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Blog - Page 439

  • L'échappée belle

    « Où l'on ne peut plus aimer, là il faut – passer. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De passer)

     

    On peut voir dans cette phrase une renonciation, une défaite : le moteur amour cale faute de carburant. Qu'y a-t-il à aimer ? Les choses sont trop laides, les gens trop cons ou trop méchants. Alors avec la meilleure volonté de puissance du monde … On imagine Zara tout las : « il faut » (soupir) « passer ». Sortie du mal certes, que ce passons. Mais sortie par le bas.

    Alors, devant le constat de l'amour impossible pour cause de méchanceté du monde, il y a la solution en apparence plus dynamique d'un sursaut en sens inverse. Là où il n'y a plus rien à aimer, s'autoriser « pour la bonne cause » à y aller dans la détestation, le dénigrement, voire la violence, la vengeance, l'élimination. Syndrome du justicier. Le mal, on va lui régler son compte. L'amour ne brûle plus, mais comme on a toujours et avant tout besoin de chaleur, c'est à la haine qu'on se chauffera.

     

    C'est dans ce discours l'attitude suggérée à Zara par un personnage « que la foule nommait 'le singe de Zarathoustra' ». Personnage de « fou » (Narr) qu'il faut voir comme un bouffon auprès d'un roi. Celui qui ose dire au roi ce que personne n'ose lui dire, qui lui renvoie son image brute, sans le polissage des flatteries. Précisément en le « singeant ».

    Le dialogue avec ce singe est un moment capital du livre, car il permet à Zarathoustra (et à Nietzsche) de se démarquer d'une image caricaturée de lui-même.

    Le singe lui renvoie en effet son image killbillesque, la dureté-pureté de son désir de vérité et de liberté : « Au nom de tout ce qui est lumineux et fort et bon en toi, Zarathoustra, crache sur cette ville de marchandeurs et laisse tomber (et basta). » Et de répéter plusieurs fois avec délectation l'incitation au crachat.

    Zarathoustra lui répond alors, et avec lui à tous ceux qui caricaturent parfois la pensée de Nietzsche en s'arrêtant à la révolte, au mépris devant la laideur et la petitesse. S'il n'était que cela il ne serait pas plus grand que ses cibles. Pas vraiment différent, surtout. Il serait peut être un super-man mais pas un surhumain.

    En réalité cette phrase proclame une victoire achevée, parfaite. La victoire de la vérité (qu'il y a des choses ne méritant pas d'être aimées) n'est complète que si elle s'accomplit aussi contre son propre ressentiment : passons. Allégé du poids de sa colère, guéri de la nausée de sa rancoeur, on est libre de dire le seul mot qui vaille :

    « Je ne veux pas faire la guerre au laid. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Que regarder ailleurs soit mon unique négation ! En somme toute, en grand : je veux même, en toutes circonstances, n'être plus qu'un homme qui dit oui ! » (Le Gai savoir : Pour la nouvelle année).

  • Complètement marteau

    « J'ai appris à bénir et à affirmer, il m'a fallu pour cela lutter longtemps et devenir un lutteur, afin d'avoir un jour les mains libres pour bénir. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Avant l'aurore)

     

    Nietzsche béni oui oui ? A sa façon, alors. En tous cas cette phrase nous rappelle que lorsque Zara parle lutte, violence ou démolition, ce n'est pas par amour de la destruction. On sait la répulsion de Nietzsche pour le nihilisme dans lequel il sait discerner aveu d'incapacité et défaut de désir.

    On a pourtant souvent vu Zarathoustra se lancer dans une offensive de type nihiliste : plutôt rien que « ça » (idoles, mensonges, faux semblants etc.) On l'a vu renverser les tables de bien des lois, et killbiller tous azimuts. (Et encore je me suis contentée de quelques échantillons représentatifs).

    Mais, malgré un titre du style Le Crépuscule des idoles, le fait est que Nietzsche, son truc c'est pas le grand soir (mais bien le grand midi de la citation précédente). S'il casse, ce n'est que pour construire autrement, parce qu'il pense pouvoir le faire, et le faire mieux que bien. Telle est son « affirmation ».

    Il est possédé d'un intense désir d'édification (employons à dessein ce mot, en le décapant de ses couches d'onction à la crème de tartufe). On ne manquera pas d'ajouter : avec une confiance dans son génie de concepteur-architecte-des-vraies-valeurs qui frise la mégalomanie. D'accord. Mais n'empêche : ne faut-il pas être vraiment quelqu'un, pour avoir compris qu'il ne peut être de véridique bénédiction que de mains libres ?

