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Blog - Page 436

  • Conférence inter professionnelle

    Saint Pierre joint les mains dans une posture de supplication. OK ça correspond à ce qui est attendu de lui, c'est le job. Il n'est pas à contre emploi. Mais peut-on en dire autant de la laitière ? Une employée de laiterie (probablement en chemin pour une livraison) assise presque affaissée, bras ballants, sa cruche à ses pieds (et consécutivement il faut le souligner le lait à la merci du premier chien ou chat venu) : cette attitude correspond-elle au cahier des charges de sa profession, aux conventions collectives concernant les pauses ou aires tétées ? La question mérite d'être posée.

    Sans polémiquer je ferais en outre remarquer que 150 ans auparavant la Perrette de La Fontaine fait preuve d'un esprit d'entreprise bien supérieur. Et de nos jours inutile de vous dire que dans n'importe quel trust laitier, cette feignasse se ferait virer vite fait à la fin de sa période d'essai (à supposer qu'on lui eût signé un contrat en bonne et due forme). On m'objectera qu'en 1827 les multinationales de l'agro-alimentaire n'avaient pas encore germé sur la terre des hommes. A quoi je répondrai qu'en revanche l'exploitation de l'homme par l'homme avait depuis belle lurette atteint un rendement satisfaisant. Quant à l'exploitation de la femme par l'homme on manque de statistiques fiables, car quand on aime on compte pas. Bref si cette femme est laitière, je suis Simone de Beauvoir (voire Jean-Paul Sartre).

     

    Mais qui est-elle alors ? Regardons-la. Sa posture est empreinte d'une sorte de flexibilité … Euh disons plutôt souplesse. Elle n'est pas figée, elle fait halte mais sans que le mouvement l'ait quittée. On avait noté la même chose pour le chien, ce mouvement juste suspendu. Goya est très fort en mouvement paradoxal, ou si vous préférez en suggestion paradoxale de mouvement. Vous voyez ce qu'on nomme le sommeil paradoxal ? Le moment du cycle de sommeil où on rêve : on hallucine les mouvements, on a vraiment la sensation de bouger, et pourtant le corps est immobile, verrouillé par une inhibition motrice. Eh bien pareil dans ce tableau.

     

    Sa laitière est emportée par un mouvement, souligné par le croisement du fichu sur la poitrine, qui inclut la tête dans une sorte de boucle.

    Je n'ai pas de grandes lumières sur la mode capillaire en vogue chez les employées de laiterie à Bordeaux en 1827 (j'aurais besoin d'un brushing euh d'un briefing), mais je trouve la chevelure particulière. Cette grosse masse brune et bombée qui avance au-dessus du front et se relève en micro-chignon sur la nuque, on dirait plutôt une toque de fourrure. Et puis ce côté un peu mastoc fait dissonance avec le fichu qui ceint la tête, vaporeux, brillant. Mais bon c'est lui le peintre, hein ? D'ailleurs dans mon bouquin ils disent que pour faire le blanc des fichus de la tête et des épaules, Goya a mélangé à l'huile de l'amidon et du sable – éblouissant non ?

    (A suivre)

     

     

  • La laitière, Pierre et le chien

    (N.B. Pour le topo d'excuse sur mon incapacité technique à vous mettre l'image sous les yeux cf 21 avril)

    Il est des œuvres ravageuses de fiches. La laitière de Bordeaux est de celles-là. Si j'étais badine, déjà je dirais que l'association lait et Bordeaux, ça fait un peu j'ai mélangé mes fiches sur les liquides. Mais Dieu me desprogise, la badinerie n'est pas ma tasse de thé. Même avec un nuage de lait.

    Le tableau date de 1827, Goya est mort en 1828. La laitière pourrait donc bien être sa dernière réalisation achevée. Sauf que plusieurs spécialistes mettent en question l'attribution à Goya. Pourquoi ? Je n'ai pas bien compris. Faut dire que pour moi la question n'est pas brûlante. 1°) Qu'il soit de Goya ou pas ce tableau est un chef d'oeuvre (notion ô combien indépendante de tout fichage). 2°) Contrairement aux critiques homologués, je n'ai rien à gagner ni à perdre dans ce débat. Cela ne m'empêchera de donner mon avis sur la question, car sans me vanter j'en ai un (vous vous en doutiez un peu).

     

    Mais revenons au doute critique. Il repose sur le fait que ce tableau est d'une manière non encore vue dans le reste de l'œuvre. « Comment comment au dernier moment il viendrait nous brouiller nos fiches en essayant un nouveau truc ? » D'abord on ne voit pas au nom de quoi Goya se serait interdit d'essayer autre chose, de faire encore du nouveau, même au bord de la mort. Au contraire, n'est-ce pas le moment ou jamais ? « Ouais à condition d'en avoir encore les moyens, la force, l'envie. En 1827 le vieux tapait les 71 berges quand même. » Et Picasso, hein ? Pour n'en citer qu'un. (Pour que la comparaison tienne parfaitement la route style toutes choses égales par ailleurs je prends un compatriote de Goya).

