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Blog - Page 443

  • Dans le droit fil

    « Ils sont adroits, ils ont des doigts habiles ; que peut ma simplicité contre leur complexité ? Leurs doigts s'entendent à tout filer et nouer et tisser ; ils tricotent les chaussettes de l'esprit. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des érudits)

     

    1 Après les sages (14-02), au tour des érudits. Ils tricotent les chaussettes de l'esprit : si c'est pas une métaphore filée, ça ! Et surtout très réussie. La métaphore, faisant se répondre des réalités de domaines différents, est d'autant plus parlante que les domaines semblent éloignés. Ainsi le rapprochement est tout à fait inattendu, il crée un effet de surprise. En même temps la surprise s'accompagne d'une sorte de sentiment d'évidence : « Mais c'est pourtant vrai ! Oui, c'est exactement ça ! » La métaphore réussie est une révélation. C'est pourquoi il arrive que quelques mots d'un poème ou autre écrit bouleversent un cœur et révolutionnent une vie.

     

    2 Simplicité traduit Einfalt : mot à mot le fait d'être tout d'une pièce (Falte = pli). Idée que Nietzsche renforce en soulignant le possessif. C'est tout moi, tel qu'en moi-même : zéro triche.

     

    3 Les érudits, experts, ceux qui explorent à fond un sujet, ont nécessairement du mal à admettre la simplicité. Lorsqu'ils sont « sages illustres », c'est un manque à gagner : comment écrire et vendre un bouquin, monnayer des cours, des conférences, sur une pensée qui, si elle est simple, invalide de ce fait commentaires et exégèses ? Et puis, qu'on pense illustre ou pas, c'est surtout une remise en cause existentielle : si l'auteur se donne comme simple, donc directement accessible, à quoi sert tout cela ? Si tout un chacun peut trouver un accès de plain-pied, à quoi bon nous fatiguer à grimper la montagne par sa face escarpée ?

     

    4 « Comment escaladerai-je le mieux cette montagne ? » Continue de monter et n'y pense pas ! (Le Gai savoir)

    Nietzsche attend un lecteur qui comme lui se veuille einfältig. Le mot veut dire aussi « niais, simplet ». Un lecteur qui « marche », donc. De préférence pieds nus, pas besoin de mettre des chaussettes. Et pas davantage de prendre des gants.

     

    5 Ici je n'exclus pas, chers lecteurs, que vous vienne la pertinente remarque : qu'y a-t-il dans ce blog sinon filage, nouage et décorticage, bref complicatude ? Le 1 ci-dessus par exemple ? Ou encore la note précédente ?

     

    6 Je ne peux qu'acquiescer, tout en ajoutant : telle est, je le crains, ma simplicité. En tous cas ma façon de marcher.

     

     

  • Avec des yeux qui voient

     

     

    "Dites, où trouve-t-on la justice, qui est amour avec des yeux qui voient ?"

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De la morsure de la vipère)

     

    Sur le schéma de quatre mariages et un enterrement, voici dans cette petite phrase quatre questions et une définition. Une question évidente et explicite, deux implicites, une bien cachée mais la seule qui vaille vraiment en fait. Et puis une définition qui ne pourra qu'amener d'autres questions. Tout ça ? Ben oui déjà c'est de la philo, en plus c'est Nietzsche, donc : amis de la prise de tête bonjour. Mais restons zen, avec lui se prendre la tête n'empêche pas de prendre son pied, au contraire (forcément : Nietzsche, danseur funambule, souplesse, joie de danser …).

     

    1) Question évidente et explicite : où trouve-t-on la justice ? Interrogation sur un lieu. Pas trop compliqué a priori. Un lieu, réel ou symbolique, ça se trouve ou à défaut ça peut se construire.

     

    2) Mais dès qu'on tente de le désigner, ce lieu, on constate que la question en implique une autre bien lourde, bien plombée, style tout mais pas ça à l'oral du bac : qu'est-ce que la justice ?

