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Blog - Page 441

  • Fraternités ?

    « Ils sont morts tous les dieux ; à présent nous voulons que le surhumain vive, - tel soit un jour au grand midi notre dernière volonté. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. De la vertu qui offre)

     

    Ce truc du surhumain, ça n'y serait pas, ça m'arrangerait je l'avoue. Vu que je n'ai pas l'intention de (ni ne me suis engagée à) lire Zarathoustra in extenso, je ferais bien l'impasse. Mais ce ne serait pas très fair play, car le surhumain il faut bien le dire est central dans le texte. Va donc falloir que je m'y colle. Cache ta joie. En fait, ce n'est pas désintérêt mais peur de raconter des bêtises assortie de paresse à les argumenter. Et surtout, (je vous dis tout au diable la vergogne) j'éprouve comme une vague responsabilité (à mon infime mesure d'accord mais bon) : éviter à Nietzsche les récupérations perverses. Risible, non ?

    Oui mais on le sait, sa sœur, épouse d'un adhérent du so-called « Parti Antisémite » (oui déjà 50 ans avant), essaiera d'y faire servir les écrits de son frère. Idiote, salope, les deux ? En tout cas le frangin en est énervé, et plus encore dit-il, blessé. « C'est pour moi une question d'honneur que d'observer envers l'antisémitisme une attitude absolument nette et sans équivoque, savoir : celle de l'opposition, comme je le fais dans mes écrits.(C'est moi qui souligne) On m'a accablé dans les derniers temps de lettres et de feuilles antisémites ; ma répulsion pour ce parti (qui n'aimerait que trop se prévaloir de mon nom !) est aussi prononcée que possible. » (Lettre à sa sœur du 26-12-1887 citée par P.Wolting, édition 1001 Pages/Flammarion des œuvres complètes). Voilà, ça c'est fait.

     

    Bref pour me dépêtrer du surhumain m'est venue va savoir pourquoi l'idée de passer par Gen 4. Je trouve que le rapprochement a des arguments pour lui : l'imprégnation biblique de Nietzsche, l'hypersensibilité à l'accueil/rejet (de lui-même de son discours) dont fait preuve Zarathoustra (même si c'est souvent sur le mode « même pas mal »). Et puis bien sûr le démontage du fantasme de la transcendance qui est le fait majeur de toute la pensée de Nietzsche.

    Laissez-moi vous expliquer.

     

    Gen 4 conte en effet la tragique histoire de Caïn et Abel. Elle n'est pas sans évoquer une variation du bien connu « les parents boivent les enfants trinquent ». Au chapitre précédent, Gen 3, fatale dégustation par Adam et Eve du fruit de l'arbre « connaissance du bien et du mal ». Quelle idée de losers quand même, alors qu'il ne devait pas manquer en Eden je sais pas moi, de figuiers, de pêchers … Le fruit en question est assez lourd à digérer, et en plus ils se retrouvent virés du paradis. Cela dit, passé le choc, la vie hors Eden continue ma foi. Ils ont deux fils. Et les fils s'organisent, trouvent un job. Caïn cultive la terre, Abel élève des ovins.

    Jusqu'ici tout va bien.

  • Un instinct très sûr

    Le passage précédent est incontestablement un des plus émouvants du Zarathoustra : comment ne pas être pris aux tripes par ce chant de la victoire de la vie ? Il est possible que cette émotion soit l'essentiel, et la dynamisation qu'elle induit chez le lecteur.

    Nietzsche a maintes fois souligné dans son œuvre (cf note 21 janv)qu'il ne concevait pas la philosophie comme une doctrine ou un enseignement disons faute de mieux « objectifs ». Il est encore insuffisant de dire qu'il s'engage totalement dans sa pensée, ses écrits. C'est plutôt qu'ils font tellement corps avec lui qu'il ne peut mieux faire que présenter ce corps (au sens de vécu à la fois physique, psychique, intellectuel) dans un élan d'authenticité, un désir de donner : c'est le début de Zarathoustra. Une sorte de Ceci est mon corps. Caractère prophétique et christique qui fonde le Zarathoustra, au-delà du simple parti-pris stylistique. Que ce mouvement ait versé dans le délire, quand la maladie a rongé la lucidité de Nietzsche, est un fait indéniable.

    Reste que ce lyrisme existentiel de « l'incarnation », qui caractérise le mode nietzschéen a une valeur philosophique radicale (que Nietzsche nomme souvent physiologie) : la véritable pensée est homogène à la vie organique comme psychique. Elle est donc un acte jamais achevé de l'être entier, toujours en évolution tant qu'il est vivant. Il est très profond à cet égard le passage déjà cité « Tu dis 'moi' et tu es fier de ce mot. Mais il y a quelque chose de plus grand, à quoi tu refuses de croire, c'est ton corps et sa grande raison ; la raison du corps ne dit pas moi mais le fait ».

