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Blog - Page 480

  • L'homme de flair

     

     

    Quand on pratique le livre des Essais selon le vœu de Montaigne, c'est à dire comme on fréquente un ami, on alterne comme avec un ami les moments d'échanges profonds, se livrant cœur à cœur, refaisant le monde à l'occasion, et les moments légers où viennent de petits riens qu'on savoure ensemble, le temps d'un café partagé. Des moments où l'on est, l'un avec l'autre, tout simplement et totalement soi. What else ?

     

    Le bref chapitre Des senteurs (I,55) est ainsi un délectable expresso que je vous invite à déguster.

    Il débute sur un passage que Montaigne souligne dans son Plutarque.

    Il se dit d'aucuns, comme d'Alexandre le grand, que leur sueur épandait une odeur de soufre, par quelque rare et extraordinaire complexion ; de quoi Plutarque et autres recherchent la cause.

     

    Plutarque est un type sérieux, il cherche. Alexandre sentait le soufre, tiens pourquoi donc ? Peut être faut-il rapporter le fait à sa nature volcanique d'homme d'action ? Libre à ceux que la question empêcherait de dormir d'aller voir dans Plutarque. Inutile de vous dire que je n'y suis pas allée, ce qui me permet d'imaginer n'importe quoi et de le dire.

    Quant à Montaigne, il a juste envie de noter ce qui lui vient à propos des senteurs. Laissons-le faire comme il sent et profitons de son flair.

     

    D'abord la meilleure odeur c'est de ne pas en avoir, dit-il. Entre nous je me demande si ces lignes n'ont pas été écrites après un entretien qu'il n'aurait pu éviter avec quelque fâcheux qu'il ne pouvait décidément pas sentir. Surtout si le bougre en outre avait les aisselles mal lavées ou les bottes crottées …

     

    Il enchaîne sur une remarque moralisatrice et misogyne (les deux vont si facilement de pair).

    Voilà pourquoi dit Plaute (il a bon dos, Plaute) la plus parfaite senteur d'une femme, c'est de ne sentir rien, comme on dit que la meilleure odeur de ses actions est qu'elles soient insensibles et sourdes.

     

    Autrement dit qu'elle abatte le boulot discrétos sans interférer sur nos hautes occupations masculines (genre la femme de ménage pardon la technicienne de surface, dans le bureau du patron) ? Pour être Montaigne on n'en est pas moins mec …

    Là c'est moi qui pour être femme n'en suis pas moins hystérique et je lui fais un procès d'intention, direz-vous peut être, et sans doute n'aurez-vous pas tort. Car comme souvent chez lui le réflexe misogyne affiché est je crois bien plutôt une ruse de la pudeur, ainsi que la suite du chapitre nous le fera subodorer. C'est un point commun qu'il a avec Brassens, et nous verrons le second dans la suite. Mais poursuivons.

     

    Et les bonnes senteurs étrangères, on a raison de les tenir pour suspectes à ceux qui s'en servent, et d'estimer qu'elles soient employées pour couvrir quelque défaut naturel de ce côté-là.

    S'asperger de sent-bon par peur que les autres ne puissent vous sentir. Ou qu'ils vous sentent tel que vous puez parfois. Se parfumer peut être aussi parce que votre propre odeur vous déplaît. Cela arrive bien plus souvent qu'on ne croit. L'odeur est le langage d'un corps, son aura, son esprit. Elle ne nous dit pas toujours ce que nous voulons entendre. Elle ne sent pas toujours le Moi Idéal auquel nous aspirons, selon notre définition personnelle de l'odeur de sainteté. Que ce soit sentir le sain, sentir le beau, l'authentique, la complexité, la force ou la douceur, l'autorité ou la sensualité ...

    Mais voilà : masquer les odeurs, ça ne marche pas avec les petits malins qui ont du flair, comme notre ami des Essais.

     

    A propos, que sent-il, lui ? Ou du moins qu'en dit-il ? De quoi parle son corps, quel esprit en émane ? Questions qui valent bien celle de Plutarque à propos d'Alex. La réponse nous place c'est le cas de le dire au vif du sujet.