     

    3) Vient alors la prétendue définition : qui est amour avec des yeux qui voient. Là, soulagé, on se dit : super ! Sauf que : yeux OK on voit. Mais yeux qui voient ? (sehenden Augen) déjà c'est moins clair. Cerise sur le gâteau, on est bien obligé de s'avouer que l'amour : euh voyons ... Eros, philia, agapê, voilà voilà. Lequel collerait mieux dans le contexte ? Une chose est sûre, l'amour avec des yeux qui voient prend le contre-pied de   "l'amour est aveugle " et vise donc le dieu Eros, cet amateur qui n'a pas l'idée de virer son bandeau pour balancer sa flèche. (J'vous jure, après on se demande pourquoi tant de divorces). La ci-devant définition de la justice amène donc la 3° question : qu'est-ce que l'amour ? Le candidat au bac non suicidaire l'évitera idem si possible. Sinon, zen, peace and love : 0 ou 20 qu'importe, quand on aime on compte pas.

     

    4) L'expression Yeux qui voient désigne deux choses de mon point de vue. La clairvoyance, la lucidité, ces bonnes vieilles Lumières qui les pauvres en voient par les temps qui courent de toutes les couleurs. Mais aussi une certaine qualité qui consiste à regarder vraiment ce qui est réellement là, sans superposer inconsciemment un schéma, un fantasme, ou pire un idéal. La qualité qui fait le juste témoin, le scientifique, le chercheur de vérité et l'amant de réalité (pas toujours à la fois certes, sinon à part Spinoza ...)

     

    5) Last but not least, quatrième question, essentielle, déterminante, mais bien cachée dans ce début qui joue la banalité : Dites.

    Justice, amour, Lumières : où ? A vous de chercher votre réponse : dites ! 

  • Culture bio

    « C'est le pays de vos enfants que vous devez aimer ».

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des vieilles et nouvelles tables n°12)

     

    Évidemment ! Quoi d'autre ? Quoique. Imaginons. Des choses improbables, absurdes.

    Imaginons un pays qu'on nommerait d'un vieux nom, une vieillerie exhumée des violences médiévales. Ce ne serait pas une blague, ne riez surtout pas. Ce ne serait pas non plus un moment de cinéma-nostalgie en costumes d'époque et tout et tout. Non, non, on y croirait dur comme fer. On l'aimerait tant qu'on lui sacrifierait comme à un Moloch ses enfants, des vrais enfants d'aujourd'hui, faits en vraie chair, en vrais désirs, en vraie vie.

     

    Ailleurs encore, on en sacrifierait plein d'autres, d'enfants, au nom d'ancêtres vénérés, de bout de terre fétichisé. Ou même au nom des deux. Sans oublier le nom de quelque Dieu. Du côté de Donetsk, vers Gaza ou Jérusalem. Et puis ici et là en Afrique, en Asie.

    On enrôlerait ses enfants dans les vieilles guerres. On leur donnerait pour guides des fantômes. On n'aimerait pas le pays de ses enfants, on aimerait le pays de ses morts. Parce que ce qu'on aimerait vraiment, ce serait la mort elle-même, d'un amour passionné, exclusif ...

    Que de choses improbables, absurdes, n'est-ce pas ? Nous avons décidément trop d'imagination. Ou trop peu ?

     

    « Je n'aimerai plus que le pays de mes enfants, l'île inconnue au cœur des mers lointaines ; c'est sur elle que je mettrai le cap, sans me lasser. » (Du pays de la culture)

     

    Pays de la culture (on traduit aussi civilisation). Pays « adieu folie suicidaire bonjour raison ». Adieu raison d'état à tous les sens (surtout état de guerre), bonjour raison du devenir.

    Pays de la raison de vivre.

     

    Autant que l'ami Friedrich, papa Sigmund sait trouver les mots :

    La culture est un procès particulier se déroulant à l'échelle de l'humanité (…) un procès au service d'Eros, qui veut regrouper des individus humains isolés (...) en une grande unité, l'humanité.(...) Mais à ce programme de la culture s'oppose la pulsion d'agression naturelle des hommes, l'hostilité d'un seul contre tous et de tous contre un seul. (…) Ce combat est le contenu essentiel de la vie en général et c'est pourquoi le développement de la culture doit être, sans plus de détours, qualifié de combat vital de l'espèce humaine.

    Freud (Malaise dans la culture. 1929)

     

    Bien dit. Cultivons- « nous ». La seule culture vraiment bio.