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Blog - Page 434

  • En temps réel

    La phrase de Freud qui termine la précédente note m'amène à un souvenir. (La quête du temps perdu est une rencontre open, sachez-le, même les non classés à l'Association des Génies Professionnels peuvent y participer).

    Florence, galerie des Offices, salle des Botticelli. Les visiteurs butinent la beauté de toile en toile, dans un buzz d'extasiements mezza-voce. Tout à coup irruption d'un groupe au pas de charge. Bref arrêt bref regard circulaire : le Printemps est absent car in restauro, mais heureusement y a Vénus (La naissance de). Sans désemparer, le groupe y court sus, se place en moulon dos au tableau pour une photo. C'était il y a trois décennies (déjà!) et déjà la technique du selfie : ces visiteurs étaient des génies de l'innovation (faut dire ils étaient Japonais, mais non ce n'est pas de l'anti-nipponisme primaire, Dieu me haïkuse cela aurait pu être n'importe qui, sauf des Français ça va de soi).

     

    Ce rite accompli, que croyez-vous qu'il arriva ? Ils quittèrent la salle sans même se retourner pour regarder la Naissance de Vénus qu'ils venaient de prendre en photo (enfin en fond de leur selfie). Qu'en déduire ?

     

    1) Pas besoin d'être artiste pour être narcissique (mais c'est pas un scoop)

     

    2) La considération de la durée, autrement dit la conservation, non seulement n'est pas indispensable à une vraie rencontre de la beauté, mais peut y faire obstacle. Dans leur souci d'ajouter Vénus à leur panier d'emplettes photographiques, nos visiteurs se sont interdit non seulement la jouissance immédiate de l'œuvre, mais la possibilité que cette jouissance s'inscrive en eux, dans leur mémoire charnelle, de façon inoubliable.

     

    3) La seule parade à la douleur de l'éphémère est la gratuité. Paradoxalement, le temps ne peut se re-trouver que si on admet que sa perte est son essence. C'est pourquoi la joie qui demeure n'est pas affaire de mise en conserve, et la Vénus de Botticelli ne sera jamais une sardine à l'huile.

     

    Or Freud constate que cette argumentation, malgré sa consistance, laisse le poète et l'ami déprimé sur leur faim. Car le poète néo-romantique comme le mélancolique ont tendance à l'anorexie, disons à aimer la faim plus qu'une autre nourriture. En bon analyste, Freud poursuit donc son raisonnement : j'ai dit un truc vachement intelligent subtil et convaincant (comme d'hab). Or ces mecs n'en sont pas, des cons, la preuve ce sont mes amis. Also wo denn ist das Problem ?

    « Je déduisis de cet insuccès qu'un facteur affectif puissant intervenait pour troubler leur jugement. » Traduction : c'est pas qu'ils sont bourrins, c'est juste qu'ils sont un peu perturbés. Perturbés soit, mais par quoi diable, tonnerre de Faust ? (A suivre)

     

  • "A supposer que vienne un temps ..."

    Le poète ayant chanté sa déception, Freud argumente sa conception.

    « Deux motions psychiques différentes peuvent résulter, dit-il, de la plongée dans la caducité de toute beauté » (caducité Robert connaît mais dit c'est vieux et littéraire, devons-nous en déduire que tels sont les traducteurs?).

    Motion 1 : « Douloureux dégoût du monde de ce jeune poète. »

    Motion 2 : « Révolte contre la réalité affirmée des faits. Les splendeurs de la nature et de l'art, du monde extérieur et du monde de nos sensations », qu'un jour ça ne soit plus rien de rien ? C'est pas possible !

    Motion de synthèse : Mais si c'est possible, p'tit gars, « ce qui est douloureux peut aussi être vrai ». (Belle phrase non ?). Et Freud d'entamer le dialogue avec le poète, espérant par le miracle de la maïeutique et de la synthétique réunies lui faire concevoir une vie plus rose.

     

    « On connaît la fin du film, et c'est pas une happy end, tu dis ? D'accord, mais prends quand même ton ticket, cale-toi dans ton fauteuil et profite, sois bon public. Si tu lisais d'autres poètes que toi, par exemple Épicure » (ça il lui dit pas, c'est moi qui l'ajoute) « tu admettrais que dans la vraie vie, 'la limitation de la jouissance augmente le prix de celle-ci. S'il existe une fleur qui ne fleurit qu'une seule nuit, son efflorescence ne nous paraît pas moins magnifique' (et toc, moi aussi je suis poète. Oui je sais efflorescence ça craint, mais que veux-tu, mes traducteurs sont vieux et littéraires).»