     

    Quant à « salut à toi ma volonté » voilà qui ne peut manquer de nous amener au concept plus nietzschéen que ça tu meurs de Volonté de puissance.

    Wille zur (= zu der) Macht. Nietzsche, parmi les différents mots signifiant puissance, choisit celui de même racine que machen = faire, fabriquer, construire. L'enjeu n'est donc pas la domination, la démonstration de force, ce genre de choses. Mais bien la capacité, l'aptitude, la potentialité. Quant à la préposition zu, elle a valeur dynamique, implique déplacement, tension vers. Il s'agit donc dans cette formule non de volonté de posséder une puissance, mais de tension de la volonté vers sa réalisation, son effectivité. Il s'agit d'un pouvoir-faire. Pour Nietzsche lui-même, la volonté de puissance fut libération de créativité, capacité de produire un fruit, son œuvre. Production jamais achevée : cette volonté est aussi un désir, un effort perdurant.

     

    Et ainsi toute ressemblance avec la notion spinoziste de conatus perseverare in suo esse (effort de se maintenir dans son être) n'est nullement fortuite. Dans l'enthousiasme de ce rapprochement, Nietzsche écrit à son ami Overbeck : J'ai un prédécesseur et quel prédécesseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que j'aie eu envie de lui justement maintenant, c'était une action instinctive. (C'est lui qui souligne)

     

  • I will survive

    « Salut à toi ma volonté ! Et là seulement où sont des tombes, il y a des résurrections. Ainsi chantait Zarathoustra. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Le chant de la tombe)

     

    (Cf note précédente) On est donc tenté d'interpréter - à la tentation d'interpréter ne jamais manquer de succomber - les choses ainsi : le chant de la tombe et sur le mont des oliviers ont un élément commun, et cet élément est décisif dans l'oeuvre.

    Quel élément ? Réponse évidente : tous les deux relatent une expérience à qualifier au choix de mort/résurrection ou de résilience. (Cf aussi 11 février)

    Le mot de résurrection est le fin mot du triptyque des trois chants nuit, danse, tombe, le titre mont des oliviers s'inscrit explicitement autant qu'ironiquement dans la référence christique qui imprègne de bout en bout le Zarathoustra. Nietzsche, fils de pasteur, s'approprie spontanément le langage biblique et évangélique dans lequel il a baigné. Exemple voir au prologue partie 4 la série des béatitudes selon Zara, construite sur l'anaphore J'aime ceux en écho au Heureux du sermon sur la montagne des évangiles (Matthieu 5, 1-12 ou Luc 6, 20-38. (Sauf que Zara parle depuis le bas de la montagne).

     

    Le mot de résilience, quant à lui, nous remet dans la perspective de Deuil et mélancolie : "De même que le deuil offre au moi la prime de rester en vie, de même chacun des combats ambivalentiels singuliers (lors des épisodes bipolaires) relâche la fixation de la libido à l'objet. Ce processus peut prendre fin dans l'Inconscient, soit que sa fureur finisse par s'épuiser, soit que l'objet finisse par être abandonné comme sans valeur."

    Et Freud poursuit : lequel des deux on ne sait pas, mais en tous cas "le moi peut alors savourer la satisfaction de se reconnaître comme meilleur, comme supérieur à l'objet." Je comprends ces dernières lignes de façon très basique : supérieur au sens qui a survécu, qui s'est maintenu en vie malgré tout, qui a réussi avec ses moyens à échapper à la séduction de l'objet mortel, à la contamination de la mort qui fait le fond de la maladie mélancolique. Le combat épuisant de la mélancolie cesse, la tension perpétuelle. La fureur finit par s'épuiser. L'énergie négative finit par se dissiper et se commue enfin en énergie positive ressentie comme un intense allègement : maintenant je vole, maintenant un dieu danse en moi.

     

    L'énergie positive est ici notée par le mot volonté qui vient résoudre la tension entre mort et vie. « Oui il y a en moi quelque chose d'invulnérable, impossible à ensevelir, cela s'appelle ma volonté (mein Wille). (…) Encore et toujours tu te retrouves à vivre, et tu es semblable à toi-même, ma très patiente ! Encore et toujours tu as forcé ton passage à travers toutes les tombes (…) Oui, tu es encore pour moi la démolisseuse de toutes les tombes : salut à toi ma volonté ! Et là seulement où sont des tombes, il y a des résurrections. »