    Et surtout pour avoir vraiment voulu le faire en acceptant d'en payer le prix.

    On dira aussi : bénir, mettons, mais Nietzsche a proclamé qu'il philosophait à coups de marteau, non ? Il s'agit sans doute de savoir comment on voit le marteau (fût-il celui de Tor). Une masse, un machin qui sert pour casser une dalle de béton par exemple ? Pour moi Nietzsche est trop ironique et subtil pour être un pilonneur, il fait plutôt dans la pointe, la banderille. Pas moins méchant, mais plus malin. En lui je vois surtout, finalement, le danseur, l'artiste.

    Et pour moi son marteau est celui qui va avec un burin, celui dont se sert le sculpteur pour révéler dans un bloc de marbre l'oeuvre dont il porte le projet et le désir.

    Ne pas croire que ce soit plus facile que de casser du béton. Il y faut moins de force peut être, mais une force nette et précise. Il faut savoir la doser, la moduler sous peine d'un geste à faux, qui casse ou amoindrisse.

    Au total cela demande plus d'audace.

    Bon, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Il est vrai que dans un texte de Nietzsche, la modulation, la nuance, ce n'est pas ce qui frappe au premier abord. Il a la bénédiction affirmative, voire injonctive. Peut être. Mais.

    Mais il se peut aussi que nous ne soyons pas toujours d'un marbre assez fin ou simple, d'un marbre assez libre pour nous laisser sculpter en douceur par ce marteau-là. 

  • A présent

    « Ils sont morts tous les dieux ; à présent nous voulons que le surhumain vive, - telle soit un jour au grand midi notre dernière volonté. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De la vertu qui offre)

     

    Après ce long détour (le mot détour a-t-il un sens quand le chemin consiste à marcher ?) retrouvons la citation initiale (cf note du 13 mars) Nous pouvons à présent en cueillir le fruit.

     

    1 Concevoir le surhumain nietzschéen sur le modèle d'un révolutionnaire, un héros qui chercherait à détrôner et éliminer un dieu-despote, c'est avouer implicitement qu'on a pour valeur essentielle le pouvoir. Et que si le dieu nous gêne c'est juste qu'on voudrait, soi, être dieu. Calife à la place du calife.

    Le surhumain version bagarre de cour de récré, le surhumain « c'est moi qui ai la plus grosse » qui fait de toute éternité les bons phallocrates des familles. ('phallo' injure des années 70 … On dirait qu'il y a des siècles).

    Version qui dans la foulée fait les totalitaires y compris de toutes les religions y compris athées. Et c'est corrélativement faire à Nietzsche l'injure de le voir comme un bourrin qui n'aurait pas compris ça : « Nul ne pourra percevoir correctement ce que je veux à moins de mettre un soin extrême à ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance humaine des Rois ou leur droit. » (Spinoza, Ethique II, scol prop 3)

     

    2 Ils sont morts tous les dieux (ainsi conçus) est un constat simple et lucide (dans la lumière du grand midi). Il peut devenir le point de départ pour fonder une éthique. Les dieux ne sont pas morts parce qu'ils auraient été tués (même s'il est vrai que Nietzsche se vante un peu par ci par là de l'avoir fait – c'est humain) : ils sont toujours déjà morts, ces dieux-là, rien d'autre que des choses mortes, c'est à dire sans vie ni réalité. Des baudruches, des idéaux parfois positifs parfois négatifs, mais toujours imaginaires.

    Il n'est d'éthique que dans l'immanence, c'est à dire à partir des humains et d'eux seuls, parce qu'il sont réels et qu'en eux la vie a lieu (même si pour chacun c'est durant un temps bref ...) La vie a lieu d'être dans l'humain, mais il est des endroits et des moments où les humains la traitent en étrangère, en immigrée, en persona non grata. Insensé, non ?

     

    3 Dire vive le surhumain c'est dire : être vraiment humain, pas gagné mais jouable. L'humain on n'y est pas c'est pas un scoop, mais essayons encore de le laisser émerger. Appel à insurrection d'humanité en elle-même : ainsi je comprends ce vive l'Über-mensch.

    Encore faut-il que telle soit notre dernière volonté. Dernière, c'est à dire déterminante. Le choix résolu de devenir ce que nous sommes.

     

    4 Euh bon maintenant : yapluka.

    Comme dirait Zarathoustra.