     

    Ce que nous verrons la prochaine fois.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Sondage

    La sottise est une mauvaise qualité ; mais de ne la pouvoir supporter, s'en dépiter et ronger, comme il m'advient, c'est une autre sorte de maladie qui ne doit guère à la sottise en importunité ; et est ce qu'à présent je veux accuser du mien. (Essais III,8 De l'art de conférer)

     

    Imaginons un sondage. Quel que soit le panel, à la question n°1 « êtes-vous sot ? » (à traduire le cas échéant par êtes-vous con) 100% des personnes interrogées répondront non. Moi aussi d'ailleurs en fait. C'est pas si souvent que je peux partager sans réticence l'opinion majoritaire, alors je ne boude pas mon plaisir. C'est fou le bien que ça fait d'être rassuré sur sa normalité.

     

    A la question n°2 « Tolérez-vous les sots ? »

    « Non, pas du tout » : 75%

    « Pas facilement » : 0,001%

    « Il faut les renvoyer dans leur pays » : 5%

    « C'est quoi tolérer ? » : 18,999%

    « Sans opinion » : 1%

     

    Bon. J'ai eu raison de profiter du confort psychologique provoqué par ma réponse à la question 1, parce que je vais comme d'habitude me retrouver dans les profondeurs du classement. Je l'avoue, je fais partie des 1%. Oui je suis sans opinion sur la question de tolérer les sots. Je laisse le lecteur libre d'interpréter. D'aucuns penseront que je préfère ne pas me mouiller. Oui mais pourquoi ? Deux options ici : ou bien je sais que les sots sont une espèce dangereuse, et je préfère ne pas les provoquer. Autrement dit je développe une phobie des sots. Après tout, affligée déjà d'une grave phobie des chiens, je dois reconnaître mon tropisme phobico-parano.

     

    Ou bien, étant du signe de la Balance je me précipite toujours sur les possibilités de différer toute injonction au choix. Fromage ou dessert ? Euh. Un dessert ne me fait-il pas plus envie ? Oui, mais un fromage c'est plus raisonnable. Quoique. Les fromages c'est de la matière grasse aussi, non? Et puis en fait est-ce que j'ai encore faim ? Pas vraiment. Mais si je me fais plaisir avec un dessert, peut être que je fumerai une cigarette de moins ? Ou deux ?

    D'autres lecteurs imagineront qui sait que mon absence d'opinion résulte d'un positionnement philosophique. Telle Socrate, j'inciterais ainsi à dépasser l'immédiateté de l'opinion reçue pour me poser la bonne question. Et ainsi m'atteler à définir la sottise.

    Et quand je dis m'atteler, je pèse mes mots.

    L'obstination et ardeur d'opinion est la plus sûre preuve de bêtise. Est-il rien certain, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave, sérieux, comme l'âne ? (III, 8)

    Vous voulez que je vous dise, en voilà un qui aurait mérité d'être du signe de la Balance. D'ailleurs entre nous je dirais que la balance est clairement le logo de l'entreprise Essais, puisque Montaigne avait fait dessiner une balance sur un mur de sa librairie, assortie de la devise « Que sais-je ? ». Naturellement il ne faut pas assimiler purement et simplement le fait de poser cette question et celui d'être définitivement sans opinion. Il s'agit juste de se donner le temps de peser les choses, de suspendre son jugement, comme on dit chez les philosophes sceptiques ou chez les hommes politiques habitués à la recherche de synthèses improbables.

     

    A la question n°3 « Avez-vous rencontré des sots ? », cela donnerait :

    « Oui, souvent » : 90%

    « Oui, régulièrement » : 9 %

    « Le moins possible » : 1%

     

    Et crac. Me voici encore dans le 1%. Décidément il n'y a que du point de vue de mon rapport à Wall Street que je me place clairement dans les 99%. Je ne sais dire ce qu'est la sottise exactement. Mais j'ai assez vécu chers lecteurs pour avoir constaté qu'elle ne consiste pas essentiellement en un contenu objectif de pensées ou d'opinions stupides ou fausses. Cela ça s'appelle l'erreur, et comme chacun sait il n'est rien de plus humain.