     

    Cela dit même en surfant hors fiches il me faut admettre que La laitière est exécutée selon une manière peu représentée chez lui. Mais voilà elle m'évoque cependant au moins deux toiles majeures de la fin de sa vie, Le repentir de Saint Pierre (achevé en 1824) et devinez quoi Le chien, oui « notre » petit chienchien à nous-mêmes.

    Pour le rapprochement avec Saint Pierre, même surgissement du sujet en gros plan, inscrit de façon assez proche dans un large triangle à peu près équilatéral. Même structure du costume : robe ou tunique, sur laquelle est drapée une étoffe (fichu pour l'une genre de cape pour l'autre). Même désignation conventionnelle du personnage, avec apposition d'un logo clés du paradis pour l'un, cruche de terre pour l'autre (traités très différemment OK, mais là on en est à la ressemblance).

    Pour le rapprochement avec Le chien, traitement similaire du fond, aussi bien dans le style de la touche que dans la tonalité, avec même présence duelle dans la couleur (ocre pour l'un verte pour l'autre) : noir de plomb combiné à la lumière.

    Bref regardons la laitière en la considérant comme le troisième panneau d'un triptyque qu'elle formerait avec Pierre et le chien. (A suivre)

  • Cerbère et le pitbull

    Le chien n'est pas Cerbère, mais cela n'empêche pas qu'il y ait dans ce tableau une présence, une imprégnation de la mort. Ce chien fait partie de la série dite les « peintures noires » (oui bon des fois faut bien parler en fiches). A partir des années 1820, beaucoup de pigments noirs pour le pinceau. Car le peintre en broyait, du noir. Goya, après une maladie qui avait failli l'emporter, était un vieil homme usé et désabusé, de plus en plus muré en lui-même au fur et à mesure que sa surdité s'aggravait. Mais le pinceau, lui, dans ces années-là gagne encore en force, en maîtrise, en inventivité, en audace. Les peintures noires sont toutes fascinantes, poignantes. Le petit chien est aussi dans ce climat. Et pourtant dans son cas il y a autre chose.

     

    Il attend, truffe en l'air. Sans voir son corps, on le devine agité des micro-tressaillements du chien à qui on dit : « Regarde la baballe ! ». Il sait qu'on va lancer la balle, et qu'il va s'en donner à cœur joie de courir pour la rattraper. Et puis le maître la brandira à nouveau, et lui sera à nouveau vibrant de l'attente. Voilà : en fait, le chien de Goya, pour moi il est en pleine partie de baballe. (Je ne le soutiendrai pas mordicus, mais je trouve que ça se tient, je ne lance pas tout à fait cette hypothèse en l'air)

    Quant à savoir qui tient la balle ... Est-ce la question ? La mort peut être, et la douleur. Mais si menaçants que soient les partenaires, à ce jeu ce Chien-là ne perdra pas. Car plus que du vieux Goya, il est l'autoportrait de son être-artiste, de son désir de peindre, traversé de nuit et de mort, mais toujours là, pas encore avalé par le grand pan de terre de Sienne. Depuis longtemps, depuis le début, le chien rattrape toujours la balle, et ce n'est pas fini ! Dans ce tableau Goya se découvre encore aussi joueur qu'un petit chien, malgré le ciel plombé. Il n'est pas las du jeu, si vieux et souffrant qu'il soit. D'ailleurs il n'a que les dix ans du chien (mais en humain, vous suivez ?) Car quand on crée on a toujours dix ans, on n'est rien qu'un enfant qui joue.

     

    A propos d'enfant qui joue, un chien peut en cacher un autre.

    « J'ai donné un nom à ma douleur et je l'appelle « chien », – elle est tout aussi fidèle, aussi indiscrète et effrontée, aussi distrayante, aussi sage que n'importe quel autre chien – et je peux l'apostropher et passer sur elle mes accès de mauvaise humeur : comme d'autres le font avec leur chien, leur domestique et leur femme. » (Le Gai savoir 312)

     

    Voilà qui nous donne une autre possibilité d'interprétation du tableau. Pas très différente en fait, juste une autre perspective, complémentaire.

    Oui mais bon je vous entends penser d'ici. « Soi disant qu'elle arrêtait avec Nietzsche, et voilà qu'il se repointe encore ». C'est vrai, mais vous savez c'est pas si facile de décrocher. Nietzsche, c'est un peu comme un pitbull : une fois qu'il vous a mordu, pas si facile de lui faire lâcher prise. (A suivre)