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Blog - Page 478

  • Blabla

    Pour A abécédaire s'imposait. Mais avec B le champ des possibles s'ouvre de manière vertigineuse. Et le silence de ces espaces, même s'il n'est pas éternel mais provisoire puisque je vais forcément y mettre un terme, ne laisse pas de m'effrayer. Disons de me plonger dans le doute. Profitons-en pour remarquer que, sauf pour les gens doués pour le doute dont je me flatte d'être, en général il ne donne pas sa pleine mesure d'emblée, comme il se vérifie par le théorème dit « du saut en parachute » : la première fois on y va sans réfléchir, c'est le deuxième saut qui vous confronte pour de bon à votre peur. Inutile de dire que le saut en parachute est en bonne place dans ma black list « activités à éviter », avec l'escalade, le rafting, le funboard, le ski, la F1, le patin à roulettes. Je hais la vitesse et le déséquilibre. Il paraît que c'est un problème d'oreille interne, mais qui n'a pas ses petites misères ? Le ski c'est surtout à cause de la neige.

    Bref, quel mot pour B ? Là je pourrais jouer la facilité et dire : B comme bref, et par conséquent basta j'arrête ici. Mais la facilité est aussi dans une de mes black lists, et franchement celle-là j'aimerais bien la déchirer un jour. C'est celle que m'a dictée mon surmoi qui n'est pas un rigolo. Attendez qu'on arrive à s, je lui réglerai son compte en beauté. Beauté pour B c'était bien. Comme bien ou bonté, ou béatitude, qui nous aurait rappelé Spinoza. Il y a aussi bénédiction dans le genre. Mais tous ces mots n'ont pas besoin de beaucoup de commentaires. De deux choses l'une : ou bien on les prend au sérieux et le monde est un paradis ... On voit donc que c'est l'autre option qui a été choisie : ils sont des mots qu'on dit sans les faire, et souvent pour ne pas avoir à les faire. Des mots alibis. Tiens, alibi c'était pas mal pour A. Mais il tombe bien en B, étant assez connexe de blabla. « Blabla : propos verbeux destiné à endormir la méfiance, voir baratin et boniment », dit Robert Dico, mon compagnon d'île déserte, cf A. Bon là le cf ne s'imposait pas, mais vous verrez quand on en sera genre à Y, vous serez bien contents de mon côté organisé et perfectionniste.

    Pour ma part tout de même j'aurais été moins sévère avec blabla, car il y a du blabla innocent, juste pour passer le temps. On pourrait même soutenir la thèse comme quoi le blabla, avant d'être verbeux, est tout simplement verbal. J'entends par là qu'il n'est pas moins parole qu'autre chose. Parole vient de « parabolê », qui désigne en gros un truc qu'on jette à côté. Parler c'est toujours dire à côté, plus ou moins de biais. On n'aborde la cité du sens que par des voies de contournement. Certes il faut réduire l'écart quand les mots ont une incidence importante. Par exemple le langage scientifique essaie de ne pas faire de blabla. En revanche on laisse sciemment jouer l'écart en poésie ou dans l'art en général, style « Ceci n'est pas une pipe ».

     

     

    Mais on est bien obligé de déduire, inversement, que l'usage du blabla dans les domaines à forte incidence sur la vie, comme la politique, ne sert qu'à éviter la réalité.

  • Abécédaire

     

     

    Abécédaire

     

    Posons-nous un instant dans la configuration tarte à la crème de l'île déserte. Dans mon île, la musique d'ambiance serait assurée par Mozart, Bach, Schubert, et quelques autres. La déco serait confiée à Rembrandt, Van Gogh, Caravage, Goya, et quelques autres. Rien de très original j'en conviens, mais c'est mon côté CAC 40 : je fais confiance aux valeurs sûres.

    Passons à la bibliothèque. Même sur une île déserte on a droit à son petit intérieur cosy. Bons fauteuils de cuir, tapis, feu dans la cheminée. Et sur les rayonnages un max de bouquins. Parce que les îles désertes sont petites en général, côté randonnées tout ça c'est limité, reste donc pour s'occuper la lecture. Donc un max de bouquins, pour varier les plaisirs en fonction des humeurs. Mais je vous vois venir avec la question cerise sur la tarte à la crème : mettons que tu ne puisses emporter qu'un seul livre, lequel ?

