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Blog - Page 458

  • Désolée, Sigmund ...

    Freud n'en reste pas à la phrase qui clôt ma note précédente, phrase aussi magistrale que tragique. Il poursuit le cours de sa petite bonne femme de pensée. Le maintien de la civilisation, même sur une base aussi discutable, permet d'espérer que chaque génération nouvelle fraiera la voie à un remaniement pulsionnel continu, porteur d'une civilisation meilleure.

    Quand je pense qu'il y a (eu) des gens pour le traiter d'affreux pessimiste, ce pauvre cher Sigmund ! De telles phrases révèlent au contraire sa foi ô combien naïve, mais respectable au demeurant, en l'idée de progrès héritée des Lumières et du scientisme. Ou au moins sa foi dans la méthode Coué ce qui en pratique revient peut être au même.

    Je voudrais bien lui faire plaisir, à Vati Sigmund, et m'extasier sur le progrès moral des générations qui aura permis depuis le moment où il écrit ces lignes :

    1° la résistance victorieuse aux idées nazies et en particulier à l'antisémitisme

    2° l'instauration ici ou là d'un communisme digne de ce nom, ou a minima la recherche résolue de rapports humains et économiques plus partageux, plus sport-co pour tout dire

    3° la fin du fanatisme religieux en pensée en parole en action, voire dans la foulée la fin de toutes les superstitions qui auraient fait criser Spinoza s'il n'avait pas trouvé le truc pour gérer les passions

    5° la ringardisation définitive des angoissés de la virilité qui réduisent les femmes en esclavage par la force ou l'aliénation

    6° l'impossibilité de concevoir le moindre argument pour le racisme

    7°l'abandon du fétichisme du bout de terre, et ou de l'appartenance tribale, ethnique, fétichisme remplacé par l'aptitude, où et avec qui que ce soit, de se promener dans la Présence sur la terre du vivant (Ps 116 v.9)

    8° et toute autre occasion d'être plus heureux et moins insensés

     

    Mais non. Désolée, Sigmund. Y a comme un problème dans la continuité du remaniement pusionnel que tu espérais. Y a des moments ça remanie moins, les forces remaniementives s'épuisent ou se lassent faut croire, ou alors elles repartent en sens inverse et défont en quelques mois les efforts patients et si laborieux de plusieurs décennies.

     

    La question est pourquoi échouons-nous à passer des seuils décisifs en éthique ? Quels mécanismes pervers nous assignent à l'inéducabilité ? Répétition ininterrompue, ou quasiment, des mêmes erreurs et des tragédies qui vont avec : ça ne vous incite pas, vous, à voir à voir comment changer notre fusil d'épaule ? (Si la métaphore vous gêne no stress mes mots sont inoffensifs c'est pour ça que je ne leur mets pas de muselière). Comment enfin tirer parti des intelligences et bonnes volontés qui ont résisté comme elles ont pu à leur pente vers l'inhumain ? Allez, qu'est-ce qu'on risque ? 

  • Psychique primitif

    L'explication de l'explosion guerrière de violence et d'irrationalité, Freud va la chercher chez son fournisseur habituel Inconscient & Refoulement Associés. Rien d'étonnant qu'à l'occasion des guerres les hommes s'en donnent à cœur joie dans la barbarie. C'est juste une petite régression vu que sous de légères couches de vernis le psychique primitif est, au sens le plus plein, impérissable.

    On dit primitif mais faut pas croire que sapiens sapiens ou qui que ce soit (je me fais toujours des nœuds dans les lignes brisées de nos vieilles branches) était plus con que nous. Il avait juste un peu plus de mal à gérer de fortes divergences d'intérêts dans le commerce avec ses semblables. «La meilleure part du mammouth et des femelles, le squatt dans la grotte au Sud avec vue, c'est pour moi z'êtes OK ?» était un discours très répandu chez ceux qui voulaient pouvoir exhiber une carte de visite filigranée avec marqué dessus mâle dominant (comme les traders dans American psycho si ça vous parle plus). Une réponse fréquente fut « Casse-toi pauv' con. »

    Quelques morts plus tard, sapiens finit par le devenir un peu plus, et admit la nécessité de limiter dégâts collatéraux comme frontaux. Ce fut la civilisation, somme algébrique (par conséquent possiblement nulle voire négative) des interdits des pulsions destructrices et des prescriptions positives. Outre le fait qu'elle a parfois donné lieu à des trucs folklo qui servaient trop à rien mais que nonobstant on s'est transmis religieusement de mâle dominant en mâle dominant avec le concours gracieux ou pas des dominés de tout poil, la civilisation oblige tout le monde à prendre beaucoup sur soi.

