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Blog - Page 444

  • Rebelles et bourrins

    « Confits en honorabilité, vous vous tenez là, rigides, le dos droit, vous les sages illustres ! - ne vous poussent ni vent fort ni volonté forte. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra. Des sages illustres)

     

    Les sages illustres en prennent bien pour leur grade dans ce discours. Zara les killbille-t-il pour leur sagesse ou leur illustritude ? Comme souvent il fait coup double. Les sages ne sont illustres que parce qu'ils se situent dans la fourchette d'une sagesse médiane. S'assurant ainsi un revenu bien au-dessus du revenu médian. Jalouse vous dites ? De leur revenu oui. Le médian, médiocre, quelque nom qu'on lui donne, est d'un bon rapport célébrité/pensée. Label du sage-illustre : le confort par le conformisme. Il retaillera à sa façon la sagesse-standard, comme on relooke la robe de banal prêt à porter (y a pas que Nietzsche dans la vie, et le magazine féminin c'est plus vite lu). Or pour relooker, demandez à n'importe quel Karl (Marx ou Lagerfeld) : rien de tel que l'accessoire.

    « Vous tous les sages illustres, c'est le peuple que vous avez servi et la superstition du peuple, ! - et pas la vérité. Et c'est précisément pourquoi on vous payait une taxe de respect. »

    Comme Zarathoustra, le sage illustre ne se prive pas de parler. Sauf que lui il cause en politically correct dans le texte. Et voilà pourquoi votre fille – Vérité en l'occurrence - est muette. Mais qu'est-ce que la vérité ? Question piège qui peut renvoyer à l'essentialisme et à l'intolérance. Nietzsche ne tombe pas dans le panneau. « Ne sois pas jaloux de ces intransigeants qui te pressent, toi qui aimes la vérité ! Jamais encore la vérité ne s'est accrochée au bras d'un intransigeant. » (Des mouches du marché)

    Meilleure question : en quoi le désir du vrai modifie-t-il le sage, que produit-il dans sa vie concrète ? La vérité, ça fait quoi ?

    « C'est au désert qu'ont habité depuis toujours les tenants de la vérité, les libres esprits, comme des seigneurs du désert ; mais dans les villes habitent les sages bien nourris, illustres – les bêtes de trait (…) Celui qui est haï du peuple, comme un loup l'est des chiens : c'est le libre esprit, l'ennemi des chaînes, le non-religieux, l'habitant des forêts. »

     

    Le désir d'être vrai détermine une ligne de partage, telles les Pyrénées chez Pascal (pour la vérité justement). Ceux qu'on dit sauvages ou rebelles, parce qu'ils ne sont pas canailles, valets, domestiques, vivent au-delà de la frontière de vérité, ils en ont franchi la ligne comme un Rubicon. Au-delà de la ligne est le « désert », pays des non-conformes, où l'on est juste soi, pays où souffle un grand vent de liberté. « Pareille à la voile frémissante sous l'impétuosité de l'esprit, sur la mer elle va, ma sagesse – ma sagesse sauvage ! ».

     

    Tandis qu'en deçà de la frontière, à l'enclos des faux-semblants pâturent les bourrins.

  • Arthur et le cinquième élément

    « Pourtant que m'est-il arrivé ? Comment me suis-je libéré du dégoût ? Qui a rajeuni mon regard ? » (Ainsi parlait Zarathoustra. De la canaille)

     

    Voici qu'au beau milieu du discours De la canaille, c'est un retournement aussi total qu'inattendu. Dans le marais d'eau saumâtre soudain s'ouvre un gué par où traverser et prendre pied sur l'autre rive.

     

    « Oh je l'ai trouvée, mes frères ! Ici au plus haut coule pour moi la source de joie ! Et il y a une vie où boire sans la canaille.» Exclamation en écho à celle de Rimbaud : Elle est retrouvée l'éternité, c'est la mer allée avec le soleil. En voilà deux qui sont sur la même longueur d'onde ...

     

    Au revers de la face sombre d'Alceste l'atrabilaire, c'est le dévoilement solaire d'une face radieuse, celle d'Arthur R. qui tomba en amour de l'aube d'été.