    La vraie sottise, la grave, la dangereuse, la mortelle souvent, résulte d'une absence (allez je lâche le mot) d'éthique dans le dialogue.

     

    Il est impossible de traiter de bonne foi avec un sot. Mon jugement ne se corrompt pas seulement à la main d'un maître si impétueux, mais aussi ma conscience. (...)

    Comme notre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoureux et réglés, il ne se peut dire combien il perd et s'abâtardit par le continuel commerce et fréquentation que nous avons avec les esprits bas et maladifs. Il n'est contagion qui ne s'épande comme celle-là.

    (III,8 De l'art de conférer)

     

    La sottise dont parle Montaigne est le fait de pervers. Ceux qui cherchent à vous embrouiller, qui vous tirent vers le bas, jouent sur les réflexes de rivalité mimétique et de peur pour vous empêcher de penser, de raisonner pour devenir un peu moins con.

     

    Ceux-là, où qu'on les trouve, sont à fuir comme la peste.

  • Message personnel

     

    C'est une espèce de pusillanimité aux monarques, et un témoignage de ne sentir point assez ce qu'ils sont, de travailler à se faire valoir et paraître par dépenses excessives. (…) Outre ce, il semble aux sujets, spectateurs de ces triomphes, qu'on leur fait montre de leurs propres richesses et qu'on les festoie à leurs dépens. Car les peuples présument volontiers des rois, comme nous faisons de nos valets, qu'ils doivent prendre soin de nous apprêter en abondance tout ce qu'il nous faut, mais qu'il n'y doivent aucunement toucher de leur part. (…) Tant y a qu'il advient le plus souvent que le peuple a raison, et qu'on repaît ses yeux de quoi il avait à paître son ventre (…) car, à le prendre exactement, un roi n'a rien proprement sien ; il se doit soi-même à autrui.

    La juridiction ne se donne point en faveur du juridiciant, c'est en faveur du juridicié. On fait un supérieur, non jamais pour son profit, mais pour le profit de l'inférieur, et un médecin pour le malade, non pour soi. Toute magistrature, comme tout art, jette sa fin hors d'elle.

    (Essais III,6 Des coches)

     

    Je suis prête à parier qu'il y a pas mal de gens qui en lisant ça sans savoir d'où ça vient, diraient mais qu'est-ce que c'est que ce populiste ? Car on en est là : affirmer les principes de base d'un système de délégation de pouvoir (la responsabilité et l'honnêteté) est considéré comme faire de la démagogie.

    Mais ce qui me retient surtout dans ces lignes c'est la remarquable perspicacité psychologique de Montaigne. On sent qu'il les a observés, les « grands », les chefs, les monarques, qu'il les a écoutés, jaugés, pénétrés, pour finir par déceler leur ressort le plus caché (y compris à eux-mêmes).

     

    Une espèce de pusillanimité, ne sentir point assez ce qu'ils sont. Apparemment étonnant. Les grands de son temps comme du nôtre semblent davantage portés sur la surestimation de soi que sur l'humilité. Précisément. Montaigne décèle dans cette attitude un déni. Leur morgue affichée n'est que l'envers d'une pusillanimité, d'un défaut de courage, de l'incapacité d'être ce qu'ils prétendent. Agir, faire, gouverner : ils en exhibent les signes, que dis-je les simulacres. Pour mieux masquer qu'ils n'ont pas le courage d'en assumer la complexe et difficile réalité. Peut être pas tous, admettons. Mais bon : ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

     

    Certes il n'est pas facile d'être courageux, de mobiliser une certaine force d'âme, cette animositas dont parle Spinoza. Le contraire exact (les mots sont criants) de la pusillanimité discernée ici par Montaigne.