    Celui qui est ainsi obligé de réagir constamment dans le sens de prescriptions qui ne sont pas l'expression de ses penchants pulsionnels vit, psychologiquement parlant, au-dessus de ses moyens et mérite objectivement d'être qualifié d'hypocrite (...) Il y a ainsi incomparablement plus d'hypocrites de la civilisation que d'hommes authentiquement civilisés.

    En clair depuis sapiens sapiens on ajuste sa conduite en fonction du radar mais c'est pas ce qui enlève l'envie de vrouvroumer plus vite que le copain.

    Or il y a dans l'histoire des moments et des lieux où le radar affiche plus ou moins directement « allez-y les gars foncez écrasez qui vous voulez, vous bons eux méchants, on est en guerre contre eux vu que c'est des gens qui prient pas le même dieu ou pas pareil ou pas du tout, qui veulent squatter au même endroit que nous, qui ont une couleur, ou une odeur, qui mangent pas pareil, qui ont chez eux des trucs qu'on voudrait trop et on serait bien cons de leur payer vu que c'est moins cher de les flinguer parce que les armes on les a à prix cassés » (on peut cocher plusieurs cases à la fois et bien sûr compléter selon l'inspiration, ad libitum). Bref

    La guerre nous dépouille des couches récentes déposées par la civilisation et fait réapparaître en nous l'homme des origines. Elle nous contraint de nouveau à être des héros qui ne peuvent croire à leur propre mort; elle nous désigne les étrangers comme des ennemis dont on doit provoquer ou souhaiter la mort ; elle nous conseille de ne pas nous arrêter à la mort des personnes aimées.

    La guerre, elle, ne se laisse pas éliminer.

     

     

     

  • Quel sens donner ?

    Le titre de Freud Considérations actuelles fait explicitement référence au titre de Nietzsche Considérations inactuelles (ou intempestives). C'est un texte où entre autres thèmes, Nietzsche aborde lui aussi la question de la guerre, à partir de celle qu'il a vécue, la guerre franco-prussienne de 1870. Il s'inscrit en faux contre l'impérialisme, la volonté de conquête et d'assujettissement, la volonté d'avoir le pouvoir (cf note du 17 août).

    L'occasion de préciser que son concept fameux de « volonté de puissance » (Wille zur Macht) ne prêche pas une quelconque prise de pouvoir sur l'autre, sur le monde. Il désigne le désir et le choix résolu de l'agir concret, de la réalisation, par opposition à la spéculation comme à la passivité. Un désir et un choix qui se rapportent donc à une éthique (la proximité avec Spinoza est évidente). Une éthique avant tout personnelle. Sainte horreur de Nietzsche pour la masse en ce qu'elle est amorphe et malléable, le troupeau en ce qu'il est suiveur, le collectif en ce qu'il tue la responsabilité. Une horreur qui le rendit sensible à toute esquisse de totalitarisme. D'où l'aberration de sa récupération par l'idéologie nazie. Mais il est vrai que c'est le lot des pensées subtiles et créatrices comme la sienne de donner lieu à malentendus de la part de lecteurs sincères peut être mais peu éveillés. Ou alors d'être utilisées par petits malins et gros méchants de mauvaise foi pour leur faire dire ce qu'elles ne disent pas, au service du tropisme de mort et de violence.

    Le titre de Freud est donc une façon d'inscrire ses réflexions sur la guerre de 14 dans la suite de celles de Nietzsche sur la précédente. Rien de nouveau sous le soleil noir de la déraison humaine avec ses fruits destructeurs. Reste aux humains un peu conscients et lucides à essayer de la considérer pour ne pas en rester sidérés. Résilience d'intellectuels à travers une vis analytica qui est leur mode propre de persévérer dans l'être. C'est exactement ce que veut faire Freud ici, en réponse aux embrouillages et enfumages de la propagande qui est le nerf intellectuel de la guerre comme l'argent en est le nerf matériel.

    Pris dans le tourbillon de ces années de guerre, informé unilatéralement, sans recul par rapport aux grands changements qui se sont déjà accomplis ou qui sont en voie de s'accomplir, sans avoir vent de l'avenir qui prend forme, nous-mêmes ne savons plus quel sens donner aux impressions qui nous assaillent et quelle valeur accorder aux jugements que nous formons. (C'est moi qui souligne). 

    Comment mieux dire l'effet de la guerre, ce rouleau compresseur d'humanité, sur les trois axes qui font l'humain. Informé unilatéralement, l'intellect est incapable de pensée lucide. Assaillis d'impressions impossibles à interpréter ou à admettre, les sens sont débordés par le traumatisme. Quant aux jugements nécessaires à un comportement éthique, au discernement même minimal entre, non pas bien et mal, mais mieux possible et moindre mal, ils sont invalidés par l'effet schizogène et paranogène de la guerre, recomposant le rapport à autrui selon le seul paradigme binaire soumis ou ennemi.