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Blog - Page 435

  • Ephémère

    Éphémère destinée est le titre d'un article que Freud écrit en 1915. Joli titre, lyrique et romantique à souhait. En fait le titre original est un peu moins joli : Vergänglichkeit, c'est à dire éphémérité. Mot qui n'existe pas en bon français, c'est à dire chez mon ami Petit Robert. Comme souvent le problème pratique a donné lieu à une solution esthétique. (En fait le metteur en scène Peter Brook dit plus radicalement il n'y a pas de problèmes pratiques il n'y a que des solutions esthétiques. Une phrase dont la validité dépasse le cercle théâtral, et atteint des domaines fort divers. Mais on n'est pas là pour se raconter nos vies, revenons donc à notre divan).

    N'empêche Freud aurait pu trouver un titre lyrico-romantique lui aussi sans forcer. Même Michel Onfray ne pourra qu'en tomber d'accord : ce vilain petit bonhomme de Sigmund a d'innombrables défauts mais, Dieu nous déplume, il manie le plus souvent fort élégamment la sienne.

    Talent d'écriture rencontré par exemple dans ma note « Avant tout le mot » du 15 juin 2014. Que cette précision quasi maniaque ne vous étonne pas. Un blog est à l'image de son auteur, en l'occurrence soumis à une compulsion à l'organisation bien caractéristique d'un profil psychologique POOP, profil obsessionnel option phobique (cherchez pas dans le DSM je viens de l'inventer).

     

    Un profil dont je ne suis pas le seul spécimen. Car qu'apprends-je par une note en bas de page ? Ce titre est « une allusion aux vers 1204 et 1205 du Faust de Goethe ». De deux choses l'une. Ou bien c'est Freud lui-même qui l'a précisé, ce qui confirme sa propre poopitude. Ou bien ce sont les traducteurs qui, sachant que cet article fut écrit pour le Berliner Goethebund, sont allés compulser les milliers de pages de l'oeuvre de Goethe, en se disant « tel qu'on connaît notre Sigmund y a sûrement une allusion littéraire voire une citation littérale ». Entre nous j'espère qu'ils ont commencé par le Faust et ainsi n'ont eu à compulser que 1203 vers, ce qui reste humain.

     

    Bref les vers disent  : Tout éphémère n'est qu'une parabole.

    C'est ma traduction vu que les traducteurs ne traduisent pas - débrouille-toi ma fille. Normal me direz-vous ils étaient payés pour traduire Freud pas Goethe. Mais le problème pratique c'est que je n'arrive pas à comprendre ce que ça peut vouloir dire. De deux choses l'une. Ou c'est Goethe qui est un peu fumeux, ou c'est moi qui suis un peu fumiste. J'entends par là que je n'ai pas assez bossé l'allemand du temps de ma jeunesse folle pour être capable de correctement traduire. A la réflexion c'est peut être les deux. Car avec Goethe les Lumières commencent à bien se tamiser de nébulosités romantiques & stylistiques. Et moi faudrait que je me remette à jour en allemand, c'est clair.

     

    Il ne nous reste donc plus qu'à espérer que la lecture de l'article de Freud nous apportera quelques solutions esthétiques. A suivre, donc.

  • Pour l'amour de l'art

    Que dit le rapprochement des trois œuvres ? Et ce triptyque du seuil de la mort est-il un triste triptyque ? (Désolée c'était trop tentant)

    Si Le Chien est un autoportrait, il est logique de penser, dans l'hypothèse triptyqueste, que St Pierre et La Laitière en sont aussi, non ? Je suis logique, donc je le pense.

    Parmi les autoportraits, et portraits en général, il y a comme on sait portrait physique (apparence extérieure) et moral (comportement, psychologie). Les plus intéressants et révélateurs jouent parfaitement de l'interaction des deux registres. Et le nec plus ultra du portrait est ce qu'on peut nommer le portrait métaphorique, où l'artiste se révèle par un « si j'étais ».

    C'est ce que fait Goya avec les trois personnages. A travers eux il se ressaisit tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change, récapitulant sa vie, sublimant, une dernière fois et de façon décisive, son être mortel grâce à son désir créateur.

