoi comme ça vient.

     

    L'Ariane est sans gag sujette à s'ennuyer,

    Qui quante ça l'embête a vit' fait de lâcher,

    Egayée c'est du bol au jeu d'azertyuer,

    Chez elle déjanter marrant c'est pas pécher.