     

    Dans le genre CAC 40, il y forcément la Bible, le livre où on trouve tout comme à la Samaritaine. Elle est pas nouvelle celle-là, mais en astuce à deux balles aussi j'aime les valeurs sûres. Il y a naturellement les Essais, bible humaniste. L'avantage c'est qu'on y on trouve non seulement tout mais le reste en prime, dans un excellent rapport thèmes/page. Mais je dois reconnaître, malgré le culte monomaniaque que je voue à Montaigne, qu'un dictionnaire est encore plus performant dans ce rapport thèmes/pages. C'est pourquoi si, ayant épuisé tout recours, je n'ai finalement droit qu'à un livre sur mon île déserte, ce sera un dictionnaire. Livre le plus merveilleux qui existe, où trouver le monde, les hommes, et toutes les formes que la vie a prises jusqu'à présent. Peut être au fond seul vrai livre en rigueur de termes, quintessence du livre, lui qui prend les mots au mot.

     

     

    Or du dictionnaire à l'abécédaire il n'y a qu'un pas. CQFD. J'ai donc décidé que cette nouvelle saison blogueuse s'écrirait en forme d'abécédaire. Abécédaire qui était donc notre mot en A. 

     

  • L'heure de la récré

     

    Par les temps qui pataugent ou dérapent plus qu'ils ne courent, un bon bouquin au coin du feu, rien de tel pour affronter un week-end pourri.

    (Le commerce des livres) côtoie tout mon cours et m'assiste partout. Il me console en la vieillesse et en la solitude. Il me décharge du poids d'une oisiveté ennuyeuse ; et me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent. Il émousse les pointures de la douleur, si elle n'est du tout extrême et maîtresse. Pour me distraire d'une imagination importune il n'est que de recourir aux livres ; ils me détournent facilement à eux et me la dérobent. (…) Il ne se peut dire combien je me repose et séjourne en cette considération, qu'ils sont à mon côté pour me donner du plaisir à mon heure, et à reconnaître combien ils portent de secours à ma vie. C'est la meilleure munition que j'aie trouvée à cet humain voyage.

    (Essais III,3 De trois commerces)

     

    Montaigne aime à répéter qu'il n'a pas lu pour se ronger la cervelle à l'étude d'Aristote. Pas pour accumuler un savoir, mais pour en tirer son plaisir sur le moment. Et aussi pour se divertir, se distraire, échapper aux soucis, chagrins, douleurs physiques aussi. Les deux aspects, plaisir et distraction, sont condensés dans le terme s'amuser.

    Et tous les jours m'amuse à lire en des auteurs, sans souci de leur science, y cherchant leur façon, non leur substance. Tout ainsi que je poursuis la communication de quelque esprit fameux, non pour qu'il m'enseigne, mais pour que je le connaisse. (Essais III, 8 De l'art de conférer)

     

    Il précise ici son mode de lecture avec l'ajout d'un point-clé. Un livre ne peut amuser, au sens existentiel donné ici à ce mot, que s'il se fait compagnon, présence familière. Pour cela il faut le fréquenter assidûment, et ainsi poursuivre la communication avec son auteur.

     

    Quant à ne pas demander d'enseignement à l'auteur, cela permet d'éviter le jeu de gourou/disciple, où les deux succombent de conserve à la triple tentation du pédantesque, pleideresque, fratesque. Mais essayer de le connaître n'est pas si simple et repose sur sur un paradoxe.

    Car une connaissance précise et non superficielle des auteurs, autrement dit la mise en présence de leur être réel, n'est pas comme on pourrait le croire affaire de substance, mais de façon. C'est pour moi le mot clé du passage.

    La façon, la manière dirait Spinoza, la forme déterminant chaque individu dans le tissu de l'unique substance. Celle que partagent tous les auteurs comme tous leurs lecteurs.

    Je veux bien admettre que Montaigne n'emploie peut être pas ici substance en ce sens fort (quoique). Il affirme en tout cas que ce qui est dit compte moins pour lui que la manière de le dire. Position esthétique si l'on veut. Mais pas seulement. Comme le diable est dans les détails, la vérité se révèle dans le choix de tel ou tel mot (et pas toujours un substantif), le temps ou le mode d'un verbe, tel déterminant. Il n'est que d'écouter (même et surtout en écoute flottante) les paroles des politiciens (exemple au hasard) pour en avoir la démonstration.

     

    Bref en percevant la façon d'un auteur, son style, sa marque de fabrique, on le rencontre dans son mode le plus personnel et intime d'être humain. Dans l'interprétation de la partition humanité que lui souffle son génie propre.

    Avec cet homme/auteur tel qu'en lui-même, Montaigne dialogue alors sans façons, car c'est de façon à façon, de génie à génie. Comme il faisait avec des amis au coin du feu, ou encore, lors de ses déplacements à l'étape avec d'autres voyageurs, interlocuteurs de hasard.

    Tel est le principe de création des Essais.

     

    Faire halte sur tel ou tel lopin dans les terres du livre, parce qu'il y fait bon, qu'on s'y sent bien, et dialoguer un instant avec leur auteur, y cherchant à sa façon la sienne, c'est le principe de sa lecture. Amusement et recréation.