    Si j'étais un animal ? Moi Goya, ex peintre de cour exilé à Bordeaux, peintre engagé, toujours en lutte contre l'obscurantisme, le despotisme, je ne me peins pourtant pas en vieux lion ou en aigle. Je suis un petit chien noir qui ne cherche qu'à jouer encore un peu sous le ciel menaçant, un ciel déjà linceul.

    Si j'étais une figure biblique ? Je serais Pierre, lâche renégat institué pourtant portier du paradis. Moi le paradis des religions j'y crois pas, j'ai vu trop d'enfer sur terre. J'appelle mon tableau Le repentir de St Pierre pour implorer de la postérité le seul pardon dont ait besoin un artiste : je n'ai pas changé le monde. Mais j'ai mis toute ma force à chercher et sauver la beauté jusque dans la laideur, l'angoisse, le mal et le malheur. Voici les clés de mon paradis, là au bord du cadre à portée de toi qui regardes, juste au-dessus de ma signature. Je suis Goya, peintre et serviteur de la beauté.

    Si j'étais … ce que je ne sais pas dire. Ce que toujours j'ai cherché, parfois trouvé et donné. Une chose à laquelle j'aspirerai jusqu'au dernier souffle. Qui sera mon viatique dans le passage vers la mort. Comment la nommer?Amour ? Joie du désir et désir de joie ? Peut être est-ce elle, la beauté elle-même, et l'art, ma raison de vivre, ma passion ? Si j'étais cette chose que je ne sais pas nommer et qui est ma vie, je serais cette femme. Parce qu'elle est là, maintenant, avec moi.

    On aura deviné mon intime conviction : Goya est bien l'auteur de La laitière. Mais il ne me déplairait pas qu'elle soit l'autoportrait, non plus symbolique mais bien réel, d'une femme, parente ou amoureuse, qui veille avec lui dans son dernier passage, peignant l'œuvre sur ses instructions (ou pas). Ou mieux encore La laitière serait les deux autoportraits ensemble. Car ce qui tenait le pinceau, de quelque nom qu'on le nomme, puissance de vie, désir, création, c'est la seule arme opposable la mort.

    Disons avec Papa Sigmund : la libido.

  • Une voie lactée

    Sous la coiffure, le visage allie la sensualité d'une appétissante carnation et de formes pleines (telle chez Homère Hélène « aux belles joues »), et une douceur angélico-maternelle. Alors avec ce fichu qui lui fait comme une auréole laïque, La Laitière nous apparaît comme assez cousine des madones de Raphaël, par exemple. Pas trop vierge mais bien femme. Et surtout très mère, le genre qu'on se blottit contre son giron en souvenir du temps où on tétait encore, le genre qui d'un sourire peut panser une douleur et rendre invraisemblable le malheur du monde.

     

    J'ajoute à cela qu'elle présente une ressemblance frappante avec Agnès Jaoui. Quel rapport ? Aucun. Mais 1°) j'adore trouver des ressemblances 2°) quand c'est Swann qui trouve que son Odette ressemble à un Botticelli personne ne lui en fait un flan, voyez ce que c'est le préjugé et 3°) j'apprécie beaucoup Agnès Jaoui, comme actrice aussi bien que scénariste, réalisatrice, chanteuse. (Je ne sais pas si elle peint ?)

     

    Mais revenons à notre triptyque, à sa structure globale.

    Le chien et St Pierre dirigent tous les deux leur regard vers le haut et vers la droite. La laitière regarde vers le bas à gauche. Rien n'interdit donc d'instituer la laitière en destinataire de l'attitude d'attente du chien comme du geste de supplication de Pierre. Attente et supplication qu'elle accueille pareillement dans sa maternelle bienveillance.

     

    Elle accueille, elle écoute peut être. Mais sans répondre, sans agir. Elle n'a rien sous la main pour jouer avec le chien par exemple (ou alors la cruche, mais le jeu serait vite fini). Elle est là, les bras ballants, n'esquisse aucun geste. Donc pas non plus celui de saisir les mains suppliantes de Pierre, de le relever.

     

    La laitière se contente d'être là, dans une présence et une attention intenses, mais sans rien faire. Elle se contente d'être là, dans un élan paradoxal, comme est paradoxal le mouvement du tableau. Un élan dont la réalisation, l'efficace sont liés à ses vis à vis du triptyque, à la force de leur attente, de leur abandon. Et à l'attente et l'abandon du spectateur du tableau. (A suivre)