    « Mon cœur où flambe mon été, mon court été, brûlant, mélancolique, heureux si heureux (überselige) : combien mon coeur-été aspire à ta fraîcheur ! (source de joie) »

     

    Associé à l'eau de la joie, il y a donc le feu du cœur. Et puis le discours continue dans le cosmique en évoquant l'arbre de l'avenir, donc implicitement la terre où il s'enracine, et enfin le vent : « Vrai, Zarathoustra est un grand vent sur tous les bas-fonds ».

    (Vraiment allez voir ce discours de la canaille, ça décoiffe!)

     

    Les quatre éléments, un peu comme dans le film de Luc Besson, entrent en synergie avec un cinquième. Quel est-il that is the question : comment me suis-je libéré, qui a rajeuni mon regard ? Pour l'instant ces questions restent sans réponse dans ce chapitre. Comment, qui, on ne sait pas. On ne voit que l'effet : la surabondance de joie que dit ce mot überselige.

    D'autres chapitres reviendront sur ce retournement, et nous ne manquerons pas d'en parler avec Zarathoustra (et avec Herr Doktor Freud, vous l'auriez deviné).

     

    Zarathoustra a donc gagné (de haute lutte) son pari : là où est vraiment la vie, la canaille est renvoyée à son néant. Et à cet endroit-là il a accédé.

    Ça c'est fait.

     

    Et maintenant : sa vie trouvée ou retrouvée, qu'est ce qu'on en fait quand on est philosophe, qu'est-ce qu'on en fait pour la cause de la sagesse ?

     

     

     

  • Le paradoxe d'Alceste

     

    « La vie est une source vive de plaisir ; mais là où la canaille boit aussi, tous les puits sont empoisonnés. » (Ainsi parlait Zarathoustra. De la canaille)

     

    Comment comprendre le mot canaille (Gesindel) ? Déjà franchement qui l'emploie aujourd'hui ? Les traducteurs ne se sont pas cassés, sauf leur respect. D'accord je n'ai pas mieux à proposer, ni rien à proposer du tout en fait. Racaille trop connoté. Pourri ? Salaud ? Vaurien ? Vulgaire ?

    En tous cas le terme renvoie à des spécimens de sales types dont le point commun est d'inspirer à Monsieur Z. un insurmontable dégoût.

    Canailles vauriens vulgaires sont les adeptes de la servitude volontaire, régis par le penser-petit et inauthentique qui insinue sa lèpre de moisissure dans le corps social. Bref la canaille est ce qui nous pourrit le vivre-ensemble.

     

    Alors qu'en faire ? Et damnation (ne jamais dédaigner un jeu de mots stupide). Zarathoustra fait un pari, moins métaphysique que celui de Pascal (quoique), mais nettement plus exigeant : de sa vie au moins, il décide d'exclure la canaille. « Et j'ai tourné le dos aux maîtres de l'heure lorsque je vis ce qu'ils appellent maintenant gouverner : trafiquer et marchander le pouvoir – avec la canaille ! »

     

    Parfait. Oui mais. La servitude volontaire pourrit le corps social, mais hélas du même mouvement le structure. Son refus implique donc marginalité.

    « J'ai vécu longtemps tel un infirme devenu sourd et aveugle et muet : j'ai vécu ainsi longtemps pour ne pas vivre avec la canaille au pouvoir, la canaille qui écrit et la canaille de la débauche. »

     

    Le Zarathoustra de Nietzsche illustre comme l'Alceste de Molière le paradoxe de la misanthropie. Si idéale est leur conception du lien social qu'il ne peuvent que rejeter la société réelle humaine trop humaine. Ils vivent alors dans la solitude et l'amertume : après tout, dira-t-on, c'est leur choix. Mais il est une autre conséquence, un corollaire au paradoxe d'Alceste : leur retrait, leur splendide isolement prive la société de l'énergie de ses éléments les plus fiables, les plus aptes à la faire progresser dans le bien commun.

     

    Si on en restait là, ce serait un sacré gâchis.