     

    Où, comment la trouver, l'animositas ? Pépère malencontreusement gauche, Mégère extrêmement adroite, Baronnets et Baronnettes « Tout pour ma Gueule » s'agitant de ci de là.Tout ce petit monde pathétique, ce microcosme partidaire affairé à calculer comment gagner quelques points dans les sondages à la pêche aux électeurs. Ambition peut être, mais pour la subtilité on repassera.

     

    Ne jouons pas cependant trop vite les Pères et Mères la Vertu. Ces gens-là, si nous les avons laissé passer, laissé arriver où ils sont, c'est peut être que nous ne sommes pas si différents d'eux.

    Le toutpourmagueulisme et l'aprèsmoiledélugisme sont des idéologies très répandues, surtout au moment de payer ses impôts, de faire les concessions nécessaires à la construction d'une véritable Europe politique et citoyenne, de se dégager des réflexes d'immédiateté pour donner du temps au temps dans la transition énergétique. A quoi s'ajoute l'autruchisme quand il s'agit de s'extraire de la gangue si confortable de servitude volontaire, en préférant un petit effort citoyen d'information à l'absorption béate de toutes les conneries dont on nous repaît les yeux et ce qui nous reste de cervelle.

     

    Toute magistrature, comme tout art, jette sa fin hors d'elle. Là est l'ambition véritable. La fin en question c'est la gestion la plus juste possible du bien commun. L'animositas qu'elle nécessite repose donc logiquement sur le concept complémentaire et toujours spinoziste de generositas (cf ma note B.attitude 19 de juillet dernier). On est un corps social, comme on est une espèce humaine. Si chaque membre ne met pas en oeuvre sa solidarité de fait avec l'ensemble du corps, vous savez quoi suicidons-nous tout de suite, et on sera tranquille : plus d'impôt, plus de transition énergétique, plus de subtilités diplomatiques. (Oui OK on est sur la bonne voie suicidaire en prolongeant Fessenheim et les autres, mais bon ça peut prendre un certain temps).

     

    Certes je le sais bien, ce sont là conséquences de plus de trente ans de capitalisme mondialisé qui a su casser énergies collectives et individuelles, et dévaluer radicalement la « ressource humaine ».

    Pour s'opposer aux multinationales cyniques, aux systèmes pervers de financement des économies et des états, et tout ça et tout ça, l'idée répandue aujourd'hui est qu'il vaut mieux passer par les ONG, les citoyens de base, les réseaux du net. C'est sûrement utile. Mais pour ma part je ne me résigne pas à laisser tomber le pouvoir de la politique qui peut avoir un tel effet démultiplicateur. Il s'agit juste de la prendre au sérieux. Au lieu de buzzer du tweet, de tweeter du buzz, de jouer les voyeurs des jeux de quéquettes.

     

    Bref, je terminerai par un message personnel.

    Pépère, si tu me lis, ceci pour toi.

     

    C'est toi qui es dans la place aujourd'hui. C'est toi le sommet de l'Etat, voire sa tête. Ne renonce pas à l'ambition.

    Défonce-toi pour l'Europe politique avec Angela et les autres, c'est notre dernier rempart contre les néo-totalitarismes (financiers et autres) comme les nationalismes populistes. Mets au pas les parlementaires et élus : strict non cumul des mandats, fin des privilèges aberrants (genre leur retraite) etc.

    Désamorce les lobbies agro-alimentaire, pharmaceutique, nucléaire (ce sera un début). Comment ? Par le portefeuille bien sûr, ne pas oublier comment on a coincé Al Capone.

    Bon j'arrête là. Dis-toi juste que yes you can.

     

    Ah j'oubliais l'essentiel : vire-nous vite fait tes pusillanimes conseillers en communication et embauche à la place Montaigne et Spinoza. Des gens sérieux et pleins d'humour à la fois, ils ont tout pour te plaire.

    Et en plus ce sera gratos, économie appréciable dont moi contribuable je te serai reconnaissante.

     

    Ou alors tu peux faire appel à moi, je suis disponible.