    Mais comme il est par ailleurs vaguement psychologue, Freud devine que la vraie vie n'est pas l'argument adéquat pour son jeune ami poète et dépressif, dont le souci profond est l'art. L'art en général, mais surtout la caducité ou pas de son œuvre à lui dans sa magnifique efflorescence. C'est ainsi le créateur est narcissique, il reste un enfant, d'où la crucialité pour lui de la question de l'effet mère vous suivez ? (je dis crucialité si je veux, après caducité tout est permis). Bref arrive l'argument ad poetam depressivum :

     

    « A supposer que vienne un temps où les tableaux et les statues que nous admirons aujourd'hui se désagrègent, ou que vienne après nous une race d'hommes qui ne comprenne plus les œuvres de nos poètes (tu vois mon chou moi je t'ai compris) et de nos penseurs (suivez mon regard), voire une époque géologique dans laquelle tout ce qui vit sur terre soit sans voix, la valeur de toutes ces choses belles et parfaites est déterminée uniquement par sa signification pour notre vie sensible, elle n'a même pas besoin de durer plus que cette dernière et elle est de ce fait indépendante de la durée temporelle absolue. »

    L'apocalypse selon Sigmund : un mixte de Fahrenheit 451 et de la fin des dinosaures, sans compter le troublant rapprochement que nous pouvons faire avec des barbaries actuelles. Apocalypse à laquelle il oppose un seul espoir de salut, qui n'est pas sans évoquer une certaine quête A la recherche du temps perdu. (A suivre)

     

  • "La pensée le troublait"

    Freud commence son article sous la forme d'une anecdote, comme on en raconte autour d'un repas entre amis, dans le cours sinueux de la conversation (qui selon l'arrosage du repas sinue plus ou moins).

    « Il y a quelque temps, je faisais en compagnie d'un ami taciturne et d'un jeune poète, d'une notoriété déjà reconnue, une promenade à travers un paysage d'été en fleurs. »

     

    1) L'expression paysage d'été en fleurs m'accroche, je ne sais pourquoi. On dirait un titre de tableau plus qu'une description directe.

    2) Ami taciturne. Pourquoi signaler ce taciturnisme ? Pour le contraste avec le jeune poète, par profession peu inhibé à se répandre, surtout s'il fait dans la goethitude et le lyrisme néo-romantique ? Ou bien par taciturne Freud laisse-t-il plutôt entendre déprimé voire mélancolique pour ne pas dire saturnien (on ne devient pas ami de Freud par hasard).

    3) Pourquoi poète déjà reconnu ? Il est clairement en pleine crise aquaboniste (décidément c'était pas l'ambiance cette balade, heureusement que Sigmund, lui, est un sacré boute-en-train), donc Freud tient à préciser qu'il ne s'agit pas là d'une amertume de loser comme il s'en rencontre chez les plumitifs de tout poil.

     

    En effet le poète admire la beauté de la campagne, l'herbe, les fleurs, mais n'arrive pas à en profiter car la pensée le troublait que tout ça ne dure pas. Genre ça m'intéresse pas d'aller voir le film vu qu'on m'a déjà raconté la fin 

    « Tout ce qu'il aurait sans cela aimé et admiré, lui semblait dévalorisé par la destinée à laquelle cela était promis, l'éphémère destinée. » (Nous y voilà).

    Je parie qu'à ce moment Freud a dû regretter de n'avoir pas plutôt cherché un quatrième (le plus cool et le moins poop possible) pour faire un bridge. Quoique. Si le saturnien taciturne se retrouvait à être le mort ?

     

    Bref en rentrant chez lui, il a un vieux besoin de se changer les idées, de se détendre avec un bon bouquin pas prise de tête. C'est pourquoi tout naturellement il se met à feuilleter Faust. « Anna, Liebchen, dis-moi un chiffre s'il te plaît – Ja, Vati : 1204 ! - 1204 ? Étonnant ... mmmhh alors : 12, ça te fait penser à quoi ? Et 12 divisé par 4 ? Euh … non laisse tomber. Alors 1202, 1203, 1204 voilà : 'Tout éphémère n'est qu'une parabole.' Ach ...Mais ça ne veut rien dire, c'est bien simple on dirait du Lacan ! »

     

    Et puis comme finalement rien n'amusait autant Freud que l'analyse de ce qui trouble les pensées (sauf peut être l'analyse des pensées troubles), il s'est mis à l'article que nous résumerons la prochaine fois. (A suivre)